Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), si, chaque année, 1,3 million de personnes dans le monde sont tuées dans des accidents de la route et des millions d’autres sont blessées, l’Afrique sub-saharienne est la région du monde la plus touchée par les accidents de la route. Deux chiffres montrent la gravité de l’insécurité routière en Afrique : le continent ne compte que 2 % du parc automobile mondial, mais on y relève un quart du nombre total des décès dus aux accidents de la route dans le monde. L’insécurité routière est la cause principale de décès chez les jeunes Africains.
Sensibilisation et répression pour mettre fin à l’insécurité routière
La Côte d’Ivoire veut mettre fin à « l’incivisme routier » de deux manières : la sensibilisation et la répression. Premier volet, la sensibilisation : il s’agit de provoquer un sursaut citoyen auprès de tous les usagers de la route (conducteurs, piétons, cyclistes) en inculquant des comportements sécuritaires, coopératifs et responsables. Deuxième volet, la répression : la Stratégie nationale de Sécurité routière 2021-2025 (SNSR) a mis en œuvre de nombreuses innovations (vidéo-verbalisation, contrôle permanent de l’alcoolémie, accentuation de la lutte contre le téléphone au volant, mesures de limitation de vitesse en agglomération).
L’objectif est une réduction du nombre de tués de 25 % d’ici 2025 et 50 % à l’horizon 2030.
Le 17 janvier 2023, lors d’un point presse, Étienne Kouakou, le directeur de la Coordination des Transports terrestres et des Relations extérieures de la Direction générale des Transports terrestres et de la Circulation (DGTTC) au ministère des Transports, a déclaré : « La Stratégie nationale de la sécurité routière 2021-2025 va aider à la réduction des accidents dont la plupart sont dus à l’incivisme et à l’indiscipline des conducteurs. Les actions combinées de sensibilisation et de répression régulières sont sans nul doute les véritables moyens d’éradiquer les comportements inciviques sur nos routes et d’atteindre les objectifs. »
Pour atteindre ces objectifs, la Stratégie nationale de Sécurité routière s’articule autour de 7 axes : l’amélioration du cadre institutionnel de gestion et de coordination de la sécurité routière, la protection des usagers vulnérables (piétons, cyclistes), la recherche d’une mobilité sûre dans les zones urbaines, la réduction de l’accidentalité des axes interurbains, l’amélioration des comportements des conducteurs, l’amélioration de la sécurité des transports en commun et de marchandises et l’amélioration de la prise en charge des victimes d’accidents.
Améliorer les comportements des conducteurs est une priorité, car 95 % des accidents soient dus à l’incivisme des conducteurs et aux comportements délictueux, ce qui se traduit par le non-respect des règles de la circulation routière. Il faut ajouter, parmi les causes de l’insécurité routière, le mauvais état des véhicules et des routes, l’absence de signalisation routière horizontale, permanente ou temporaire, c’est-à-dire les marquages au sol (dessins, lignes, flèches, inscriptions sur la chaussée, code des couleurs), l’insuffisance de la signalisation verticale (panneaux de signalisation, feux tricolores), Autres points essentiels : la lutte contre les faux permis, la crédibilisation du permis de conduire, une législation plus stricte sur les véhicules d’occasion importés et des inspections techniques plus rigoureuses. En Côte d’Ivoire, les études montrent l’obsolescence des flottes de véhicules, en particulier le vieillissement du parc automobile dans les transports publics.
Le continuum de sécurité : l’exemple de la CAN
Lors de ses adresses à la nation, le Président Alassane Ouattara s’est toujours efforcé d’inscrire la sécurité routière dans le cadre de la sécurité globale qu’un Etat doit mettre en œuvre pour protéger les populations. Il existe un continuum de sécurité entre le local (le rôle des maires, les polices municipales), le national (les forces de sécurité nationale, police et gendarmerie) et l’international (protection des frontières), qui oblige un Etat à penser sa sécurité de façon globale. Le Président ivoirien ne manquera pas de rappeler, dans un prochain discours sur la sécurité, que l’organisation de la CAN (Coupe d’Afrique des Nations) est un enjeu de sécurité globale pour la Côte d’Ivoire.
Pour simplifier, la sécurité de la CAN relève d’une architecture globale parfaitement identifiée : l’accueil de populations différenciées (public, officiels, délégations, équipes); la sécurité des stades et des sites d’hébergement, la cybersécurité, le contrôle des frontières, l’ensemble étant perçu sous l’angle de la prévention, des risques et des menaces. Il reste un impensé radical : la sécurité routière.
Du 14 janvier au 11 février 2024, la Côte d’Ivoire doit faire face au défi d’un déroulement parfait de la CAN sur son sol. Au-delà du défi sportif et politique, il faut relever le défi de la rénovation des routes, en particulier les grands axes routiers. L’Etat a rénové les routes qui relient les villes qui accueillent la compétition : les 340 kilomètres de la Côtière qui relient Abidjan et San Pedro ; l’autoroute qui mène à Yamoussouko et qui a été prolongé jusqu’à Bouaké ; l’axe Abidjan-Korhogo, toujours en pleine rénovation, etc. Ce sont des centaines de milliers d’individus qui seront lancés sur les routes, des milliers de voitures et de véhicules de transport en commun (bus, taxis, taxi-brousse, motos-taxis, gbaka, woro-woro, vélos).
Comment sécuriser la circulation routière au moment de la CAN ?
De nouvelles initiatives ont renforcé les lois sur la sécurité routière, – espérons que ces lois seront appliquées -, et créé une police de la circulation, – espérons que cette police de la circulation sera bien formée et respectée par des conducteurs, dont l’incivisme et le non-respect du code de la route sont les principales causes d’accidents de la route. Il est possible que la CAN ait un impact positif sur la sécurité routière, mais des investissements lourds seront nécessaires par la suite, notamment pour améliorer la signalisation routière horizontale et verticale.
Un enjeu de santé publique et de développement économique
En Afrique subsaharienne, la route tue, c’est une évidence. Les causes sont multiples et largement documentées. Au regard du nombre de décès et de la nature des blessures, l’insécurité routière est d’abord une tragédie humaine. Les blessures graves, les traumatismes associés et les handicaps durables engendrent des coûts qui ne peuvent être assumés par les populations.
Quant aux États, ils n’ont pas la capacité budgétaire de mettre en place des services de soins, – pré-hospitaliers, hospitaliers et post-hospitaliers -, en lien avec les besoins. Cette question de santé publique majeure se double d’une question économique : l’insécurité routière contribue à ralentir la croissance des pays africains. Selon la Banque mondiale, le coût des accidents de la route représente près de 8 % du PIB annuel de la Côte d’Ivoire. Face à cette situation, la Côte d’Ivoire a créé, dès 1978, l’OSER (Office de Sécurité routière), une Agence de sécurité routière placée sous la tutelle du ministère des Transports. Quel est le bilan de l’OSER, qui a peu de pouvoir ? Lorsque l’arsenal législatif sur la réglementation routière existe, les lois ne sont pas appliquées, les contrôles et les sanctions sont rares. Seule l’urgence, face à un accident d’une gravité exceptionnelle, conduit les Etats à prendre des mesures afin d’améliorer la sécurité routière.
Le 5 Janvier 2023, à l’occasion de la cérémonie d’échanges des vœux avec les forces de défense et de sécurité, le Président Alassane Ouattara s’est exprimé sur la sécurité globale face à ceux qui ont en charge la préservation de la paix et de la sécurité en Côte d’Ivoire (les Armées, la Gendarmerie nationale, la Police nationale, les Douanes, les Eaux et Forêts et les Affaires maritimes et portuaires). Il serait utile que la Présidence prononce un discours fondateur sur la sécurité routière, affirmant ainsi la capacité de la Côte d’Ivoire à affronter le défi de la lutte contre l’insécurité routière dans toute sa complexité.
Christian GAMBOTTI – Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@agriquepartage.org