Lancé en 2008, destiné à empêcher l’extension du désert du Sahara vers le sud, le projet de l’Union Africaine, qui vise à ériger une barrière de forêts et de végétation au Sahel sur une longueur de 7 800 km et une largeur de 15 km de large, n’a été réalisé qu’à hauteur de 15 %. L’objectif n’est pas simplement d’arrêter le désert, lutter contre le réchauffement climatique en stockant du carbone et restaurer la biodiversité en plantant des millions d’arbres. Il s’agit de créer les conditions d’un développement économique et social, afin d’améliorer les conditions de vie des populations sahéliennes qui vivent dans des pays qui comptent parmi les plus pauvres de la planète et qui subissent l’impact du changement climatique.
Au nord du Mali, des dunes Le lac Faguibine est asséché depuis 2021, un gaz émanant du sol brûle les rares arbres qui restent, rendant la terre incultivable. Les terres arables autrefois irriguées par les crues du fleuve Niger laissent la place à des dunes. Les ressources de la pêche ayant disparu et le déclin de la culture et de l’élevage étant une réalité, l’insécurité alimentaire entraîne de nombreux exodes. Les conflits pour la terre, instrumentalisés par les groupes terroristes, se multiplient entre les agriculteurs et les éleveurs. La cartographie montre que le tracé de la « Grande muraille verte » et la bande sahélienne se superpose. Au moment où le projet de la « Grande muraille verte » est relancé, il est urgent urgent de mettre en cohérence l’ambition écologique et le volet du développement.
Intégrer les enjeux du développement à ceux de l’écologie
L’initiative associait au départ 11 pays : les pays du G5 Sahel, – Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad -, auxquels s’ajoutent le Sénégal, le Nigeria, le Soudan, l’Érythrée, l’Éthiopie et Djibouti. D’autres pays ont rejoint le projet, des organisations internationales et le secteur privé y participent. L’initiative s’est, à juste titre, éloignée de l’idée de « barrière verte ». L’ancien Secrétaire exécutif de l’Agence de la Grande Muraille verte, le géologue sénégalais Abdoulaye Dia, pouvait déclarer : « Ce n’est pas seulement un rideau d’arbres. C’est un projet intégré pour sortir des grandes difficultés comme l’impact du changement climatique en intégrant les problèmes de développement socio-économiques. » Abdoulaye Dia définit ce que doit être la véritable feuille de route des États africains et de leurs alliés dans la région ; lutter contre « l’impact du changement climatique en intégrant les problèmes de développement socio-économiques ».
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Le Tchadien Brahim Seid, nouveau Secrétaire exécutif de l’APGMV (Agence Panafricaine de la Grande Muraille Verte), insiste sur la question du développement socio-économique, afin d’améliorer les conditions de vie des populations sahéliennes. Le projet ne consiste plus, selon le Docteur Brahim Seid, à planter seulement des millions d’arbres. Il s’agit aussi, par la diversité des moyens, de cultiver, d’irriguer, fixer les dunes et créer 10 millions d’emplois « verts » d’ici 2030. Dans le cas particulier des pays du G5 Sahel, le projet de la « muraille verte » doit s’inscrire dans le volet « développement » mis en œuvre au Sahel avec l’appui de l’Union Européenne et de la communauté internationale.
En accédant à la présidence du G5 Sahel, le Chef de l’Etat tchadien, Mahamat Idriss Déby, a tenu à dire qu’il ne pouvait pas y avoir de paix durable et de retour à la sécurité sans un développement économique et social de la région. La réponse aux défis que doit relever le Sahel n’est pas uniquement sécuritaire, comme elle n’est pas uniquement écologique ou dans la restauration de la biodiversité. Planter des arbres, c’est bien. Est-ce suffisant ? Evidemment, non. Il faut donc conduire, en parallèle, et mettre en cohérence le projet de la « muraille verte », les projets de développement, le volet sécuritaire et l’application des principes de bonne gouvernance.
Un projet ambitieux qui se heurte à de nombreux obstacles
Mettre en cohérence le projet ambitieux de la « Grande muraille verte » et le volet « Développement » du G5 Sahel se heurte à quatre obstacles : le financement, la situation politique au Sahel, la faiblesse des Etats et la multiplication des acteurs qui se précipitent pour aider les pays du G5 Sahel. Le financement est un objectif qui peut être atteint. 20 millions de dollars viennent d’être injectés afin de relancer le projet de la « Muraille verte ». C’est donc une étape nouvelle qui s’ouvre dans la lutte contre la désertification. Cette lutte atteindra sa véritable dimension, lorsque qu’elle aura pleinement intégré le développement socio-économique. Il reste trois obstacles qui sont plus difficiles à surmonter : l’évolution de la situation politique dans la région du Sahel, la faiblesse des États et l’application des principes de bonne gouvernance. Rien n’est possible sans stabilité politique.
Le double coup d’État militaire au Mali et la tentative de coup d’État au Burkina ne font que rendre plus visible cette instabilité chronique, qui préexiste avant le renversement des gouvernements civils par les militaires. Les sanctions prises par la CEDEAO et l’Union Africaine contre la junte militaire malienne, ce qui embarrasse des États comme la Mauritanie prise entre sa solidarité avec la CEDEAO et ses liens avec le Mali, peuvent-elles contribuer à accélérer un retour à l’ordre constitutionnel au Mali et aux alliances traditionnelles dans la région ? La situation politique est plus complexe avec un renversement des alliances qui voit le Mali se tourner vers la Russie. C’est un nouvel ordre mondial qui se dessine dans la région et en Afrique. La question n’est pas simplement franco-malienne ou occidentalo-sahélienne, elle est géopolitique et géostratégique.
La faiblesse des États est un autre obstacle majeur, alors que le principal acteur de la lutte contre la pauvreté et la précarité devrait rester, dans cette région qui est l’une des plus pauvres du monde, l’État. Mais, les États n’ont ni les ressources financières, ni la puissance militaire, pour assurer le développement économique et la sécurité au plan national et dans la sous-région. Le Tchad, qui affirme une solidarité sans faille avec les pays de la sous-région dans le domaine de la sécurité et l’accueil des réfugiés, est peu aidé dans son développement socio-économique. Il reste le retard dans l’application des principes de bonne gouvernance : démocratisation des institutions, réconciliation nationale, lutte contre la corruption, accès aux services de base. Répondre aux aspirations des populations, ce n’est pas simplement planter des arbres et restaurer la biodiversité.
Christian GAMBOTTI, Agrégé de l’Université,
Président du think tank Afrique & Partage
Directeur des Collections L’Afrique en Marche, Planète francophone
Directeur de la rédaction du magazine Parlements & Pouvoirs africains –
Directeur général de l’Université de l’Atlantique.