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    Chronique du lundi – la creation d’une bourse des matieres premieres agricoles (bpma) prend en compte le rôle strategique des marches financiers dans le secteur agricole

    Chronique du lundi – la creation d’une bourse des matieres premieres agricoles (bpma) prend en compte le rôle strategique des marches financiers dans le secteur agricole
    Publié le
    Par
    Christian Gambotti
    Lecture 8 minutes

    La Côte d’Ivoire crée une Bourse des Matières Premières Agricoles (BPMA), pour rester une puissance agricole.

    Ce qui était une évidence pour les matières premières extraites du sol (pétrole, minerais), devient une évidence pour les matières premières agricoles : le rôle stratégique des marchés financiers. L’agriculture est le premier secteur de l’activité économique en Afrique avec, dans la plupart des pays, une contribution de 30 % au PIB et, de manière très significative, aux revenus d’exportation. La Côte d’Ivoire, qui est une puissance agricole, entend le rester en se dotant de l’outil nécessaire à la gestion des cours des matières premières agricoles brutes négociables et au captage des ressources financières nécessaires au financement du secteur. Cet outil est une « Bourse des Matières Premières Agricoles » (BPMA). L’intérêt d’une bourse des matières premières agricoles est de limiter les incertitudes d’un marché qui reste très volatil et imprévisible à cause des risques : conditions climatiques défavorables (fortes pluies ou sécheresse) ; dégradation des terres qui entraîne une baisse des rendements ; changement des volumes d’importation ou d’exportation provoqué par des conflits (guerre en Ukraine) ; stockage non maîtrisé (absence d’entrepôts certifiés).

    Les matières premières agricoles sont négociées sur des places boursières très connues : Intercontinental Exchange, Chicago Board of Trade, Kansas Board of Trade. Face à ces géants, un marché africain des matières premières agricoles est nécessaire, afin de permettre le développement du secteur, qui reste marginalisé dans le commerce mondial, parce qu’il s’appuie sur de petits producteurs tributaires de facteurs qu’ils ne maîtrisent pas et qui n’ont pas accès à l’information, parce qu’il est peu formalisé, sous-financé, déconnecté des fondamentaux que sont le prix, l’offre et la demande. La réussite du lancement de la bourse des matières premières en Éthiopie, en 2008, montre qu’il est possible, pour les pays africains, de se libérer du carcan des places boursières géantes. La place boursière d’Addis-Abeba a permis de répondre aux besoins des producteurs africains et aux exigences des acheteurs locaux et internationaux. Des bourses de matières premières agricoles existent déjà au Ghana, au Nigeria et au Zimbabwe.

    La Côte d’Ivoire possède tous les atouts pour relever le défi de l’implémentation d’une bourse des matières premières agricoles : son poids dans le marché international de certains produits dont elle est le premier producteur mondial (cacao, noix de cajou, etc.), une production agricole diversifiée, un partenariat étroit entre le gouvernement et le secteur privé, l’implication du secteur (producteurs, coopératives agricoles) et des structures d’achat (coopératives commerciales, négociants, courtiers), la mise en place d’un environnement règlementaire. Mécaniquement, une bourse des matières premières agricoles entraîne une hausse des normes de qualité et une meilleure commercialisation (1).

    Conscient des avantages que représente la création d’une bourse des matières premières agricoles, le gouvernement, lors du conseil des ministres du mercredi 7 juin 2023, « a adopté une communication relative à la mise en route d’une phase pilote pour l’opérationnalisation des activités  de la Bourse des Matières Premières Agricoles (BMPA) ». Cette phase, dont le processus a été entamé depuis 2018, démarrera durant le second semestre 2923 et durera 24 mois. Dans sa communication, le conseil des ministres précise : « Les matières premières choisies pour le démarrage de la BMPA sont la noix brute de cajou, le maïs et la noix de cola fraîche. Cette phase pilote sera exécutée par la BRVM (Bourse Régionale des Valeurs Mobilières) dans le cadre d’une convention de mandat de gestion. La BRVM sera chargée notamment de la gestion directe des opérations de bourse portant sur les matières premières agricoles négociables et de l’appui aux choix techniques qui s’avèreraient nécessaires aux futurs organes du marché. A terme, la BMPA permettra non seulement d’offrir une référence de prix de base des négociations sur les contrats commerciaux à l’échelle  nationale et internationale et d’avoir une meilleure maîtrise des cours de nos produits agricoles, mais également de capter  des ressources financières  pour le financement du secteur au bénéfice de l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur agricole. » Les objectifs visés sont une meilleure organisation du marché et sa modernisation en lien avec les normes internationales, une fluidification de la circulation des produits agricoles et une amélioration des revenus des producteurs.

    Etat d’avancement de la mise en place de la BMPA et du Système de Récépissés d’Entreposage (SRE)

    Directeur général de l’ARRE (2), le Professeur Justin Koffi N’Goran s’est toujours impliqué dans la création d’une Bourse des Matières Premières Agricoles.  Il voit dans la  BMPA « un outil qui permet de corriger les distorsions observées actuellement sur les marchés des produits agricoles, faciliter les échanges commerciaux des produits agricoles, améliorer l’accès au financement des différents acteurs des chaînes de valeur agricoles et accroître les revenus des producteurs. » Pour réaliser cette importante réforme, le Gouvernement s’est appuyé sur la BRVM, ce qui a permis de réaliser des avancées remarquables au cours de la période 2020-2021. A ce jour, le dispositif juridique et institutionnel de la BMPA est élaboré. Le cadre organique, les procédures opérationnelles, administratives et financières sont achevées. Les acteurs concernés ont adopté les choix technologiques du système d’information. Les modalités de mise en route de cette phase-pilote des activités de la BMPA seront réalisées conformément aux dispositions déjà mises en place dans le cadre du Système de Récépissés d’Entreposage (SRE).

    En effet, la création, par la loi n°2015-538 du 20 juillet 2015, du Système de Récépissés d’Entreposage (SRE) dont la régulation est assurée par l’Autorité de Régulation du Système de Récépissés d’Entreposage (ARRE), et l’opérationnalisation effective des SRE constituent une étape essentielle dans la mise en place et le fonctionnement d’une Bourse de Matières Premières Agricoles. L’importance du SRE résulte de ce que les Récépissés d’Entreposage sont les titres qui sont négociés à la BMPA. Ainsi, en l’absence de Récépissés d’Entreposage sur les stocks de matières premières retenues pour la bourse (anacarde, noix de cola et maïs), la BMPA ne peut fonctionner. Une dernière étape reste à franchir : le dispositif juridique et institutionnel du SRE est mis en place depuis septembre 2018, son opérationnalité est effective depuis le mois de mai 2019. Cependant, le retard observé dans la signature des conventions entre l’ARRE et les organes de régulation des filières agricoles, ne permet pas de déployer le SRE dans les filières retenues pour la BMPA. Aussi, dans la perspective de l’opérationnalisation de la BMPA, le Gouvernement devra prendre les dispositions nécessaires pour le déploiement du SRE dans les filières agricoles.

    Pour Justin Koffi N’Goran : « La création d’une bourse des matières premières agricoles n’est pas simplement un progrès technique qui offre un outil financier de gestion des risques, une référence des prix observable par tous, sans délai et sans coût. Cette création s’inscrit dans une vision stratégique qui prend en compte le rôle des marchés financiers dans la consolidation du développement économique, du progrès social et de la souveraineté d’un Etat. L’Afrique sait qu’elle ne peut pas se permettre de négliger le rôle stratégique des marchés financiers. » Il ajoute : « J’en veux pour preuve le poids de la noix de cajou dans le PIB national et les revenus d’exportation du Ghana. Générant des recettes de 294 millions de dollars en 2022, la noix de cajou représente, pour le Ghana, la deuxième source de revenus d’exportation. Or, le Ghana n’a produit que 70 000 tonnes de noix de cajou en 2022, la Côte d’Ivoire, 1 028 172 tonnes. L’anacarde est, pour la Côte d’Ivoire, le deuxième produit d’exportation, aussi bien en volume qu’en valeur derrière le cacao, avec 800 000 tonnes de produit brut exportées. » Les deux pays, le Ghana, en inscrivant la noix de cajou dans sa bourse des matières premières (GCX), ce qui en fait le 6ème produit agricole commercialisé par la plateforme CGX depuis son entrée en service en 2018, et la Côte d’Ivoire, en créant sa BMPA, montrent qu’ils prennent  en compte le rôle stratégique des marchés financiers dans le secteur agricole. La Côte d’Ivoire et le Ghana avaient déjà parlé d’une même voix pour réaliser l’« Opep » (3) du cacao, afin de convaincre les industriels et les courtiers du chocolat de relever leurs prix.

    La création, en Afrique, des bourses africaines des matières premières agricoles se heurte à de nombreux obstacles, car, sur des marchés très spéculatifs, les Etats africains et des millions de petits producteurs doivent affronter de puissantes multinationales. Pour Justin Koffi, « sortir d’un système qui  voit les paysans et agriculteurs africains ne percevoir qu’une très faible part du revenu que génère le marché des matières premières agricoles et les Etats perdre des recettes fiscales, relève d’une urgence stratégique pour attirer les investisseurs, aller vers une croissance inclusive et un meilleur partage des richesses. »

    ___________________________

    (1)L’ensemble de ces informations se retrouvent dans l’article de Paul-Harry Aithnard, à l’époque directeur de la recherche du Groupe Ecobank,  article publié par Jeune Afrique, le 5 octobre 2011. Cet article vieux de 12 ans permet de constater que les marchés financiers des matières premières (minières ou agricoles) restent, en 2023, le chaînon manquant qui permettrait à l’Afrique d’agir sur le prix des matières premières brutes qu’elle exporte.

    (2)ARRE : Autorité de Régulation du Système de Récépissés d’Entreposage.

    (3)Article de Baudelaire Mieu, paru dans Jeune Afrique, 17 août 2020. OPEP : Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole fondée en 1960, afin de contrôler et réguler les cours du pétrole.

    Christian GAMBOTTI –  Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage –  Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact: cg@afriquepartage.org

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