L’édition 2018 du classement de Reporters Sans Frontières a mis en évidence une situation très mitigée de la liberté de la presse en Afrique. Pendant que des pays comme le Ghana, la Namibie et l’Afrique-du-Sud et quelques autres ont des scores louables, le reste du continent demeure encore marquée par une presse peu libre. Un constat qui reste identique à celui de ces dernières années. Qu’est-ce qui enclave tant la liberté de la presse en Afrique ?
Des restrictions législatives
La liberté de la presse est l’un des principes inhérents à la démocratie. Son absence ou sa limitation serait donc susceptible de mettre en péril l’équilibre démocratique. Or, cette situation peu souhaitable est la constante dans le continent. Le plus inquiétant est que dans certains pays, la liberté de presse est restreinte par des textes de lois qui visent à dissuader les journalistes d’avoir des positions dissidentes par rapport à celle prônée par le pouvoir en place. Certaines lois notamment celles de sources religieuses intègrent même des peines de mort pour punir les délits de presse et assimilés. Pour exemple, en Mauritanie, le blogueur Mohamed Ould Cheikh M’Kheitir a été condamné à la peine de mort en 2014 pour apostasie à cause d’un article publié sur son blog. Ce dernier demeure en détention même si la peine a été commuée en 2 ans de prison.
Les législations intègrent également des délits libres d’interprétations comme les « offenses au chef de l’Etat » durement sanctionnés. Deux agents du quotidien Newsday inculpés d’« insulte au président » en 2016 sont toujours en attente de leur procès au Zimbabwe. Ces dispositions législatives visent à inhiber la pensée critique chez les journalistes ou à les rallier. En Tunisie, en Côte d’Ivoire et au Bénin, des initiatives de lois ont été récemment prises pour restreindre la liberté d’expression dans l’espace numérique.
La mauvaise gouvernance politique
La presse, dans plusieurs démocraties, est érigée en institution de contre-pouvoir. Dans ce paradigme, la liberté de la presse est, entre autres, une arme de lutte contre la corruption et les détournements. Elle offre l’accès aux populations à des informations sur l’état de leur pays et sur la gestion des affaires publiques ; ce qui permet aux organisations de la société civile ou parfois à la justice d’interpeller les différents acteurs selon le pouvoir d’action à leur disposition. Or, l’état de la bonne gouvernance laisse à désirer sur le continent selon l’indice de bonne gouvernance de la fondation Mo Ibrahim qui révèle un score moyen de 50,8/100 au titre de l’année 2017. Les gouvernements, conscients de leurs tares, musèlent parfois la presse pour avoir la discrétion nécessaire afin de se livrer à des actes de gouvernance peu orthodoxes. En Guinée, le Président Alpha Condé a menacé de fermer tous les médias qui ne traiteraient pas la grève des enseignants débutée en novembre 2017 comme une rébellion. C’est également cet élan liberticide qui a occasionné en Erythrée l’arrestation et l’emprisonnement du journaliste Dawit Isaak et plusieurs personnes depuis 2001 pour avoir fait des allusions aux dérives autoritaires du régime. Aujourd’hui la quasi-totalité des médias appartient au régime selon Reporters Sans Frontières qui classe l’Erythrée avant dernier pour la liberté de la presse.
La dépendance financière
Les médias comme toute entreprise, ont des besoins financiers dont la satisfaction conditionne leur pérennité. Ils sont donc soumis en général à deux types de pression. D’une part, les médias publics qui sont tributaires des subventions se sont transformés en vecteur de propagande pour les gouvernements et leurs dirigeants. D’autre part, des médias privés servent de plateformes pour des groupes d’intérêt particulier. Les médias privés sont soit soumis à la pression des politiciens qui les financent en payant des prestations ; soit ils reçoivent des injonctions tendancieuses des actionnaires qui eux-mêmes sont politiciens ou lobbyistes. Ce dernier cas n’épargne pas les pays qui sont relativement bien logés dans le classement de Reporters Sans frontières. En juillet 2016 huit journalistes de la South African Broadcasting Corporation en Afrique du Sud, avaient été renvoyés pour avoir protesté contre l’ingérence de leurs patrons. En outre la publicité est utilisée comme moyen de pression pour rappeler à l’ordre les médias qui ont tendance à être trop critiques envers les pouvoirs. Pour s’être montrée contre un nouveau mandat du président Bouteflika, Hadda Hazem a vu le quotidien algérien El Fadjr, être privé de publicités publiques par l’Agence nationale d’édition et de publicité (Anep). Cette dépendance financière pousse les journalistes à l’autocensure.
Le manque de professionnalisme
Les métiers de la presse comme tout métier, ont une certaine déontologie. Si les gouvernements sont souvent critiqués quand il s’agit d’aborder la question de la liberté de la presse, il ne faudrait pas occulter la responsabilité des journalistes. En effet, ces derniers ont parfois peu d’égard à la déontologie qui régit leur métier. Cela se traduit par des cas de rétention d’informations en échanges de cadeaux. Ainsi, entre la conscience professionnelle et l’appât du gain, la crédibilité de la presse est compromise par quelques-uns. En 2014 le personnel de l’Office de Radio et Télévision du Bénin avait adressé une lettre à la Direction pour dénoncer la faute professionnelle d’un collègue à propos d’un reportage partisan et en déphasage avec la réalité observée sur le terrain. Bien entendu la moralité de certains professionnels est à interroger, mais la formation au sein des instituts de journalisme n’est pas en reste des causes du phénomène. Certes, les instituts existent et fleurissent même, mais les contenus de leurs formations demeurent discutables.
Au demeurant, la liberté de la presse en Afrique paraît fragile au regard des nombreuses et diverses difficultés qui l’accablent. Libérer la presse par rapport à toutes les dépendances juridiques et financières est incontournable pour qu’elle puisse servir de contre-pouvoir, condition sine qua non d’une véritable démocratie.
Mauriac AHOUANGANSI, doctorant-chercheur béninois
Article publié en collaboration avec Libre Afrique