Du 6 au 18 novembre 2022, se tient, en Égypte, dans la ville côtière de Charm el-Cheikh, la COP 27. Il s’agit de la 27e Conférence des Parties la plus connue. Cette Convention-cadre des Nations Unies porte sur les changements climatiques, une urgence absolue devenue mondiale et pour laquelle se mobilise la jeunesse du monde. Depuis la COP 21 et la signature, le 12 décembre 2015, de l’Accord de Paris, un traité international juridiquement contraignant entré en vigueur le 4 novembre 2016, que s’est-il passé ?
On a parlé d’accord historique signé à Paris, puisque 193 Parties, – 192 pays et l’Union Européenne -, y ont adhéré. Cet Accord fixe les objectifs à atteindre pour l’ensemble des nations qui auront à orienter leurs politiques publiques afin de réduire drastiquement les émissions mondiales de gaz à effet de serre dans le but de limiter, à court terme, à 2 °C le réchauffement planétaire, tout en renforçant l’action menée pour le limiter rapidement à 1,5 °C ; réévaluer les engagements nationaux tous les cinq ans ; fournir aux pays en développement des ressources financières pour atténuer les changements climatiques, accroître les capacités d’adaptation aux effets produits par ces changements et renforcer la résilience.
Depuis la COP 21, les COP se sont succédé sans résultats probants, si ce n’est l’éternelle liste des promesses et des engagements qui ne sont pas tenus, notamment à l’égard des pays en développement, les pays riches n’ayant pas respecté leurs engagements à financer l’action climatique. Au moment où s’ouvre la COP 27, Justin Koffi N’Goran, le président du comité scientifique de la COP 15 (1), fait le triple constat suivant : « La Chine et la Russie, deux pays parmi les plus grands émetteurs de gaz à effet de serre, seront absents ; les pays du G7, qui produisent 75 % des gaz à effet de serre, agissent peu en faveur des pays en développement et, comble de l’ironie, leur appui financier prend essentiellement la forme de prêts que des économies fragiles auront à rembourser ; les tensions géopolitiques et les crises alimentaires qui résultent de l’invasion russe en Ukraine vont retarder la mise en œuvre des objectifs de développement durable et la transition vers un monde à « zéro émission carbone. Il y a peu de chances pour que les modalités opérationnelles qui régissent la mise en œuvre concrète de l’Accord de Paris arrêtées définitivement lors de la COP 26, à Glasgow, en Écosse, en novembre 2021, soient mises en œuvre. »
Le contexte géopolitique fait que tous les regards vont se tourner vers la COP 27. Les présidents de nombreux États seront présents, dont Macron et Biden. Pour la 1ère fois, les 27 pays de l’Union Européenne y feront une déclaration commune. Les plans climats des pays riches sont certes ambitieux, en particulier le plan climat américain avec un programme de 370 milliards de dollars, mais nécessairement tournés vers la défense de leurs intérêts avec une dimension très protectionniste. La présence des États-Unis à Charm El-Cheikh se fait dans un contexte de politique intérieure difficile pour Biden avec les « Midterms », les électeurs américains étant plus préoccupés par l’économie que par l’urgence climatique.
La COP 27 sera, à n’en pas douter, la caisse de résonnance des débats contemporains dans un monde devenu multipolaire. L’intérêt des 3 COP (2) tient justement à ce que ces grands sommets onusiens sont au cœur des débats mondiaux et des urgences absolues qui concernent la santé de la planète et des populations. Mais, malgré la participation de 192 pays, des organisations supranationales, de la société civile organisée, des scientifiques et des médias, ce n’est pas dans les COP que se prennent les décisions qui dépendent, pour chaque État, des priorités et des urgences nationales. Peut-on parler de trajectoire commune, lorsque, dans une Allemagne qui a toujours privilégié ses intérêts économiques, loin de la solidarité avec l’Union Européenne, Angela Merkel a « pactisé » avec Poutine et que son successeur, le chancelier Olaf Scholz, se tourne vers la Chine ? Les États-Unis sont-ils devenus un fournisseur éminemment fréquentable, alors qu’ils ont repris l’exploitation de gaz et de pétrole de schiste avec, en 2023, des niveaux record de production et d’exportation, notamment vers l’Europe ?
L’Afrique et la COP 27
Alors que les pays africains, divisés et incapables de parler d’une seule voix, s’étaient rendus en ordre dispersé à Paris, lors de la COP 21, l’Afrique est-elle, aujourd’hui, suffisamment unie pour parler d’une seule voix, tenir un discours direct et se faire entendre, face à l’égoïsme des puissances planétaires et des pays riches qui, eux, défendront leurs propres intérêts ? Une chose est certaine, l’Afrique, qui paie déjà très cher les conséquences du réchauffement climatique, dont elle n’est pas responsable, ne veut pas sacrifier son développement (3).
Pour le Président de la COP 15, l’Ivoirien Alain-Richard Donwahi, – c’est ce qu’il dira lors de la COP 27 -, « l’urgence climatique ne doit pas conduire l’Afrique à renoncer à son développement. Nous voyons que le continent subit, plus tôt dans l’année, une forte hausse des températures, et qu’il voit se multiplier des conditions climatiques extrêmes, comme l’aggravation de la sécheresse ou de violentes inondations. La fragilité des économies africaines ne leur permettra pas, financièrement, d’assurer en même temps le développement économique du continent et de mettre en œuvre les stratégies d’adaptation à l’urgence climatique. » Le paradoxe est que les pays africains les plus pauvres devront s’endetter pour assurer leur développement et répondre à l’urgence climatique, ce qui est économiquement insoutenable et moralement inacceptable. Les États-Unis refusent de parler de « réparation », de « dette » des pays riches à l’égard des Africains. Continent le plus touché par le réchauffement climatique, l’Afrique pollue le moins, car elle ne génère, au niveau mondial, que 3 % des émissions de gaz à effet de serre, alors qu’elle abrite 17 % de la population mondiale. L’Afrique est aussi le continent moins résilient face au changement climatique à cause d’un faible niveau de préparation des États et des populations.
Autre point délicat que de nombreux think tanks africains soulèvent depuis que se succèdent, sans résultats probants, les COP sur le climat : l’agriculture et l’alimentation risque d’être à nouveau les grands oubliés de la COP 27. La journaliste Mathilde Gérard, dans le supplément du Monde consacré à la COP 27 (4), fait remarquer que « seulement 3 % des financements publics pour le climat sont dévolus au secteur sensible de l’agroalimentaire. » Le Centre de Réflexion Stratégique (CRS), que préside Justin Koffi N’Goran, posera la question du financement de l’agriculture et de l’alimentation dans le colloque qu’il organise, à Abidjan, le 15 décembre 2022, dans le droit fil des conclusions de la COP 27. Le thème retenu par le CRS est le suivant : « La transformation de l’agro-industrie africaine au moment où se posent deux questions : la sécurité alimentaire et la création de richesses dans la chaîne des valeurs de l’écosystème agricole mondialisée.»
Pour Alain-Richard Donwahi, le président de la COP 15, « l’Afrique est prise en étau entre sa volonté de répondre aux exigences internationales en matière de performance environnementale et la nécessité de son industrialisation qui passe par des investissements dans les énergies fossiles. »
Le dirigeant sénégalais, Macky Sall, président en exercice de l’Union Africaine, défend le point de vue africain : « Oui pour l’énergie verte, mais avant l’énergie verte il y a une énergie de base sur laquelle l’Afrique doit se fonder pour assurer son développement. On ne peut pas empêcher les pays africains de profiter de leurs ressources naturelles, présentes dans leur sous-sol, pour financer leur économie, la rendre plus compétitive. » Il justifie ainsi les investissements du Sénégal dans le gaz et le pétrole.
Il est important que, lors de la COP 27, les engagements climatiques prennent en compte le contexte spécifique du continent africain qui doit trouver un équilibre parfait entre la nécessité du développement et l’intégration de l’économie africaine dans un avenir à bas carbone de la planète. Seule une Afrique unie peut faire bloc pour que les lignes bougent en sa faveur lors de la COP 27, notamment sur des aides financières à la hauteur des enjeux. Ces aides ne doivent pas prendre la forme de prêts et elles doivent financer, en priorité, des projets spécifiques qui feront de l’Afrique le champ d’expérimentation d’une transition écologique plus inclusive et plus résiliente.
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(1) La COP 15, qui s’est tenue récemment à Abidjan, est présidée par l’Ivoirien Alan-Richard Donwahi.
(2) On distingue 3 COP : la « grande sœur », la COP consacrée à la lutte contre le réchauffement climatique ; la COP en charge de la lutte contre la désertification, la dégradation des terres et la sécheresse ; la COP sur la biodiversité.
(3) Article de Laurence Caramel, Le Monde du samedi 5 novembre 2022, p. 9.
(4) Article de Mathilde Gérard, idem, p.7.
Christian GAMBOTTI – Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches du l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : [email protected]