Bâtir une Côte d’Ivoire unie et prospère avec une croissance forte et un meilleur partage des richesses, réconcilier les Ivoiriens entre eux, faire de l’éducation le personnage principal du développement, industrialiser le pays pour créer des emplois, transformer localement les matières premières brutes pour créer de la valeur ajoutée, permettre l’émancipation des femmes, offrir des opportunités économiques à la jeunesse, consolider les institutions, accélérer l’épanouissement démocratique, assurer la sécurité du pays et des populations, prendre toute sa place dans le commerce intra-africain et la mondialisation, participer aux dynamiques contemporaines géopolitiques et géostratégiques, rayonner culturellement et diplomatiquement, tel est, à l’horizon 2030, le parfait programme de tout parti politique qui aspire à construire une grande nation souveraine et améliorer les conditions de vie des populations. Un tel programme n’est désormais plus suffisant, car, comme tous les pays du monde, notamment les pays du Sud, la Côte d’Ivoire doit faire face à des urgences nouvelles : la lutte contre le réchauffement climatique, la dégradation des terres, la désertification et la sécheresse ; la gestion de l’eau ; la protection de la biodiversité.
Obligée de répondre à la demande de performance environnementale, La Côte d’Ivoire se retrouve entre le vert (la protection de la nature) et le bleu (la gestion des ressources en eau). Pour Alain-Richard Donwahi, le président de la COP 15, « La protection de la nature et de la biodiversité, la restauration des terres, la reforestation et la gestion de l’eau sont des projets politiques en lien avec le développement d’une économie verte, c’est-à-dire l’exploitation durable et renouvelable des ressources naturelles » On parle d’« or vert » et d’« or bleu » pour remplacer l’ « or marron » et l’ « or noir ». La Côte d’Ivoire s’est construite sur son « or marron » (cacao, café, anacarde). Le pays est en passe de devenir un producteur important d’« or noir » (pétrole) et de gaz naturel .
Mais, on sait aujourd’hui, que, pour tous les pays, la performance économique et sociale ne peut pas être détachée de la performance environnementale. La Côte d’Ivoire doit donc trouver un équilibre entre le « vert » (la protection de la nature), le « bleu » (la gestion de l’eau), le « marron » (modernisation des plantations traditionnelles de cacao, café et anacarde) et le « noir » (la production de pétrole). Pour Justin Koffi N’Goran, directeur de l’ARRE (1), « la modernisation du secteur de l’anacarde montre que la Côte d’Ivoire se retrouve à la croisée des chemins de l’économie, du social et de l’écologie. Le secteur de l’anacarde ne se fonde plus sur le modèle ancien qui a privilégié la déforestation massive et l’utilisation d’intrants chimiques. Sa modernisation conduit les nouvelles générations de producteurs à se tourner vers l’agroforesterie et les bio-pesticides. »
Prendre soin du « vert » : protéger la nature
Dans le droit fil de la conférence de Rio de Janeiro (1992), la Côte d’Ivoire adopte, en 1995, un « Livre Blanc l’Environnement de Côte d’Ivoire ». Le diagnostic est précis. La Côte d’Ivoire est déjà confrontée, à cette époque, à de graves problèmes environnementaux : déforestation massive (1), dégradation des sols, pollution de l’air, eutrophisation des eaux, urbanisation incontrôlée, etc. Mais, du côté des pouvoirs publics comme des populations, la conscientisation environnementale reste insuffisante. Les difficultés d’accès aux données
environnementales n’expliquent pas tout. Les maladies liées à la dégradation de l’environnement (utilisation des pesticides, pollution de l’air) restent silencieuses. La nécessité de gérer de façon rationnelle les ressources naturelles (la terre et l’eau) et de promouvoir le développement durable n’est pas encore une priorité absolue. La Côte d’Ivoire, comme toute l’Afrique et le reste de la planète, a continué de croire que les ressources naturelles constituent un stock inépuisable autorisant une surexploitation. Lors du Sommet de Copenhague de 2009, la communauté internationale a refusé d’entendre ce que l’Afrique avait à dire en matière de lutte contre le réchauffement climatique. La COP 21, qui s’est déroulée à Paris en 2015, a été beaucoup plus à l’écoute de l’Afrique sur les questions environnementales. Depuis son accession au pouvoir, Alassane Ouattara a placé l’environnement au cœur des urgences ivoiriennes, non sans rappeler la responsabilité secondaire du continent africain dans la pollution mondiale et le dérèglement climatique. Ouattara s’indigne des leçons que les pays riches continuent de donner à l’Afrique en matière de protection de l’environnement, déclarant que, « jusqu’à il y a trente ans, ¬[ces pays] utilisaient le charbon et ont pollué le monde entier. » Le Rapport Pays des Nations Unies consacré à la Côte d’Ivoire montre que le pays s’est engagé politiquement sur trois points pour la protection de l’environnement : (a) la ratification de nombreux accords et conventions internationales, (b) la mise en place de cadres politique, institutionnel et juridique, (c) le soutien aux secteurs économiques et aux domaines environnementaux prioritaires. Président de la COP 15, l’Ivoirien Alain-Richard Donwahi s’est largement exprimé sur toutes les questions liées à la lutte contre la désertification, la dégradation des terres et la sécheresse, rappelant que la Côte d’Ivoire a intégré l’initiative de la « Grande Muraille Verte » et promeut une gestion durable de l’eau.
Protéger le « bleu » : gérer les ressources en eau
En 2013, Alain Toussounon (2) faisait le constat suivant : « la Côte d’Ivoire, contrairement à certains pays, ne connaît pas de stress hydrique. Elle dispose suffisamment de ressources en eau, mais celles-ci sont inégalement réparties dans le pays. » En 10 ans, la situation a changé et les populations, subissant un véritable stress hydrique, vivent dans une Côte d’Ivoire qui connaît de plus en plus des pénuries d’eau. En 2018, Bouaké, la seconde ville de Côte d’Ivoire, a dû faire face à une pénurie d’eau inédite. Bouaké et son agglomération, qui regroupe plus de 1,5 million d’habitants, ont connu un long épisode de sécheresse (cinq mois). L’eau leur a été livrée par camions citernes, obligeant les populations à venir remplir des bassines et des jerricans. Le lac du barrage de la Loka, qui fournit 70 % de l’eau destinée à l’agglomération, s’est retrouvé à sec. De nombreuses régions et villes de Côte d’Ivoire connaissent une situation comparable. L’« or bleu » devient rare. Les causes sont documentées : réchauffement climatique, montée des températures, faible pluviosité, activités humaines (agriculture, industrie), démographie galopante et urbanisation incontrôlée qui épuisent la ressource, prélèvement anarchique de l’eau, mobilisation insuffisante des financements pour assurer une gestion durable de la ressource. Selon les experts, la gestion de l’eau s’avère impossible, car « on ne peut pas gérer ce qu’on ne connaît pas ». Installée sur la trajectoire du développement durable, la Côte d’Ivoire doit connaître l’état de ses réserves d’eau en quantité et en qualité, afin de planifier son utilisation. Dans notre siècle digital, le pays doit utiliser l’Intelligence Artificielle (IA), afin de mieux connaître les périodes de canicule, faible pluviométrie et sécheresse. Les prévisions et les informations climatologiques fournies par les services météorologiques deviennent indispensables pour mettre en œuvre des activités dans les secteurs fortement impactés par les dérèglements climatiques (agriculture, ressources en eau, santé).
Protéger la nature et gérer les ressources en eau, c’est préserver la santé et l’avenir de l’humanité et de la planète.
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(1)ARRE : Autorité de Régulation du Système de Récépissés d’Entreposage des matières premières agricoles brutes.
(2)Un couvert forestier de 16 millions d’hectares au début du siècle contre moins de 2 millions d’ha actuellement, ce qui menace la biodiversité, modifie le régime hydro-climatique et entraîne la raréfaction des terres cultivables de qualité.
(3)Originaire du Bénin, journaliste et grand reporter, Alain Toussounon est un spécialiste des questions de l’eau, de l’hygiène, de l’assainissement et de l’environnement. Militant actif, il est l’auteur de nombreuses publications portant sur « la sécurité en eau et la résilience climatique en Afrique de l’Ouest »
Christian GAMBOTTI – Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Directeur général de l’Université de l’Atlantique – Directeur du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur des collections L’Afrique en Marche, Planète Francophone – Chroniqueur, essayiste, politologue – Contact : cg@afriquepartage.org