Entrée en vigueur depuis le 4 janvier 2016, l’annexe fiscale à la loi des finances pour la gestion du budget 2016 a été adoptée par l’Assemblée Nationale le 18 Décembre 2015.
Le Gouvernement se réjouit des mesures incitatives économiques, fiscales, commerciales, environnementales et techniques aux PME. Le patronat lui souhaite des amendements, dans le cadre de la mise en œuvre d’une reforme fiscale axée sur une politique consensuelle pour une fiscalité plus performante, rendant la Côte d’Ivoire plus compétitive et plus attrayante. La colère du secteur privé se résume au fait que l’annexe n’est pas consensuelle et traduit plus la vision des autorités publiques que celle des acteurs du privé, qui craignent la cherté de la vie liée à la multiplicité des taxes et au harcèlement fiscal.
Partant du postulat d’un taux de pression fiscale de 15,5% en 2015, contre 15% à 17% dans l’espace UEMOA, on peut raisonnablement affirmer que la pression fiscale n’est pas forte en Côte d’Ivoire. Cependant, elle souffre de la faiblesse de l’assiette fiscale. L’annexe fiscale 2016 est-elle seule suffisante à améliorer la compétitivité des PME et corriger leur faible contribution à l’essor économique sans la réduction significative de la pauvreté ?
En Côte d’Ivoire, environ 80% du tissu industriel sont des PME avec une contribution de 18% au PIB. Par rapport aux efforts soutenus du gouvernement depuis 2011, pour améliorer la compétitivité de l’économie nationale et aux contraintes auxquelles les PME font face, quelle sera leur contribution dans la mobilisation de près de 3002 milliards FCFA, en terme de recettes fiscales pour le budget 2016 qui s’élève à 5.813 milliards FCFA contre 5.014 milliards FCFA en 2015, soit une hausse de 12% ?
L’atteinte de cet objectif majeur peut contraster en 2016 avec l’état d’un grand nombre de PME sinistrées par la crise post électorale dans leur évolution. Au cours de la période de stabilisation macroéconomique avant la relance économique post crise, ces PME ont été confrontées à dix (10) facteurs réducteurs de leur dynamisme, à savoir
1. la destruction des outils d’exploitation, des moyens de production, de locomotion et de communication;
2. la sous liquidité des banques, durement éprouvées par les casses, vols, pillages et destruction;
3. le difficile accès au crédit bancaire;
4. l’endettement et les arriérés d’impayés des clients;
5. le manque de fonds de roulement;
6. la faiblesse d’investissement et d’expansion des activités basiques;
7. la fermeture des succursales tant à Abidjan qu’à l’intérieur du pays;
8. la déflation du personnel qui subit de plein fouet le chômage de longue durée;
9. la faiblesse et la tension de trésorerie;
10. les difficultés d’apurement de la dette intérieure, de remboursement des crédits TVA et de règlement des mandats édités par le Trésor Public.
Beaucoup de ces facteurs réducteurs ont été améliorés. Entre 2013 et 2015, ce sont 40 mesures de reformes qui ont été prises. Ce sont 9534 entreprises qui ont été créées en 2015, contre 6487 en 2014, soit une hausse de 45 % grâce aux reformes structurelles, sectorielle et institutionnelles. Avec un taux de croissance annuel moyen de 9% sur la période 2012-2015, le CEPICI a mobilisé 1828 milliards FCFA et contribué à la création de 113 mille emplois. Le volume des investissements est de 678 milliards FCFA en 2015 contre 426 milliards FCFA en 2014.
La Côte d’Ivoire a enregistré une faible avancée dans le dernier classement du Doing Business de la banque Mondiale, passant de la 147 place en 215 à la 142 en 2016 sur 189 économies.
” Le système fiscal actuel ne produit pas de ressources à la hauteur de la potentielle richesse de l’assiette fiscale de notre économie. En témoigne notamment, le taux de pression fiscale qui avec un niveau de 15,9% estimé en 2014, est en deçà du plancher communautaire de 17% au niveau de l’UEMOA “, disait le Premier Ministre, le 13 Mars 2015.
Il convient de noter utilement que le Chef du gouvernement a annoncé que les mesures contenues dans le rapport sur le système fiscal, après examen, seraient soumises en Conseil des Ministres, à la validation du Président de la République pour la mise en œuvre effective dès 2016.
Pour la CGECI, l’annexe fiscale 2016 n’a pas été consensuelle. Elle ne traduit que la seule vision des pouvoirs publics. Le Patronat ivoirien attend une réponse définitive au sujet de l’étude sur la reforme fiscale transmise au Premier Ministre en Mars 2015. Dans le cadre du dialogue et la concertation entre l’Etat et les organisations patronales, le consensus est la première ligne de défense contre les facteurs réducteurs de la performance, de la compétitivité, de l’attractivité, du développement et de la promotion des PME. Le consensus assure et entretient l’ordre. Mettre en exergue peu d’éléments sur une présentation positive de l’annexe fiscale 2016, de la part du secteur privé, déconstruit la perception vertueuse de l’annexe dans l’opinion, en terme de 24 articles, de mesures fiscales incitatives en faveur des PME pour relancer l’économie nationale, au travers de la confiance en l’Etat pour agir par des actions curatives, de sensibilisation, d’orientation et de mobilisation autour de l’amélioration de la compétitivité des entreprises.
Faire de la reforme fiscale un amalgame avec le bras de fer, une obsession non une proposition voire une instrumentalisation, c’est faire fi de
1. la pression fiscale qui peut être consensuelle, indicative ou impérative ;
2. la pression fiscale qui est un levier de collecte des recettes fiscales et une barrière de protection contre l’incivisme fiscal qui ne cesse de prendre de l’ampleur à cause de la pauvreté rampante et galopante en Afrique ;
3. la pression fiscale qui a une dimension politique et stratégique. Elle est un gage de sécurité financière et de prospérité économique nationale en Afrique;
4. la pression fiscale qui ne se combat pas dans un pays qui sort d’une crise violente, tragique et mortelle. On vit avec elle en harmonie, on la négocie et on la protège comme un trésor ;
5. la stabilité de la monnaie qui rend une économie compétitive avant la reforme fiscale ;
6. l’imminence du danger qui est de faire fondre les recettes fiscales comme neige au soleil et ne pas faire de la pression fiscale un rempart contre l’intrusion de l’évasion fiscale, la fraude, la contrebande qui dévorent l’économie.
La reforme fiscale n’est pas automatiquement un accélérateur qui permet au carnet de commandes des PME d’exploser, de générer des milliards de chiffres d’affaires et de créer des milliers d’emplois.
Pour rester dans la critique objective et constructive, les PME ne doivent pas toutes reprocher à l’Etat le retard dans l’élaboration et la mise en œuvre de la reforme fiscale, dont l’ampleur est au bout de la force de l’esprit d’équilibre entre la sécurité financière, en terme de performance dans la collecte des recettes fiscales vitales à la mise en oeuvre des ambitieux projets et programmes du second Plan National de Développement (PND) 2016-2020 évalués à 29.311 milliards FCFA à mobiliser et la prospérité économique nationale vers l’émergence à l’horizon 2020. Elles doivent balayer devant leurs portes pour éviter la moralisation excessive.
Peut-on envisager une reforme fiscale en profondeur digne de ce nom lorsque beaucoup de PME se caractérisent par des insuffisances criardes qui ne peuvent ni aspirer, ni mériter, encore moins renforcer la confiance du système financier.
La crise post électorale est devenue le beau prétexte des PME pour tenter de se soustraire à leurs obligations sociales et fiscales qu’elles n’ont jamais respectées avant la crise.
Peu de PME ont un système de comptabilité et de contrôle de gestion fiables, de bon business plan et de bons projets dont la rentabilité économique et financière est certaine, la durabilité des activités et résultats est assurée au plan technique, opérationnel, économique, commercial, financier, social et de la protection de l’environnement, dont les propositions d’atténuation des risques laissent à désirer, en terme de respect scrupuleux de l’orthodoxie financière et bancaire, en plus des collatéraux (garantie, sûreté réelle, hypothèque etc) / apport incontournable exigé qui est un signal fort quant à la robustesse financière de l’entreprise.
Avant la reforme fiscale, la transparence et le développement contre la corruption et l’évasion fiscale doivent être au premier plan des études et projets des organisations patronales et des acteurs du secteur privé. Il a été démontré que
1 l’Afrique a beaucoup progressé en matière de lutte contre la corruption et l’évasion fiscale faisant d’elles une partie intégrante de l’action gouvernementale. Cependant la corruption et l’évasion fiscale demeurent des maux pernicieux, endémiques, sournois, tentaculaieres et dévastateurs à éradiquer;
2. la lutte contre la corruption et l’évasion fiscale relève non seulement de la responsabilité du gouvernement mais aussi du secteur privé, du patronat, de la société civile et des médias;
3. il existe la grande corruption et la petite corruption;
4. la corruption se pratique sous forme d’argent, de népotisme et de détournement de deniers publics;
5. la lutte contre la corruption est un exercice itératif non ponctuel;
6.l’absence de leadership et de volonté politique brisent l’élan de lutte, accompagnent, développent et amplifient la corruption;
7.la lutte contre la corruption ne doit pas être isolée de l’intérêt des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire
8.la lutte contre la corruption et l’évasion fiscale nécessite plus de leadership (déclaration de patrimoine, mesures de prévention de la corruption), de ressources financières, matérielles, humaines, de bons avocats, de méthodes de lutte contre les flux illicites, de collaboration internationale en matière de disponibilité du renseignement, de l’accessibilité, de l’analyse, du traitement et d’échange de renseignement entre les administrations fiscales.
Laurent Maurice Kouakou
Chroniqueur expert consultant