À l’invitation de la Section ivoirienne de l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie (APF), se tient, à Abidjan, du 3 au 5 avril 2023, la XIVè Conférence des Présidents d’Assemblées et de Sections de la Région Afrique.
Pour Bachir Amadou Dieye, Conseiller principal à l’APF, Responsable de la Région Afrique, « Cette réunion vise à préparer la 29ème Assemblée régionale Afrique qui se tiendra au mois de mai 2023. Il s’agit aussi, pour les Présidents d’Assemblées et de Sections, d’échanger sur le fonctionnement de l’AFP dans la région et de voir comment on peut améliorer ce fonctionnement, alors que l’absence de certaines Sections africaines aux travaux des instances de l’APF se prolonge. Les thèmes liés aux dynamiques contemporaines seront abordés, que ce soient les crises politiques et sociales dans la région ou les urgences auxquelles la région doit faire face (sécurité alimentaire, lutte contre le réchauffement climatique et la désertification, etc.). Ce sera l’occasion de revenir sur les initiatives parlementaires des dix dernières années. »
L’APF, un lieu de débats, de propositions et d’échanges
L’Assemblée parlementaire de la Francophonie est un lieu de débats, de propositions et d’échanges d’informations sur tous les sujets d’intérêt commun à ses membres. Organisation supranationale, l’APF agit dans le respect des souverainetés nationales. Les décisions prises par l’APF se font dans le cadre des organes propres à l’AFP et non pas dans celui d’une réunion des Chefs d’État.
Pour simplifier, on peut dire qu’au sein de l’ONU, une organisation internationale, ce sont les États qui coopèrent ; dans le cas de l’APF, organisation supranationale, ce sont les chambres parlementaires qui coopèrent sans avoir autorité sur les États et leur organisation politique. Dans la présentation de l’APF, on peut lire : « L’Assemblée parlementaire de la Francophonie adopte des résolutions sur des sujets intéressant la communauté francophone dans les domaines politique, économique, social et culturel. Elle adopte également des avis et des recommandations destinés à la Conférence ministérielle de la Francophonie et au Conseil permanent de la Francophonie ainsi que des recommandations destinées aux Chefs d’État et de Gouvernement des pays ayant le français en partage. » Se pose alors la question de l’intérêt que représente un espace qui réunit des pays qui ont « le français en partage ».
La francophonie : espace néocolonial ou espace de développement ?
Pour Alain Mabanckou, écrivain franco-congolais qui a refusé de participer au projet francophone d’Emmanuel Macron, « La Francophonie est malheureusement encore perçue comme la continuation de la politique étrangère de la France dans ses anciennes colonies.»
Le français est-il une langue de soumission à un ordre néocolonial ou une simple langue de travail qui réunit dans un même espace des États qui partagent un ensemble de valeurs ? La francophonie, comme le Franc CFA, donne toujours l’occasion de revenir sur le colonialisme, la décolonisation et les relations entre l’Afrique et la France. Bien entendu, ces débats n’appartiennent pas au passé, mais dans quelle encre doit-on tremper la plume qui écrit sur la francophonie, une encre politique, très idéologisée, ou une encre qui promeut une francophonie plurielle au service du développement de l’Afrique ?
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Pour ma part, j’ai lu tous les livres d’Alain Mabanckou, un très grand écrivain, mais sa vision très politique de la francophonie constitue l’exemple même d’une démarche qui s’éloigne de la vision prospective d’un Mandela. Alain Mabanckou refuse de gravir les unes après les autres les collines (1) de Mandela, lorsqu’il déclare : « L’organisation internationale de la francophonie (OIF) est dirigée par un ou une secrétaire qui est élu par l’ensemble des membres qui constituent la francophonie. Parmi ses membres, il y a des pays africains. Et parmi ses pays, plus de 80 % sont des pays de dictature. »
Il ne dément pas l’affirmation, très discutable, du journaliste qui l’interroge sur France Inter, Nicolas Demorand : « La langue française, c’est la langue de la dictature. » Alain Mabanckou en appelle à une « francophonie des peuples » qu’il oppose à la francophonie institutionnelle.
Faut-il renoncer à la francophonie institutionnelle ? Loin d’être « le faux nez d’un passé colonial » (Emmanuel Macron), la francophonie institutionnelle est un espace de coopération et de développement avec le français comme langue de travail, chaque État membre de cet espace conservant sa souveraineté et sa liberté de choix dans les partenariats qu’il noue avec d’autres États et dans les grandes orientations des politiques publiques.
Le cadre de la francophonie institutionnelle et l’esprit de la francophonie économique
L’Afrique est le pivot d’une francophonie économique qui, aujourd’hui encore, largement sous-exploitée. Il ne s’agit pas pour la France de faire de la francophonie uniquement un enjeu culturel et pour l’Afrique de subir le poids culturel de la langue française. Pour l’Afrique, comme pour la France, la francophonie est un enjeu économique et stratégique.
Les soubresauts de la géopolitique contemporaine, avec la nouvelle donne que représente la guerre en Ukraine et la redistribution des zones d’influence, n’obligent pas les États africains à choisir un camp, l’« Occident collectif », contre l’autre, le « Sud pluriel ». Quelle est la force de frappe économique qui va permettre à l’Afrique de poursuivre sa route sur la trajectoire du développement en évitant les dangers que représente l’aventurisme politique ?
Les chiffres plaident en faveur de l’espace francophone avec ses 88 États-membres et gouvernements qui regroupent 300 millions d’habitants, pèsent 16 % du PIB mondial, connaît un taux de croissance moyen de 7 %. Jacques Attali expliquait déjà, en 2014, dans un rapport, que « deux pays partageant des liens linguistiques tendent à échanger environ 65 % plus que s’ils n’en avaient pas ».
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On voit peut accélérer le développement du commerce intra-africain. Que la France, soumise à une concurrence féroce, ait perdu la moitié de ses parts de marchés en Afrique, au profit de la Chine, de la Turquie et d’autres États, n’est pas le fond des débats de cette XIVè Conférence des Présidents d’Assemblées et de Sections de la Région Afrique de l’APF.
Comme l’a très justement dit devant le MEDEF international, à Paris, Patrick Achi : « l’Afrique n’est plus l’Afrique, l’Afrique a changé ». Cette Conférence de l’APF, qui se tient à Abidjan, montrera que l’Afrique reste certes le poumon de la francophonie, mais que la francophonie n’est plus la francophonie, la francophonie a, elle aussi, changé.
Le jeudi 7 juillet 2022, à Kigali, lors de l’ouverture de la 47ème session de l’APF; Adama Bictogo, le président de l’Assemblée nationale ivoirienne, qui occupait alors provisoirement la tête de l’organisation, exprimant sa confiance dans les parlements francophones et son amour de l’Afrique, avait appelé à un « parlementarisme nouveau ». Lors de l’Allocution de bienvenue qu’il prononcera le lundi 3 avril devant les Présidents d’Assemblées et de Sections de la Région Afrique de l’APF, Adama Bictogo, puissance invitante, ne manquera pas de lancer le même appel, afin d’améliorer le fonctionnement de l’organisation francophone en Afrique et rendre plus efficaces les mécanismes de coopération et son action auprès des pouvoirs publics et des instances internationales.
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(1) Nelson Mandela. : « J’ai découvert un secret : après avoir gravi une colline, tout ce qu’on découvre, c’est qu’il reste beaucoup d’autres collines à gravir. » L’espace francophone, comme l’Union Africaine, a beaucoup d’autres collines à gravir avant d’atteindre son objectif : bâtir un espace démocratique et prospère.
Christian GAMBOTTI – Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Directeur général de l’Université de l’Atlantique- Directeur du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur des Collections L’Afrique en Marche, Planète francophone – Essayiste, chroniqueur, politologue, géopoliticien. Contact : cg@afriquepartage.org`