Instabilité politique et lutte contre le terrorisme
Historiquement, l’Afrique se caractérise, depuis les indépendances, par une instabilité politique chronique, dont le symbole est cette longue liste des coups d’Etat à l’origine desquels on retrouve, le plus souvent, l’armée. En Afrique, l’intrusion de l’armée dans la sphère politique n’est donc pas une surprise. Ce qui se passa aujourd’hui au Mali et au Tchad représente deux nouveaux cas d’école de l’arrivée des militaires au pouvoir. Dans ces deux pays, les miliaires qui dirigent le pays à travers un Conseil Militaire de Transition (CMT), se sont engagés à rendre le pouvoir aux civils après une période de transition.
Au-delà des questions de gouvernance démocratique, le contexte de cette prise de pouvoir par les militaires, au Mali et au Tchad, est bien celui la stabilité politique et de la lutte contre le terrorisme dans la bande sahélienne. L’enjeu est avant tout sécuritaire et il concerne toute l’Afrique, au moment où, pour les experts, le Mali et le Burkina Faso, deux pays membres du G5 Sahel, sont devenus des maillons faibles au cœur du dispositif de sécurité sahélien. Deux attaques djihadistes d’ampleur viennent de coûter la vie à 138 personnes dans le Nord du Burkina Faso, un pays qui fait face à une recrudescence d’exactions djihadistes sans pouvoir les contenir.
La France, engagée militairement au Sahel, s’inquiète, à juste titre, de la situation actuelle au Mali et au Tchad. Paris ne doute pas de la volonté du CMT tchadien de respecter les engagements antérieurs du pays dans la lutte contre le terrorisme. En revanche, le Président français, Emmanuel Macron, s’interroge sur la tentation que pourrait avoir le CMT malien de pactiser avec les djihadistes. D’ailleurs, l’arrivée au pouvoir des militaires au Tchad et au Mali ne s’explique pas pour les mêmes raisons : au Tchad, le Conseil Militaire de Transition, dirigé par Mahamat Idriss Déby, le fils du président Idriss Déby, a été créé le 20 avril 2021, afin de préparer une transition après la mort au combat d’Idriss Déby.
Au Mali, les militaires sont arrivés au pouvoir après un double coup d’Etat en 9 mois : d’abord, le putsch du 18 août 2020 qui avait renversé le Président Ibrahim Boubacar Keita (IBK) ; puis, le 24 mai 2021, le deuxième coup d’Etat avec l’arrestation du président de transition, Bah N’Daw, et de son premier ministre, Moctar Ouane, contraints de démissionner par les hommes du colonel Goïta, déjà auteur du putsch du 18 août 2020. Si la France et l’Union Africaine semblent vouloir apporter leur soutien aux militaires tchadiens, en revanche, la situation au Mali inquiète la communauté internationale.
Le CMT tchadien
Réélu au premier tour de l’élection présidentielle de 2021, Idriss Déby meurt le 20 avril 2021 des suites de blessures reçues au combat contre des rebelles venus de Libye. Un régime militaire de transition, dirigé par son fils, le général Mahamat Déby, est instauré. La dissolution de l’Assemblée nationale et du gouvernement est prononcée. Le Conseil Militaire de Transition annonce prendre le pouvoir pour une période transitoire de dix-huit mois, prolongeable une fois.
A l’issue de cette période, des élections seront organisées. Le 26 avril 2021, Albert Pahimi Padacké est nommé Premier ministre par le CMT. Afin de répondre aux inquiétudes de la communauté internationale et rassurer les Tchadiens, un gouvernement provisoire est installé. Le CMT reçoit le soutien de la France, des pays du G5 Sahel, mais aussi de l’Union Africaine, qui, contrairement à sa jurisprudence, ne condamne pas le putsch et ne suspend pas le pays de l’organisation.
L’Union Africaine, qui demande qu’une nouvelle constitution soit rédigée et qui exige une période de transition de 18 mois non-renouvelable, ne parle pas de « coup d’Etat institutionnel ». Des opposants au Maréchal Déby ont reconnu les nouvelles autorités. Par décret, le président du CMT Mahamat Idriss Déby, général de 37 ans, a également créé un nouveau ministère de la Réconciliation et du Dialogue, annonçant l’organisation d’un « dialogue inclusif » et la tenue d’élections libres et démocratiques dans 18 mois.
Le soutien que reçoit le CMT et l’absence de sanctions contre le Tchad représentent une première victoire pour Mahamat Idriss Déby. Le Tchad, très actif sur le plan diplomatique ces dernières semaines, vient de confirmer sa volonté de respecter ses engagements antérieurs, en particulier dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. Il reste un allié très fidèle, garant de la sécurité en Afrique.
Le CMT malien
En réaction au deuxième coup d’Etat que connaît le pays en à peine neuf mois, la France, « à titre conservatoire et provisoire, a suspendu sa coopération militaire bilatérale avec le Mali et arrêté les opérations conjointes de la force « Barkhane » avec l’armée malienne : « Ces décisions seront réévaluées dans les jours à venir au regard des réponses qui seront fournies par les autorités maliennes », selon Paris.
La véritable crainte de la France est le profil des nouvelles autorités maliennes, qui semblent prêtes à pactiser avec les groupes djihadistes. Le président Macron a déclaré : « Si cela va dans ce sens, je me retirerai ». Cette menace montre la tension qui existe aujourd’hui entre Bamako et Paris. La Banque mondiale a temporairement arrêté « les décaissements de ses opérations au Mali pendant qu’elle suit et évalue de près la situation ».
La CEDEAO a suspendu le Mali de ses instances. De son côté, Choguel Kokalla Maïga, qui devrait devenir le Premier ministre de la transition malienne, a déclaré, vendredi 4 juin, que son pays respecterait ses engagements internationaux, tout en regrettant des sanctions qui rendent la situation encore plus compliquée. Si le Mali a besoin qu’on l’aide, en réalité les experts s’interrogent sur les intentions du colonel Assimi Goïta, le véritable homme fort de la transition, auteur d’un deuxième coup d’Etat et qui, depuis, s’est fait nommer président de la transition par la Cour constitutionnelle. Il règle aussi au Mali, orchestrée par des activistes, une atmosphère étrange, avec des campagnes très anti France.
La Russie qui avance ses pions en Afrique dans le domaine de la sécurité aimerait bien profiter de la prise de pouvoir d’Assimi Goïta. Le mouvement « Appel à la Russie » organise, devant l’ambassade de Russie à Bamako, des manifestations « spontanées » pour demander « une intervention militaire russe au Mali ». Les alliés traditionnels du Mali s’interrogent : Assimi Goïta n’est-il pas en train de jouer un jeu trop dangereux ? La France et les Etats-Unis, les premiers, ont voulu réagir face aux ambiguïtés de la junte au pouvoir..
Christian GAMBOTTI,
Agrégé de l’Université,
Président du think tank Afrique et Partage
CEO du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain)
Directeur des Collections L’Afrique en Marche, Planète francophone
Directeur de la rédaction du magazine Parlements & Pouvoirs africains