L’Afrique évolue, se transforme, c’est une évidence, et les femmes africaines jouent un rôle-clef dans cette évolution et cette transformation. Madame Aïcha Bah Diallo, ancienne ministre guinéenne de l’Education et ancienne sous-directrice générale pour l’Education au sein de l’Unesco, continue à se battre pour l’amélioration de la scolarisation des filles et l’émancipation des femmes africaines. Elle déclare : « Si je n’étais pas allée à l’école, je serais en train de traire les vaches au village. Ce sont les femmes qui constituent la clé du développement d’un pays. ».
En Afrique, des femmes ont toujours occupé des places importantes dans la vie politique, économique, sociale et culturelle. Mais, la majorité des femmes sont tenues à l’écart de la transformation de l’Afrique. Leur participation à la vie des Etats et à la transformation des sociétés reste insuffisante pour plusieurs raisons : pauvreté, analphabétisme, faible participation et intégration dans les activités socio-économiques, poids des traditions. Dans certaines coutumes africaines, la femme est encore considérée comme inférieure à l’homme. Assignée à résidence au foyer, elle est tenue à l’écart de toutes les sphères de décision. La jeune fille africaine est condamnée, dans certaines circonstances, à devenir la « petite bonne de la maison ».
Les conséquences de la pandémie de la Covid-19, du réchauffement climatique et de la guerre en Ukraine se traduisent par une aggravation de l’inégalité entre les hommes et les femmes. On constate cependant que, ces dernières années, la mobilisation des femmes s’est amplifiée, leur engagement s’affirme. Dans les trois domaines-clefs de son développement, la réconciliation, la cohésion sociale et l’agriculture, l’Afrique doit miser sur les femmes.
Les femmes , actrices-clefs de la réconciliation
Alors que la plupart des femmes vivent dans des conditions difficiles, le processus de réconciliation ne peut réussir si les femmes, victimes principales des conflits, ne sont pas prises en compte. Elles doivent être mises au cœur des processus de réconciliation, de reconstruction et du développement de la société. La réconciliation et la reconstruction du pays peuvent-elles se faire sans les femmes ? Quelle est la place qui est ou qui sera accordée à la femme dans ces processus de réconciliation ?
Le ministre ivoirien de la Réconciliation et de la Cohésion nationale, Kouadio Konan Bertin (KKB), en est convaincu : « Ma conviction est que la réconciliation en Côte d’Ivoire, comme partout en Afrique, ne peut se faire sans l’implication des femmes. Je tiens à mettre en œuvre des projets qui s’appuient sur la participation des femmes dans la vie publique et la construction d’un dialogue inclusif. Je souhaite amplifier la voix des femmes, dans les débats, les tables-rondes et sur les médias, afin de promouvoir une réconciliation véritablement inclusive. Les femmes sont aujourd’hui reconnues comme les militantes d’une société plus tolérante et d’un Etat plus démocratique. » Pour KKB, « les solutions globales sont des solutions à long terme. Pour agir immédiatement, il faut des solutions locales avec, comme acteurs-clefs, les chefs traditionnels et les femmes. ».
A l’issue de la grave crise post-électorale de 2010-2011 qui a fait 3 000 morts, les femmes se sont toujours mobilisées pour la coexistence pacifique entre les communautés. Elles ont fait du dialogue le pilier de la réconciliation. Le samedi 20 novembre 2021, à la Mairie d’Abobo, les femmes de toutes les confessions religieuses musulmanes et chrétiennes de Côte d’Ivoire réunies au sein de la Plateforme interconfessionnelle des femmes de Côte d’Ivoire ont prié ensemble, montrant ainsi que leur plateforme interconfessionnelle est un outil indispensable pour la Réconciliation nationale. Dans tous les processus de réconciliation, l’Afrique doit miser sur les femmes.
Les femmes, actrices-clefs de la cohésion sociale
Il ne peut y avoir de réconciliation et de cohésion nationale sans cohésion sociale. Le développement des opportunités et des activités économiques, génératrices de revenus pour les femmes productrices, permet de renforcer la cohésion sociale. En même temps, les projets économiques doivent s’accompagner de formations sur la cohésion sociale et l’organisation de sessions de sensibilisation, afin de consolider la coexistence pacifique entre les communautés.
Les femmes jouent un rôle de plus en plus important dans les projets d’appui à la prévention des crises et de consolidation de l’inclusion sociale. Ces projets permettent d’agir localement. A l’occasion de la fête des Mères, l’association Eklohehoun, qui revendique près de 2000 adhérentes et dont la mission est de prôner la paix en Côte d’Ivoire, a organisé une grande rencontre, le samedi dernier 22 mai 2021 à la Riviera Palmeraie.
Pour la présidente de l’association, Yao Affoué, Eklohehoun, qui veut dire « Aimons-nous », est « une école d’apprentissage pour la fraternité, la cohésion et l’amour ». Les femmes ivoiriennes entendent vulgariser les idéaux de paix et de cohésion sociale entre les Ivoiriens après les multiples tensions qui ont divisé les Ivoiriens. Dans les processus de cohésion sociale, l’Afrique doit miser sur les femmes.
Les femmes, actrices-clefs de la sécurité alimentaire
Dans les pays en développement, les femmes apportent des contributions essentielles à l’inclusion sociale et à l’économie rurale. Elles représentent, en moyenne, selon de récentes données internationales, 43 % de la main-d’œuvre agricole. Mais, leur rôle n’est pas suffisamment reconnu. Dans un remarquable dossier réalisé par Le Monde Afrique (1), la journaliste Camille Lafrance met en évidence le rôle des femmes africaines dans l’agriculture : si elles sont en passe de devenir les actrices-clefs de la sécurité alimentaire du continent, elles font toujours l’objet de discrimination. Elles ont plus difficilement accès que les hommes aux ressources et aux intrants agricoles. Elles ont moins de terre et de bétail que les hommes, utilisent moins de semences améliorées, achètent moins d’intrants comme les engrais. Elles ont des difficultés d’accès aux financements et aux assurances. Elles ont un niveau d’instruction inférieur et un accès moindre aux services de formation et de vulgarisation.
Mieux accompagner les femmes rurales dans le secteur agricole, investir dans le renforcement de leurs compétences et leur donner accès à du matériel et aux financements permet d’atteindre cinq objectifs : 1) ralentir l’exode rural en améliorant les conditions de vie au village par l’augmentation des revenus des petits exploitants 2) lutter plus efficacement contre la sécheresse et l’appauvrissement des sols causés par le changement climatique et la surexploitation des terres 3) diversifier les productions agricoles et la pratique des formes nouvelles de production, notamment à travers l’agro-écologie 4) consolider l’impact positif des femmes sur les enfants (santé, éducation) et la vie familiale 5) garantir la sécurité alimentaire. Partout en Afrique, l’agriculture et les formes nouvelles de production agricole, en particulier les pratiques agro-écologiques mieux acceptées par les femmes, sont au service de leur émancipation et de leur indépendance. Voilà pourquoi, dans le secteur agricole, l’Afrique doit miser sur les femmes.
Christian Gambotti
Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Directeur général de l’Université de l’Atlantique
Contact : cg@afriquepartage.org
(1) Camille Lafrance, enquête publiée le 15 juin 2022 sur le site du Monde Afrique, « Agriculture : pourquoi l’Afrique doit miser sur les femmes ».