2020 est encore loin, répètent sans cesse les dirigeants des grands partis politiques ivoiriens. Pourtant , la Côte d’Ivoire est déjà entrée dans une période pré-électorale, période pendant laquelle se déroulent plusieurs guerres : guerre des nerfs, guerre des mots, guerre de l’opinion, etc. Toutes ces guerres d’influence ont quitté le champ démocratique de la guerre des idées, programme contre programme, pour rejoindre celui des « fake news », des fausses nouvelles, de la désinformation.
Le phénomène est devenu mondial avec deux grands axes : soit, la stratégie de la désinformation est exploitée directement par les hommes politiques (Donald Trump s’en est fait une spécialité), soit, elle est utilisée sur les réseaux sociaux ou dans les médias, les « noyaux durs » de chaque camp utilisant une « armée numérique » et les journalistes acceptant de reprendre des fausses informations, afin de faire du « buzz ». L’inflation des articles diffusant volontairement des fausses informations traduit l’âpreté du combat politique, sa violence. La bataille que se livrent les porte-parole, les conseillers et les armées numériques des partis politiques ou des candidats potentiels est sans limites. La logique est celle d’un « darwinisme politique » avec l’élimination des plus faibles avant le dépôt officiel des candidatures et l’affaiblissement des plus forts.
La forme de la guerre de l’opinion en période pré-électorale
Tout le monde connaît le sens du mot « propagande », c’est-à-dire la diffusion d’informations déformées, toujours partiales et insidieuses, à grande échelle, dans le but de manipuler l’opinion : propagande communiste, propagande nazie, propagande à des fins génocidaires. La propagande joue sur la manipulation des émotions au détriment du raisonnement. Il n’est plus question de propagande aujourd’hui, le registre est celui des « fake news » et des faux sondages, afin de peser sur les intentions de vote. Ce sont des mois d’activisme qui se préparent avec, au programme, désinformation, falsification d’informations, faux sondages, etc. Le Web (et son support technique Internet) et les réseaux sociaux permettent de mettre en ligne des contenus en se libérant de la contrainte du temps que réclament les supports papiers (journaux, tracts, affiches). Les hashtag se multiplient, officiels ou non, ouverts par les communautés en faveur de leur candidat. Un hashtag est mot ou groupe de mot suivant le caractère # dans un tweet. Cliquable, un hashtag permet de rediriger celui qui le consulte vers des tweets traitant du même sujet. Dans les tweets « Je soutiens #Ouattara », « Je soutiens #Bédié », « je soutiens #Soro #JesuisAGC #HamedBakayoko », un clic sur le hashtag portant ces mots-clés, permet d’accéder à d’autres tweets sur le même sujet. On voit tout l’intérêt des hashtag à des fins de campagne électorale, puisqu’ils permettent de bénéficier d’une audience élargie à partir de mots-clés.
« Fake news » et « faux sondages »
A côté des « fake news », apparaissent de plus de faux sondages. Exemple de « fake news » : au Libéria, les adversaires de Georges Weah, candidat à l’élection présidentielle d’octobre 2017, ont récemment montré, à la télévision, le soi-disant passeport américain de l’ex-star du football, la nationalité américain de Weah lui interdisant d’être candidat. Il s’agissait bien sûr d’un faux passeport. Les États-Unis ont permis de dénoncer cette « fake news » De faux sondages sont apparus au Liberia, indiquant que Weah était battu au second tour par l’actuel Vice-président. En Côte d’Ivoire, on a vu apparaître de faux sondages, dont le dernier donne, au premier tour, 34 % des voix à l’ancien Président Gbagbo et 14 % à Alassane Ouattara. Le principe de toutes ces méthodes est double : installer une idée dans l’opinion publique et instaurer le doute.
Dans le cas du dernier sondage en Côte d’Ivoire, l’idée que l’on veut installer dans l’opinion est la suivante : Gbagbo sera libéré, il sera candidat et vainqueur en 2020. Le doute que l’on veut instaurer est celui de la capacité du camp Ouattara à remporter l’élection en 2020. En France, l’arme des faux sondages portant un candidat en tête a surtout été utilisée par les partisans de François Fillon avec deux objectifs : convaincre en interne que Fillon était le meilleur candidat de la droite républicaine, afin de rassurer les militants, et contrer, en externe, le vote annoncé en faveur d’Emmanuel Macron. Beaucoup, à droite, pensent encore que l’affaire Pénélope a empêché Fillon de remporter une élection qui lui était promise.
Les activistes exploitent toutes les faiblesses et les failles de leurs adversaires en utilisant des procédés subtils, qui installent peu à peu une sorte de bruit de fond : crise sociale, mutineries, abstention, fractures au sein du RDR et/ou du RHDP, afin de parasiter l’action du gouvernement et nuire à ceux qui pourraient être candidats en 2020. Certains créent des comptes Twitter humoristiques ou des sites parodiques. Il s’agit, dans tous les cas, d’une stratégie réfléchie par des « spin doctors », c’est-à-dire des conseillers en communication et marketing politique agissant pour le compte d’une personnalité politique,
L’ « astroturfing » ?
L’ « astroturfing » est une technique qui consiste à créer de toutes pièces, afin d’influencer l’opinion publique, des fausses informations, des faux sondages, de faux comptes, en leur donnant l’apparence de quelque chose de spontané et populaire. L’astroturfing désigne un faux gazon créé par l’entreprise américaine Monsanto. Il s’agit, pour un camp, d’utiliser de faux comptes, afin de propager ses idées en les faisant porter par un faux soutien populaire. On peut remarquer l’activité d’internautes internationaux dans le soutien des idées de tel ou tel candidat : une accusation à l’encontre de Trump concerne le rôle de la Russie, via internet, dans son élection. Les diasporas constituent des communautés souvent instrumentalisée dans l’affirmation du soutien à tel ou tel candidat.
Peut-on lutter contre la désinformation et les « fake news » ?
Cette guerre de l’information est avant tout idéologique, – exemple : pro-Gbagbo contre pro-Ouattara -, elle est menée dans une logique de désinformation. Qui est touché par ces « fake news » ? Tout le monde, car si le message est d’abord suivi par un petit nombre d’individus (ceux qui sont abonnés à un compte twitter), il est ensuite relayé par l’ensemble des médias. Les partis politiques et les candidats mettent en place aujourd’hui une veille sur internet, sans trop savoir si cela est utile et efficace. C’est une erreur de négliger la riposte, car une fausse information qui embrase la toile devient vite « vraie » pour beaucoup d’individus influençables. C’est le cas des rumeurs. En même temps, il ne convient pas de sur-réagir. L’équilibre est souvent difficile à trouver.
Christian Gambotti
Directeur général de l’Institut Choiseul
Directeur de la Collection L’Afrique en marche
Politologue, éditorialiste