La « Chinafrique » se porte bien. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les relations économiques entre l’empire du Milieu et le continent africain ne s’arrêteront pas de sitôt. Autrefois « chasse gardée » de l’Europe et des Etats-Unis, l’Afrique a vu la Chine, en deux décennies, devenir son partenaire économique le plus important ; le commerce entre Pékin et les différents pays africains a doublé et, depuis quelque temps, les échanges croissent de 20 % par an. Si bien que, pour le cabinet américain McKinsey Africa, qui a publié en juin dernier une étude intitulée « Comprendre le rythme de l’activité chinoise en Afrique », le poids de la Chine serait même bien supérieur à ce que l’on croyait jusqu’à présent.
Aujourd’hui, les analystes estiment le nombre d’entreprises chinoises sur le sol africain à 10 000, dont près d’un tiers officie dans la production, un quart dans les services et un cinquième environ dans le commerce, la construction et l’immobilier. Surtout, l’étude indique que près d’un tiers d’entre elles a déclaré des marges bénéficiaires en 2015, ce qui signifie qu’elles sont davantage réceptives aux changements et s’adaptent bien plus facilement aux nouveaux défis africains. Mieux : à la question de savoir si l’Afrique, la principale intéressée dans l’histoire, tirait avantage de ces investissements à la hausse, les auteurs du rapport répondent par l’affirmative.
La Chine, vorace en bauxite
« Dans l’ensemble, nous croyons que la participation croissante de la Chine en Afrique est fortement positive pour les économies, les gouvernements et les travailleurs africains » notent-ils. Ainsi, selon eux, l’installation d’une entreprise chinoise dans une région est, la plupart du temps, synonyme de création d’emplois, de transfert de connaissances et de financement d’infrastructures. Oui, mais la plupart du temps seulement. Car un rapide coup d’œil sur une activité, l’exploitation de la bauxite, dans un pays bien précis, la Guinée, tend à modérer quelque peu les propos louant la présence chinoise en Afrique.
Depuis quelques années, Pékin a fait du commerce de ce minerai l’un des vecteurs de sa politique industrielle, économique voire même diplomatique. Une raison à cela : la Chine a mis la main sur le marché mondial de l’aluminium, fabriqué essentiellement à base de bauxite, et n’entend pas desserrer la pression. Aujourd’hui, elle possède quelque 180 alumineries et produit à elle seule 50 % de l’aluminium mondial, soit plus de 33 millions de tonnes par an ; on estime que, d’ici 2019, ce chiffre dépassera même la barre des 50 millions de tonnes.
Plutôt que de réguler ses ventes, le pays inonde le marché de sa production d’aluminium et maintient les prix du métal très bas. Résultat : la Chine est devenue ces dernières années le grand ordonnateur mondial du marché et peut dicter sa loi à de grands producteurs, comme l’Australie et le Canada. Sauf que la production d’aluminium est très vorace en bauxite ; le minerai contient entre 40 et 60 % d’oxyde d’aluminium hydraté et il faut environ 4 tonnes de cet « or rouge » pour obtenir 2 tonnes d’alumine, dont un processus chimique permet de produire 1 tonne d’aluminium. Un faible rapport qui explique l’appétit insatiable des entreprises chinoises pour la bauxite.
Les populations dénoncent les conditions de travail
Leur cible privilégiée : la Guinée, qui possède pas moins de 25 milliards de tonnes de réserves en sous-sol, soit le tiers des quantités mondiales connues. Une aubaine, en théorie, non seulement pour les sociétés — souvent des joint-ventures —, qui exportent le fruit de leur exploitation vers les alumineries chinoises, mais également pour le pays hôte, qui, d’après le rapport McKinsley, jouit en retour de nombreux avantages. Sauf qu’en pratique, seules les premières sont satisfaites à l’arrivée.
De nombreuses voix s’élèvent, en Guinée, pour dénoncer le manque de coordination entre groupes chinois et populations locales, qui tardent à voir les bénéfices du commerce de la bauxite. Pire, les travailleurs locaux se plaignent régulièrement des conditions de travail et des salaires imposés par les sociétés minières, comme à Boké, par exemple, ville de 100 000 habitants qui abrite une dizaine d’exploitations. En avril dernier, la mort d’un conducteur de moto-taxi, renversé par un camion transportant du minerai, avait d’ailleurs fait éclater les tensions jusqu’alors contenues ; s’en était suivi des manifestations lourdement réprimées par les forces de l’ordre, qui avaient fait un mort et plusieurs blessés.
Les revendications de la population locale étaient pourtant simples : une résorption du chômage endémique et l’arrêt des coupures d’électricité incessantes dans la ville, en plus de meilleures conditions de travail dans les mines. Rien de plus légitime : les sous-sols de Boké sont surexploités par les entreprises chinoises et, dans le même temps, ses habitants sont les premiers à en pâtir. D’autant plus que, d’ici quelques années, il se pourrait qu’aux problèmes matériels s’ajoutent des problèmes environnementaux et sanitaires autrement plus graves.
« La fertilité des sols n’est plus ce qu’elle était »
Régulièrement, des travailleurs relèvent des cas de pollution des cours d’eau, de l’air et des sols. Et s’« il n’y a pas encore de statistiques » pour le prouver,populatio « les gens se plaignent très souvent de problèmes respiratoires » alertait en 2016 Amadou Bah, membre de l’ONG Action Mines Guinée, dans un film documentaire sur les méfaits de l’exploitation de la bauxite à Boké. « Les maraîchers relèvent également que la fertilité des sols n’est plus ce qu’elle était » notait-il également. Conséquences : les populations reculées qui vivaient autrefois de leurs récoltes ont de plus en plus de mal à trouver de quoi se nourrir ; lorsqu’elles parviennent à mettre la main sur quelques denrées comestibles, elles sont obligées d’utiliser leurs animaux comme testeurs, témoigne même un Guinéen.
Une modification de leur quotidien dont les entreprises chinoises seraient en partie responsables. Car si l’exploitation de la bauxite, qui se fait de manière traditionnelle, par le creusement de puits ou en carrières à ciel ouvert, est dès le départ risquée pour l’environnement, la menace est d’autant plus grande que ces dernières ne montrent pas spécialement de sensibilité écologique dans la conduite de leurs travaux. Résultat : des rejets miniers, porteurs de métaux lourds et, donc, toxiques, se retrouvent régulièrement dans les cours d’eau lorsqu’il pleut, contaminant la population et les récoltes.
Une situation qui, si l’on en croit le rapport du cabinet McKinsley, ne fera que croître dans les prochaines années. Tant mieux pour l’aluminium chinois ; tant pis pour l’environnement guinéen. De quoi sacrément tempérer, en tout cas, la croyance selon laquelle « la participation croissante de la Chine en Afrique est fortement positive » pour cette dernière.
Idriss Aya