Le porte-parole de l’ex président de Côte d’Ivoire, Justin Katinan Koné, en exil au Ghana a accordé un entretien à Afrikipresse où il évoque la situation à l’intérieur de son parti le FPI après la crise post-électorale.
Pouvez-vous donner vos sentiments sur la fin de votre procès ici au Ghana, lié à la demande d’extradition formulée par le gouvernement ivoirien ?
J’ai gagné le procès parce que le juge a estimé que les poursuites contre moi, étaient motivées par des raisons politiques.
Aujourd’hui, votre parti le Fpi (Front populaire ivoirien) traverse une crise interne quant aux choix des candidats pour briguer la présidence. Quelle lecture faites-vous de cette situation ?
En tant que cadre du parti, et également le porte-parole du président Laurent Gbagbo, j’ai appris que des militants l’ont appelé afin qu’il prenne la tête du parti. Moi, je suis parfaitement dans cette logique et autant que je peux, je l’appuie parce que je pense que c’est l’unique voie pour sauvegarder l’unité du parti qui fait face à des vents contraires. C’est lui, le ‘’ciment” qui nous unit. Je suis donc dans l’action de ceux qui sont pour son retour à la tête du parti, non pas contre quelqu’un mais pour construire une nouvelle unité et une nouvelle cohérence autour de lui.
Vous vous inscrivez donc dans la logique de ceux qui disent ‘’Gbagbo ou rien” ?
Je ne peux pas vous répondre en termes de ‘’Gbagbo ou rien”. Si des militants en sont arrivés au stade actuel, à faire appel au président Gbagbo qui est en prison, c’est que nous les cadres du parti nous n’avons pas su répondre à leurs attentes. C’est un échec collectif. Dans ces conditions, il devient urgent que celui en qui chacun se reconnait s’offre pour bâtir une nouvelle dynamique.
Pensez-vous qu’aux yeux du monde, cet appel est à l’avantage de l’ancien président qui est actuellement détenu à la Haye ?
Vous avez dit ancien Président? Si vous insinuez ancien Président de la République, je ne vous suis pas dans cette sémantique. Pour revenir au fond de la question, absolument ! Ce n’est pas inédit. Ce n’est pas la première fois que cela se passe. Je crois que nous devions comprendre une chose: si le président Laurent Gbagbo est en prison pour des raisons politiques, c’est par la voie politique que le problème doit être réglé.
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Il faut que le monde entier sache que lui, Laurent Gbagbo incarne l’unité, au sein de notre parti mais au delà, il est aussi l’incarnation de la lutte que mènent les Ivoiriens pour leur pays la Côte d’Ivoire. C’est conforme au plan de lutte et à la réaction que nous devons avoir par rapport à la situation dans laquelle nous nous trouvons.
N’est-ce pas un mauvais choix pour vous, surtout que la Procureur de la Cpi a proposé 2015, pour l’ouverture de son procès, année au cours de laquelle il est prévu des élections présidentielles en Côte d’Ivoire. N’est-il pas souhaitable, comme le pensent certains, de tourner la page Laurent Gbagbo au profit d’un autre cadre du parti?
Comment pouvons-nous tourner une page quand tout le livre est écrit avec la même page ? On ouvre la première page, c’est la page Gbagbo, on tourne la deuxième page, c’est la page Gbagbo, ainsi de suite. Comment voulez-vous donc tourner la page, sauf à déchirer tout le livre ?
Nous faisons allusion aux prochaines élections ?
Mais où est le problème pour les prochaines élections. En 2015, nous voulons des élections justes. Nous sommes partants mais notre candidat s’appelle Laurent Gbagbo, c’est si simple que ça…
Ce qui ne semble pas être l’avis d’une partie de la direction du FPI, avec à sa tête, Pascal Affi N’guessan qui aspire au changement ?
Je pense que le président Affi a dit qu’il est candidat à la tête du parti mais il n’a pas dit qu’il est candidat pour des élections présidentielles. Il ne faut pas lui prêter de mauvaises intentions. Il demande au parti d’aller aux élections. Nous, sur cette question, en tant que parti politique, ne sommes pas en principe opposés à cela mais nous, notre candidat s’appelle Laurent Gbagbo.
Pour être plus clair avec vous, vous allez peut être penser que j’ai des positions assez contradictoires mais je pense que pour la question des élections en 2015, nous avons une position fortement idéologique et je vous le dis avec tout mon sérieux. Depuis Abidjan, le Golf jusqu’à la Cpi en passant par Korhogo, le président Laurent Gbagbo est resté très constant dans ses propos, il dit ; ‘’j’ai gagné les élections”.
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Et il défend cette position au prix de toute sa liberté, et même au prix de sa vie. Il n’est donc pas possible que nous, en tant que parti politique, que le résultat des élections de 2010, n’ait pas encore été tiré au clair et que nous parlions d’élections. Voilà qui est logique. Comme l’a toujours dit le président Laurent Gbagbo, il faut d’abord tirer au clair le litige électoral de 2010, avant de parler d’élection, sinon, ça serait une incongruité à travers laquelle nous donnerons raison à ceux qui ont soutenu le contraire. Le problème que j’ai toujours eu avec notre parti ne date pas de maintenant.
Je ne peux pas faire l’injure à Affi pour dire que c’est lui qui a commencé cela. Nous avons seulement pensé que compte tenu de sa légitimité au sein du parti, qu ‘il allait changer la donne mais cela n’a pas été le cas. C’est une situation qui a toujours existé depuis Mamadou Koulibaly jusqu’à Affi en passant par Miaka Ouréto, le jeu n’a jamais été clair par rapport à Laurent Gbagbo. Le sort du Président Laurent Gbagbo a toujours été noyé dans des séries de problèmes au point que cette contradiction principale n’a pas été suffisamment mise en exergue.
C’est-à-dire qu’on va aux négociations et on fait une panoplie de propositions : ‘’dégelez nos comptes, on veut ceci, on veut cela” etc. Alors qu’il y a eu un problème essentiel en Côte d’Ivoire suite, à la dernière élection présidentielle. Pour une très large opinion nationale le vainqueur de cette élection se trouve actuellement en prison. C’est une injustice qui doit attirer de façon exclusive l’attention de son parti. C’est pourquoi je n’ai jamais été d’accord avec la façon confuse dont ce problème est posé.
Donc pour vous, il faut que le litige électoral de 2010 soit tiré au clair avant toute chose ?
Absolument ! Vous voyez, ils nous ont eu, ceux d’en face, qui font ce qui les arrange parce que dès l’instant où vous être dans la logique d’aller aux prochaines élections, c’est une façon de tirer un trait sur tout ce qui s’est passé….Vous voyez, j’ai à peine 48 ans et je suis en exil. Ma femme a toutes les peines pour venir me voir, j’ai mes enfants qui vivent loin de moi. Ce n’est pas de gaieté de cœur que je suis ici. Avec la situation qui s’est passée, il n’est pas normal que les responsables du parti qui sont en Côte d’Ivoire et ceux qui sont exil ne puissent pas s’accorder sur le minimum.
Dites-moi, quelle est la différence entre le Fpi qui un parti politique ivoirien, et les partis de l’opposition sénégalais ou burkinabé, par exemple. ? Toutes les oppositions se battent pour qu’il y ait des élections justes et transparentes dans leur pays respectif. Mais la crise qu’il y a eue en Côte d’Ivoire n’est pas un problème d’élection, c’est un problème idéologique fondamental. Le FPI est présenté comme un parti qui éveille le souverainisme et se bat donc contre certains réseaux. Ce sont ces mêmes réseaux-là qui nous disent ‘’allez aux élections” parce que c’est ce qui est bon pour vous.
Tant que le Président Laurent Gbagbo est en prison, le FPI moralement ne devait même pas aborder cette question d’élection, nous devrions rester fermes et les gens comprendraient qu’il y a un problème en Côte d’Ivoire. Si on nous dit : ‘’allez-y aux élections” et qu’on part aux élections, notre combat devient illisible à l’international et personne ne s’en préoccupe parce que c’est le combat de toutes les oppositions du monde. Alors que nous, nous sommes une opposition persécutée aussi bien au plan national qu’au plan international. Quand le secrétaire général de l’Onu fait le bilan des exilés dans le monde en 2014, et qu’il ‘’oublie” de citer les exilés Ivoiriens, c’est bien dans une logique qu’il se trouve. La mention des exilés ivoiriens signifierait qu’il y a problème en Cote d’Ivoire. Je ne peux donc pas comprendre que le président de notre parti ainsi que des cadres du parti ne puisent pas faire cette même lecture des choses que moi.
Grosse déception de votre part ?
Sur cette question, je suis déçu. Évidement, ils ont créé une sorte de thématique manichéenne. D’une part il y aurait des ‘’extrémistes’’, des ‘’radicaux’’tout juste bons pour la potence et d’autre part des modérés, des gentlemen. Mais ce n’est pas une question de radicaux ou d’extrémistes face à des modérés , c’est une question de logique fondamentale et nous devions rester dans cette logique là. Si le FPI est courageux, il faut qu’il dise ‘’Ouattara tu as gagné les élections de 2010” et qu’il dise aussi : ‘’Gbagbo, tu as tort, nous avons tort”, alors je comprendrais leur logique.
Mais ce n’est pas le cas. Mais vous dites ; ‘’Allons-y aux élections”, mais qu’est-ce que vous allez proposer aux Ivoiriens ? Qu’est-ce que vous aller faire que Gbagbo n’a pas fait. (…) Ouattara donne tout à ceux qui nous poussent à aller aux élections. Ce qu’il leur donne, le Fpi ne peut pas en donner autant sans remettre en cause les fondamentaux de son combat politique, sans se renier. Avons-nous encore la capacité de nous battre autour d un idéal en tant que parti politique qui incarne une certaine espérance ou bien on veut se battre pour être Premier ministre, ministre etc. Mais si c’est pour cela, je n’ai pas besoin d’être en exil. Les 10 mille réfugiés qui sont ici au Ghana et dans les autres pays et les 100 mille qui sont également au Libéria n’avaient également pas besoin de prendre la route de l’exil et c’est pour ceux-là que je dis toujours qu’il faut que nous soyons logiques et rigoureux dans nos démarches.
Parlant d’exilés, le pouvoir d’Abidjan mène des actions pour leur retour au bercail. Vous, quelles conditions posez-vous pour votre retour qui ne semble pas pour l’instant inscrit sur votre agenda ?
Je suis un Ivoirien qui aspire à rentrer dans son pays. Ça c’est une évidence. Le pays me manque, c’est une certitude. Mais pour l’instant je n’ai pas encore inscrit mon retour dans mon agenda pour deux raisons principales : en ce qui me concerne, après avoir été traqué à plusieurs reprises, le pouvoir ne m’a pas encore donné des garanties suffisantes de sécurité parce que si je vais à Abidjan, ce n’est pas pour me taire, c’est plutôt pour dire haut ce que je vous dis ici. Mais, avec la traque que je subis à travers le monde, je ne crois pas un seul instant à la sincérité du pouvoir. Je vous rappelle que nous sommes trois personnes à avoir encore nos noms et prenons inscrits sur la liste des ‘’sanctionnés ‘’de l’Union européenne.
Qui sont les deux autres ?
Il y a le président Laurent Gbagbo, Mme Simone Gbagbo et Koné Katinan.
Pourquoi ?
Je ne sais pas, et l’Union européenne a même renouvelé cette sanction le 13 avril 2014.
N’est-ce pas à cause des actions que vous avez menées lorsque les banques étaient fermées pendant la crise postélectorale ?
Est-ce que c’était un problème personnel ? Est-ce que je l’ai fait pour mon propre compte ? Je l’ai fait en étant au gouvernement, j’avais une hiérarchie et j’ai exécuté des ordres. Je ne crois donc pas à cela puisque j’avais une hiérarchie. D’ailleurs, c’est ce que le juge a dit ici. Il a dit ; ‘’ce que ce monsieur a fait, il l’a fait en conformité à la loi. Donc on ne peut pas le poursuivre pour cela”. En fait, ce que j’ai entendu dire, c’est que l’Union européenne me reproche de toujours appeler le président Laurent Gbagbo ‘’président de la République” et de ne pas reconnaître Ouattara comme président.
Mais cette position est conforme à ma formation de juriste et à la nature de ma mission. Je suis le porte-parole d’une personne qui a une opinion sur une question. Je ne peux que porter cette opinion. Le problème n’est pas ce que je dis. C’est ce que pense mon mandant. C est avec lui qu’il faut trouver la solution. Maintenant si je dois retourner à Abidjan et qu’on m’autorise à appeler le président Laurent Gbagbo ‘’président”, il n’y aura pas de problème. Ça n’était que l’aspect personnel, mais en ce qui concerne l’aspect politique lié à mon retour, il faut dire qu’il y a des milliers d’Ivoiriens qui sont sortis du pays, qui ont tout perdu, et qui se sont retrouvés dans des camps, en exil parce qu’ils ont cru en nous. Moi mon cas n’est pas le problème.
Je veux demander au gouvernement de prendre une disposition d’ensemble. En tant que porte-parole du président Laurent Gbagbo, j aimerais vraiment être le dernier à partir en m’assurant que tous les réfugiés politiques sont rentrés ou du moins, que le minimum de conditions est réuni pour qu’ils rentrent. Et cela par respect pour le président Laurent Gbagbo et par respect également pour ceux qui l’ont suivi et qui se retrouvent aujourd’hui en exil.
Je vais le demander expressément en écrivant officiellement aux dirigeants qui seront issus du prochain congrès de mon parti, d’en faire une préoccupation majeure et d’insister auprès du gouvernement et des organisations internationales qui se chargent des questions des réfugiés, d’organiser leur retour après avoir pris en compte certaines de leurs préoccupations existentielles. J’en appelle à une résolution du congrès sur ce point. Car nous avons un devoir moral vis-à-vis de toutes ces personnes qui souffrent. Cela m’insupporte de les laisser ici ou ailleurs parce qu’il n’est pas moralement acceptable que nous laissions les Ivoiriens mourir de faim dans des camps et que nous les cadres nous partions tous. Ça veut dire qu’on ne donne pas un bon signal à nos militants ainsi qu’aux Ivoiriens qui sont prêts à mener une éventuelle lutte avec nous, ce n’est pas bon.
Pour terminer quel commentaire faites-vous de la situation au Burkina Faso ?
Le premier enseignement qu’on tire c’est que c’est une leçon à nous tous. Je vais répondre à cette question à trois niveaux. D’abord, c’est une bonne chose pour nous tous. Ensuite, Blaise Compaoré a fait trop de mal à son peuple, mais aussi il a trop instrumentalisé son peuple dans plusieurs conflits pour son propre intérêt en tant qu’homme d’affaires, et ça c’est moralement inacceptable. Que se soit la guerre au Liberia, en Sierra Leone, en Côte d’Ivoire et même en Angola son implication n’est pas liée à des questions idéologiques ou même à l’intérêt du peuple burkinabé, mais à son intérêt à lui.
En Côte d’Ivoire par exemple, il a fait croire aux Burkinabés qu’ils étaient persécutés et eux aussi se sont laissés avoir, alors que c’était dans son intérêt personnel. Je trouve cela criminel. Il faut que le peuple burkinabé comprenne qu’il a été instrumentalisé par Blaise Compaoré pour ses intérêts personnels. Deuxièmement, j’apporte mon soutien au peuple digne burkinabé qui a su écrire en lettres d’or sa propre histoire. Enfin, troisièmement, je ne suis pas d’accord sur la façon dont on met la pression et sur l’opposition burkinabé et sur les militaires. Je suis même choqué par l’attitude de la communauté internationale.
Les militaires burkinabé n’ont pas fait un coup d’Etat. Un peuple se lève, et chasse tout un régime. Ce qui se passe au Burkina est une révolution parce que pour une révolution, il y a deux conditions : la façon brutale dont cela a été conduit et l’objectif poursuivi. Est-ce que les Burkinabé voulaient simplement que Blaise Compaoré seul s’en aille ? Je ne le crois pas. En brûlant l’Assemblée nationale ça veut dire que c’est tout le système que le peuple ne voulait plus. C’est vrai que les Burkinabé par rapport à leur histoire, avec beaucoup de coups d’Etat qu’ils ont connus, se méfient un peu de leur armée, mais lorsque tout un régime disparait comme ça, la seule institution républicaine encore débout sur laquelle le peuple peut s’adosser est l’Armée.
Et au lieu de l’aider à sortir le pays de cette impasse, on lui met la pression. Après 27 ans de dictature, on ne peut pas sortir comme cela de cette situation. Il faut aider les militaires à conduire le peuple sur la voie de la démocratie plutôt que de lancer un ultimatum avec des propos choquants comme le fait l’Union africaine. J’ai tout de suite compris cela parce que l’actuel directeur de cabinet de Mme Zuma, la présidente de l’Union africaine est l’alter égo de Blaise Compaoré.
La sortie de l’Union africaine était donc exagérée et manipulatrice. J’ai par contre trouvé l’approche de la Cedeao très sage. J’ai appris qu’il y a des consultations, à laquelle ne participe pas l’armée en vue de la mise en place d’un gouvernement de transition, cela est dangereux. (…) Alors le civil que l’on recherche pour diriger la transition burkinabé, on va le trouver où, et selon quel critère ? Et puis, les militaires ont pris le pouvoir lorsqu’ils ont chassé Moubarak en Egypte, qui s’en est plaint ? Mais pourquoi, c’est toujours en Afrique noire que nous sommes frileux. On leur met la pression inutile alors qu’ils ont besoin de calme et de sérénité pour organiser les élections dans leur pays.
Réalisé par Claude Dasse, à Accra