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    Chronique du lundi – Trump et l’Afrique : la véritable tragédie est, pour l’Afrique, le demantelement de l’USAID, beaucoup plus que la fin de l’AGOA

    Chronique du lundi – Trump et l’Afrique : la véritable tragédie est, pour l’Afrique, le demantelement de l’USAID, beaucoup plus que la fin de l’AGOA
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    Le brutal démantèlement de l’USAID (1) et la fin de l’AGOA (2)

    Au lendemain de la chute de l’URSS et la fin de la ‘Guerre froide », le monde vit dans l’illusion suivante : tous les pays n’ont plus qu’un seul objectif, leur propre perfectionnement marchand et démocratique. L’Afrique dispose pour cela de quatre leviers : 1) l’Aide Au Développement 2) l’Aide humanitaire 3) les programmes de type AGOA 4) L’endettement. Ces quatre leviers, qui sont les symptômes d’une « mondialisation heureuse », s’avèrent, au fil des années, depuis les indépendances, totalement inefficaces pour industrialiser l’Afrique, créer des emplois et sortir le continent de la pauvreté. Il faut soigner et nourrir l’Afrique : on répond « aide humanitaire » ; il faut exporter les produits africains vers les Etats-Unis, on répond AGOA. L’Afrique renonce à toute bonne gouvernance économique, elle se contente de vivre de l’exportation de ses matières premières brutes (minerais, énergies fossiles, produits agricoles), de l’Aide au Développement, des programmes de type AGOA et de l’endettement.

    L’Afrique entre dans une nouvelle ère

    Trump ne regarde pas l’Afrique avec les yeux du vieux monde. D’ailleurs, il ne s’intéresse pas à l’Afrique, mais aux richesses minières dont regorge le sous-sol des Etats africains. Il applique une « diplomatie transactionnelle », proposant aux Etats africains, dans le cadre d’accords bilatéraux, un soutien en échange de l’exploitation de leurs ressources minières. Lorsqu’il s’est rendu, le 3 avril 2025, en République démocratique du Congo (RDC), le conseiller spécial de Donald Trump pour l’Afrique, Massad Farès Boulos, n’est pas venu apporter le soutien des Etats-Unis au président congolais Félix Tshisekedi, il est venu mettre en œuvre la « diplomatie transactionnelle » trumpienne : aide à la sécurité contre contrats miniers, la RDC disposant d’importantes réserves de terres rares et de minerais. Trump, qui fait peu de cas, à propos de l’Afrique, de tous les enjeux multilatéraux de développement et d’aide humanitaire, ne s’intéresse qu’aux accords bilatéraux signés par les Etats-Unis avec chaque Etat africain.

    La vraie tragédie pour l’Afrique : le démantèlement de l’USAID

    Le mur des droits de douane et la remise en cause de l’AGOA constituent certes une difficulté pour l’Afrique, mais elle peut être surmontée, pour deux raisons : 1) beaucoup de pays africains qui ne satisfont pas aux critères d’éligibilité de l’AGOA n’ont pas accès au marché américain 2) les États-Unis ne sont que la troisième destination des produits industriels africains, après l’Union européenne et le commerce intra-africain. Chaque Etat africain peut tirer des avantages de la « diplomatie transactionnelle », s’il sait mettre en place des partenariats gagnant-gagnant. La véritable tragédie pour l’Afrique est le démantèlement de l’Agence américaine pour le développement (USAID). Dans de nombreux pays africains, 100 % des fonds qu’ils reçoivent au titre de l’aide humanitaire sont supprimés, entraînant la fermeture des centres de vaccination (polio, tuberculose, VIH, etc.) et la fin des mécanismes de prévention des famines. Des millions d’Africains sont ainsi brutalement condamnés à mort.

    Une Chronique à lire comme un message d’alerte mobilisateur

    Avec cette Chronique, je souhaite délivrer à l’attention de l’Afrique un message mobilisateur. Les conséquences immédiates des droits de douane imposés par Trump à une vingtaine d’Etats africains, dont certains figurent parmi les plus pauvres du monde, auront un impact négatif sur des économies nationales déjà fragiles et qui éprouvent des difficultés pour se financer : insuffisance des recettes fiscales, réticences des bailleurs de fonds, accès difficile aux marchés financiers, alors que les besoins de financement, face aux urgences nouvelles, sont de plus en plus importants. Le mur des droits de douane construit par Trump ne se traduira pas par le total effondrement des économies africaines, car les flux commerciaux de l’Afrique avec les États-Unis restent relativement modestes. Il sera cependant nécessaire de quantifier plus précisément l’impact par secteur et par pays. Avec le départ de l’USAID, la véritable tragédie pour l’Afrique encore peu intégrée dans le commerce mondial est plus humanitaire qu’économique.

    Les leviers concrets dont disposent les pays africains pour défendre leurs intérêts peuvent-ils être mis en œuvre dans un temps court ? .Quel pays africain va acheter le cacao ivoirien, le cuivre et le cobalt de la RDC? Quelles alternatives crédibles à l’AGOA ? Quels mécanismes de négociation intra-africains ? Comment sortir de la malédiction des richesses du sous-sol africain ? Les réponses à ces questions et l’efficacité de ces réponses ne peuvent s’inscrire que dans un temps long, alors que le temps presse. Les perspectives de développement intégré de l’Afrique, telles qu’elles apparaissent avec le projet de la ZLECAf, sont encore trop lointaines.

    Les limites de la « diplomatie transactionnelle » de Trump

    Trump, élu dans un pays démocratique, dispose d’un temps court. Les autocrates disposent d’un temps long, voire d’un pouvoir éternel comme en Russie, en Chine, en Corée du Nord, en Iran. Trump a pleinment conscience de ce temps court, ce qui le conduit à multiplier les prises de décisions brutales. Son premier mandat a montré que Trump se désintéresse très vite des questions complexes. On se souvient du « deal » espéré de dénucléarisation de Pyongyang, resté sans lendemain, Il fait aujourd’hui la même promesse sur la situation en Ukraine, à Gaza ou sur le nucléaire iranien, sans résultat. La diplomatie trumpienne, brutale, grossière et humiliante, n’est qu’oratoire. Elle montre ses limites face à des puissances décomplexées dirigées par des autocrates qui disposent d’un temps long.

    Le désordre provoqué par Trump, doit conduire l’Afrique à s’engager sur la voie de la bonne gouvernance économique avec, comme seules boussoles, le développement et la défense de ses intérêts. Derrière chaque décision de Trump, se cache une menace. Lorsqu’il n’impose pas de droits de douane sur les exportations des minerais africains, c’est à nouveau le piège des économies de la rente qui risque de se refermer sur l’Afrique.

    Les Africains doivent avoir à l’esprit le Discours prononcé par Lord Palmerston, en 1848, à la Chambre des Communes du Royaume-Uni : « L’Angleterre n’a pas d’amis ou d’ennemis permanents ; elle n’a que des intérêts permanents et ces intérêts sont la seule obligation que nous devons suivre. » Trump, qui n’agit pas par solidarité ou géopolitique traditionnelle, ne s’est fixé qu’une seule obligation : éradiquer, à travers les « deals » de la « diplomatie transactionnelle », l’abyssal déficit commercial de l’Etat fédéral.

    (1) L’USAID, qui emploie plus de 10 000 personnes dans plus de 120 pays, gère un budget de près de 43 milliards de dollars, ce qui représente 42% de l’aide humanitaire mondiale et à peine 1% du budget des États-Unis.
    (2) L’AGOA représente un intérêt économique certain pour de nombreux pays africains. Lorsqu’il était Premier ministre, Patrick Achi avait su négocier, dans le cadre de l’AGOA, des accords économiques importants pour la Côte d’Ivoire.

    Christian GAMBOTTI – Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@afriquepartage.org

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