Le Cameroun a opté pour l’économie du marché le 28 juillet 1989 par la loi n°89/01. Il avait ratifié l’accord de Marrakech portant institution de l’OMC par décret n°5/194 du 26 septembre 1995 et avait institué la concurrence par la loi n°98/13 du 14 juillet 1998. Le 18 juillet 2014, le parlement camerounais adoptait la loi n°2014/013 autorisant la ratification de « l’APE d’étape » (Accord de partenariat économique). Cela avait été fait par décret présidentiel n°2014/267 du 22 juillet 2014. Cet accord devait entrer en vigueur le 04 août 2014 et le démantèlement tarifaire devait commencer le 04 août 2016. Le problème est que tout cela s’est passé sans débats démocratiques en violation des principes de participation et de représentation. Le projet de loi portant ratification de l’APE intérimaire avait été introduit à l’Assemblée nationale à deux jours de la fermeture de la session parlementaire de juin 2014. Doit-on l’admettre sans réserve ?
Certainement pas car, comme nous le montrerons dans ce qui suit, des écarts existent entre l’APE tel que formulé aujourd’hui et les principes du libre-échange. Donc si les accords de libre-échange sont les bienvenus, ils doivent en respecter la philosophie et la quintessence. Or, la politique commerciale pratiquée par l’UE s’apparente plutôt au mercantilisme visant l’enrichissement des nations au moyen d’un commerce extérieur tendancieusement organisé pour déverser ses produits sur le marché camerounais en maintenant à l’interne des mesures de protectionnisme. Le libre-échange ne conçoit pas le commerce comme un enjeu de puissance ou un jeu à somme nulle dans lequel le gain réalisé par un agent se traduit par la perte d’un autre agent. Il est plutôt un jeu à somme positive dans lequel chaque partie développe librement son avantage comparatif. Dans l’accord APE tel qu’il a été conçu, l’Europe gagne le marché des équipements dans lequel elle surclasse le Cameroun et neutralise l’avantage comparatif du Cameroun en agriculture par exemple par des barrières non-tarifaires (normes sanitaires et phytosanitaires, environnementales, de travail ; règle d’origine, taille des produits, etc.) et des subventions. A ce sujet, Paul Bairoch disait que le monde occidental est « un océan de protectionnisme»[1]. Il existe une différence nette entre le libre-échange et ce mercantilisme dans la mesure où le premier est favorable à la concurrence et au mérite, alors que le second encourage les monopoles des multinationales et le protectionnisme.
Le libre-échange n’est pas une « guerre économique » entre les nations. Il ne favorise pas les intérêts particuliers de quelques industries au détriment de l’intérêt général. Par exemple, l’UE consacrait dans la filière avicole 90 millions d’euros (environ 60 milliards de FCFA) par an à l’exportation du poulet profitables à quelques multinationales au détriment du reste des acteurs du marché. L’accord APE n’exclue pas ces subventions accordées généreusement aux entreprises européennes et représente ainsi une menace pour le libre-échange au Cameroun dans la mesure où elle ouvre la voie à la concurrence déloyale et aux pratiques de dumping.
Mieux, les APE sont inspirés de la pratique d’avantage comparatif exogène (déjà donné par la nature ou la géographie, etc.), qui, de par son caractère statique, pourrait justifier l’exclusion ou la non participation aux échanges en l’absence d’un avantage à faire valoir à un moment donné. Ainsi, quand les APE positionnent l’Europe sur le marché des équipements, ils font comme si les entreprises d’équipement ne pouvaient pas se développer au Cameroun. Il faudrait plutôt s’inspirer d’une conception endogène de l’avantage comparatif qui suppose le développement de la compétitivité à travers un processus d’apprentissage essai-erreur. C’est en forgeant qu’on devient forgeron !
Le plan exogène de modernisation de l’économie camerounaise dans la perspective de l’entrée en vigueur de l’APE qui était une espèce de subvention généraliste aux entreprises existantes entre 2014 et 2016 n’a pas été activé. Tant mieux puisqu’il aurait fallu à la place de ces subventions des contrats-programmes (donnant-donnant) ciblés et basés sur la culture de la performance. Aussi, la loi de février 2013 fixant les incitations à l’investissement privé au Cameroun attend toujours son décret d’application. Il convient de dire que l’ouverture du marché camerounais doit être progressive et conditionnée par l’effectivité et le suivi de ces réformes garantissant l’amélioration du climat des affaires.
Aussi, le libre-échange suppose l’égalité de traitement sur le marché. Or, le Cameroun a aussi signé plusieurs accords avec d’autres partenaires commerciaux dont la Chine et le Nigéria, respectivement premier et deuxième fournisseurs du pays. Par exemple, le Cameroun et le Nigéria ont signé le 11 avril 2014 un accord commercial dénué de toutes barrières non-tarifaires et avantageux pour le commerce transfrontalier (près de 500 milliards de FCFA de volume d’échanges en 2013). Cela fait de l’accord APE une sorte de «dumping fiscal».
En effet, le libre-échange ne fonctionne que lorsqu’il y a transparence et libre compétition sur le marché : Au 10 décembre 2015, date de la tenue à Yaoundé d’un séminaire d’information sur l’état de la mise en œuvre de l’accord APE-Cameroun, il n’y avait pas d’information précise sur le démantèlement tarifaire en question. Du côté de l’UE, le projet de régime commun sur les règles d’origine dans le cadre de l’APE n’était pas validé et il était impossible de savoir ce que voulait dire « produits en provenance de l’UE ». L’UE suggérait que les règles d’origine applicables sur ses exportations vers le Cameroun soient celles du Règlement d’Accès au Marché (RAM) 1528/2007, or elles étaient obsolètes au regard du Règlement 1063/2010/CE plus récent et plus avantageux à l’économie camerounaise.
En conclusion, l’accord APE ne procurera l’avantage mutuel que lorsqu’il respectera les principes du libre-échange et utilisera des méthodes démocratiques dans sa mise en œuvre, ce qui implique la réforme de la gouvernance de ces accords. Pour sa part, le Cameroun devrait entreprendre des réformes (Etat de droit, lutte contre la corruption et la rente, amélioration du climat des affaires, etc.). Ces réformes concernent aussi la mise en place d’un laboratoire de contrôle sanitaire des produits entrants. Par exemple, dans un communiqué datant du 21 avril 2016, le Ministère du Commerce ordonnait le retrait du marché camerounais de certaines confiseries impropres à la consommation humaine. Ces exemples sont légions et nocifs pour l’économie et la santé publique au Cameroun.
Par Louis-Marie Kakdeu, PhD & MPA
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.