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    Chronique du lundi – Afrique subsaharienne : croissance démographique versus croissance économique

    Chronique du lundi – Afrique subsaharienne : croissance démographique versus croissance économique
    Publié le
    Par
    Christian Gambotti
    Lecture 6 minutes
    Salon des banques de l'UEMOA et des PME

    C’est une évidence : l’Afrique évolue, se transforme et elle s’installe sur le chemin de l’émergence. L’Occident, de plus en plus déstabilisé par une mondialisation qui lui échappe, construit un récit qui prétend que nous sommes entrés dans un « siècle africain », après avoir dit, dans les années 1990, que nous étions dans un « siècle asiatique ».

    Le XXIè siècle ne sera ni asiatique, ni africain, ni américain, ni européen. Nous vivons dans un monde multipolaire et multiculturel  dans lequel plusieurs pôles de décision se concurrencent. La guerre en Ukraine montre que l’Afrique, qui ne veut plus s’aligner sur les positions de l’un des anciens blocs dominants, est en passe de devenir, dans le système actuel des relations internationales, l’un des acteurs majeurs des décisions géopolitiques, géoéconomiques et géostratégiques qui structurent la multipolarité.

    Autre évidence : si une partie de l’avenir de l’humanité se joue bien en Afrique, ce n’est pas pour le formidable potentiel de développement d’un continent qui regorge de richesses naturelles. Le défi majeur qui attend l’Afrique subsaharienne est bien celui de son développement, mais il existe un paramètre qui freine son émergence : la forte croissance démographique. Depuis son entrée dans le XXIè siècle, l’Afrique subsaharienne a connu, jusqu’en 2019, une forte croissance économique.

    Avec un taux de croissance de plus de 5 % par an, de nombreux Etats subsahariens ont affiché leur volonté s’inscrire sur la trajectoire de l’émergence et, pour certains comme la Côte d’Ivoire, de devenir des pays à revenu intermédiaire, selon la typologie de classement des pays par la Banque mondiale (BM) en fonction de leur Revenu National Brut (RNB) par habitant. Sans parler des crises successives, – crise sanitaire de la Covid 19, guerre en Ukraine  et crise climatique -, qui ont fortement ralenti cette croissance, la démographie africaine, galopante et encore incontrôlée, est un facteur qui ralentit le développement du continent et un phénomène qui façonne déjà le XXIè siècle, notamment à travers les flux migratoires Sud-Nord, légaux ou clandestins, pour des raisons politiques, économique et, aujourd’hui, environnementales.

    Croissance démographique vs croissance économique

    arce que la démographie est mieux contrôlée dans de nombreux pays,  la croissance de la population mondiale s’établit désormais à 1% par an. Elle a été divisée par deux depuis les années 1960. En revanche, parce que la fécondité reste élevée, la population de l’Afrique subsaharienne continue de croître de 2,7 % par an. De 100 millions d’habitants en 1900, la population de l’Afrique est passée à 275 millions dans les années 1950-1960, puis à 640 millions en 1990 et à 1,4 milliard en 2022, ce qui représente 18 % de la population mondiale. Selon la projection démographique intermédiaire de l’ONU la population de l’Afrique se situerait, en 2050, aux environs de 2,5 milliards et, à la fin du siècle, à 4,4 milliards. Véritable bouleversement, les Africains représenteront alors 40 % de la population mondiale.

    Le dividende démographique est présenté, par l’Union africaine, comme un avantage qui permet d’accélérer le développement de l’Afrique « lorsqu’un pays jouit d’une proportion relativement grande de sa population en âge de travailler en raison de la baisse du taux de fécondité », ce qui est loin d’être le cas. En effet, l’Afrique subsaharienne voit arriver chaque année des millions de nouveaux entrants sur un marché de l’emploi, qui se caractérise par un chômage de masse et la multiplication des emplois précaires. Pour l’Union africaine, les opportunités économiques ne pourront être créées qu’à la condition « d’investir efficacement dans la santé, l’autonomisation, l’éducation et l’emploi à travers l’action publique et l’engagement du secteur privé ».

    Il faut ajouter le nécessaire appui des bailleurs de fonds (FMI, Banque mondiale, Banques Multilatérales de Développement, les BMD), ce qui conduit les Etats africains à s’endetter et à supporter la charge de la dette. Les économies de l’Afrique subsaharienne sont encore très fragiles et les Etats ne disposent pas des moyens budgétaires nécessaires au financement de l’emploi, l’éducation, la santé, le logement, etc. Les causes sont multiples et largement documentées : politiques économiques inadaptées, fluctuations des prix des matières premières, programmes d’ajustement structurel, etc. Une cause n’est pas suffisamment prise en compte : la très forte croissance démographique.

    Un marché de l’emploi qui pénalise la jeunesse, notamment la jeune fille africaine et les femmes

    En 2050, la moitié des habitants de l’Afrique subsaharienne aura moins de 25 ans, ce qui pose la question de la capacité des économies à absorber les millions de nouveaux entrants sur le marché de l’emploi. Les jeunes représentent aujourd’hui 60 % des chômeurs en Afrique, et, lorsqu’ils ont un emploi, l’immense majorité d’entre eux se situent dans le secteur de l’économie informelle. Un Rapport de l’Organisation internationale du travail (OIT)  avance les chiffres suivants : en Afrique, 94,9 % des personnes entre 15 et 24 ans travaillent dans l’économie informelle. Ce chiffre atteint 97,9 % en Afrique de l’Ouest. De nombreux Etats africains, pour des raisons culturelles, ne peuvent élargir l’éducation aux filles et offrir aux femmes des opportunités économiques et plus de pouvoir, les taux de fécondité restant très élevés. Au Niger, les femmes déclarent vouloir neuf enfants, les hommes treize.

    La démographie galopante et incontrôlée est à la fois, en Afrique, un facteur de ralentissement du développement économique et un facteur de très forte contestation sociale et de mobilité forcée L’histoire récente de l’Afrique subsaharienne montre que les insurrections populaires se multiplient, entraînant la chute des gouvernements civils (Burkina Faso) ou des coups d’Etat militaires (Mali). A l’échelle de la planète tout entière, nous ne sommes qu’au début des bouleversements politiques, économiques culturels et écologiques majeurs que provoque déjà la démographie africaine. L’Afrique est confrontée à un défi démographique majeur qui oblige les pays riches à refonder, au profit du continent et de l’ensemble des pays émergents, le pacte financier mondial.

    La démographie africaine façonnera le XXIe siècle

    Dernière évidence : l’Afrique est la partie du monde qui va contribuer le plus à la croissance de la population mondiale d’ici la fin du XXIè siècle. Les pays riches, dont la population vieillit, auront, devant eux, le poids démographique de l’Afrique. Sur la démographie africaine, les récits se multiplient, optimistes avec la mise en avant du dividende démographique, pessimistes avec la question des flux migratoires. Ni optimiste, ni pessimiste, mais la prise en compte d’une réalité : en 2050, la population active en Afrique sera cinq fois plus importante que celle de l’Europe, mais aussi plus importante que celle de l’Inde et de la Chine réunies. Il faut donc donner à l’Afrique les moyens techniques et financiers de consolider son développement. Les indicateurs démographiques africains obligent les pays riches à mettre en œuvre, de façon urgente, des réorientations fortes et nouvelles du financement de l’Afrique. Ces orientations devront prendre en compte une priorité nouvelle : la régulation de la fécondité, qui devient une priorité politique. Face à cette question, l’école reste le plus sûr vecteur de changement.

    Christian GAMBOTTI – Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage –  Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@agriquepartage.org

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