Wakili Alafé, directeur général du quotidien « L’Intelligent d’Abidjan », Bledson Mathieu, grand reporter à « Fraternité Matin » et Franck Ettien, journaliste-écrivain, analysent la situation au Mali, en Guinée et au Burkina Faso, trois pays de l’Afrique de l’’Ouest qui ont enregistré chacun un coup d’État, en l’espace de 18 mois. C’était dans le cadre de l’émission « Lundi débat » de Radio Côte d’Ivoire du lundi 31 janvier 2022.
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La question de la lutte contre le terrorisme qui entraîne la chute d’un Président de la République démocratiquement élu au Mali, en Guinée et au Burkina Faso fait des sujets évoqués par les journalistes Wakili Alafé, Bledson Mathieu et Franck Ettien ,invités le lundi 31 janvier 2022 à 10:00, de « Lundi débat », une émission diffusée tous les lundis en quinze sur les antennes de Radio Côte d’Ivoire.
Alafé Wakili : « On assiste à une situation d’abus des militaires de leur position »
Le directeur général du quotidien « L’Intelligent d’Abidjan » considère un coup d’État comme un crime qu’aucun argument ne saurait justifier. « On assiste à une situation d’abus des militaires de leur position, sinon dans tous les pays du monde, il y a des mécontentements (…) C’est une imposture qui ne peut pas s’expliquer, quand des militaires prennent leurs armes pour confisquer le pouvoir et s’installer au pouvoir. En Côte d’Ivoire, des militaires faisaient une mutinerie, ils ont demandé des millions et quand on leur a donné, ils se sont calmés. Imaginez que pour ces histoires de millions, des gens se lèvent et prennent le pouvoir. Je ne comprends pas pourquoi ce n’est pas suffisamment condamné, et que les explications qui nous sont données tendent à faire accepter ces coups d’États comme des choses normales. Qu’il s’agisse des chauffeurs de « Gbakas » qui veulent prendre le pouvoir, des étudiants qui veulent prendre le pouvoir parce qu’on ne règle pas leurs problèmes, les choses ne se passent pas comme ça. Il ne faut accepter que les choses se passent comme ça et ce n’est pas exact de dire que les populations soutiennent les coups d’États », a dit Alafé Wakili.
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La tenue d’un référendum avant un coup d’État proposé.
Le directeur général du quotidien « L’Intelligent d’Abidjan » propose qu’avant un coup d’État, il y ait un référendum. « Est-ce que vous êtes d’accord que les militaires viennent au pouvoir ? Si les militaires en sont capables, on organise un référendum. Au Burkina Faso, on dit par exemple le Président Kaboré échoue, les terroristes avancent. Créons alors les conditions pour faire un référendum, pour dire que le Président s’en va, et les militaires viennent au pouvoir (…) Pensez-vous que tous ceux qui ont élu Roch Marc Christian Kaboré sont d’accord avec le coup d’État (…) Il ne faut pas qu’on nous serve l’imposture comme le mode de validation de ces coups d’État illégitimes (…) Un coup d’État est un crime, pourquoi on doit l’applaudir quand il réussit ? Quand il échoue il est un crime et est sanctionné. Le succès d’un coup d’État ne peut pas le transformer en une bonne chose».
Bledson Mathieu : « Aucun militaire français n’a pris les armes pour dire que Macron est contesté »
Pour Bledson Mathieu, aucun gouvernement ne peut faire l’unanimité. Il explique sa position par le cas des « Gilets jaunes », en France : « Aucun militaire français n’a pris les armes pour dire que Macron est contesté, il y a des gens qui vont m’applaudir si je le renverse. Si on veut être démocrate, on admet qu’il y a une opinion qui est en désaccord par moment sur certains sujets avec le gouvernement (…) Le Mali, la Guinée et le Burkina Faso reculent aujourd’hui, parce qu’un coup d’État fait reculer et jusqu’à présent, un mètre carré du Mali n’a pas été libéré des terroristes.»
Franck Ettien : “Des gens sont au front, ils n’ont pas à manger, comment voulez-vous qu’ils réagissent alors qu’ils ont des armes en main ?”
Franck Ettien, pour sa part estime qu’il a un « problème avec les ultra anti-putschs », car dit-il « il faut qu’on discute des causes des coups d’États », ce que les ultra anti-putschs refusent, selon lui. « Quand le mur est lézardé, il faut qu’on assume l’entrée des lézards. Il faut tenir un discours franc et direct avec les populations et éviter de dire ce qu’on ne peut pas faire et quand on ne peut pas changer les conditions de vie des populations, on ne leur vend pas du rêve. Ici en Côte d’Ivoire, des hommes politiques ont dit des choses, mais une fois au pouvoir, ils n’ont pas pu les réaliser. Mais, cela frustre et on ne sait pas comment toutes les frustrations réunies peuvent finir (…) Des gens sont au front, ils n’ont pas à manger, comment voulez-vous qu’ils réagissent alors qu’ils ont des armes en main ? Ils sont au front, ils n’ont pas d’armes, on leur dit qu’il n’y a pas d’argent pour acheter des armes, comment ils réagissent ?», pense-t-il.
Divergences entre Wakili Alafé et Franck Ettien.
Mais Waliki Alafé ne partage pas cet avis, même si Franck Ettien dit qu’il est contre les coups d’États : « C’est comme quelqu’un viole une femme et il dit c’est parce qu’elle m’a provoqué. Est-ce qu’on peut l’accepter ? Si on veut expliquer un coup d’État, on va tout expliquer, l’apartheid, le racisme, tous les crimes… D’explications en explications, on va trouver des raisons à un coup d’État. Ceux qui sont arrivés n’ont pas de solutions miracles, les djihadistes ne sont pas encore partis, le Mali n’a pas réglé ses problèmes 18 mois après et rien ne nous dit que dans 5 ou 6 mois, le terrorisme sera bouté hors du Burkina Faso. Doit-on pour cette raison faire un autre coup d’État ? Non ! Il ne faut jamais prendre son arme pour s’installer au pouvoir et abuser de sa position, parce que c’est l’argent de toute la population qui a été utilisée pour acheter les armes des militaires. La population ne s’attend pas à ce que les militaires utilisent ces armes pour faire un coup d’État ; elle attend les élections pour faire savoir ses choix. Lorsque le politicien n’a pas tenu ses promesses, la population attend la prochaine élection pour le faire partir ».
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Faut-il craindre un effet domino dans la sous-région ouest-africaine ?
Pour Franck Ettien, il est nécessaire de rendre la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) plus dynamique qu’elle ne l’est actuellement, à travers la réactivation de certains accords de coopération militaire. « Je veux voir la CEDEAO plus dynamique, dégager les moyens qu’il faut, ne pas attendre que des militaires se retrouvent par exemple sans pain », souhaite-t-il.
La position de Wakili Alafé et Bledson Mathieu
«Il faut craindre l’effet domino, si on estime que l’absence de boites de sardine, de munitions peut faire accepter un coup d’État, si parce qu’un politique n’a pas respecté sa promesse, on peut accepter qu’un coup d’État a lieu d’être. Je pense qu’il est important de criminaliser, de façon définitive, un coup d’État (…) L’ONU, l’Union africaine doivent prendre des résolutions pour dire qu’un coup d’État, quelles que soient les conditions, reste un crime imprescriptible. Bien entendu, la gouvernance doit être de plus en plus démocratique, sinon on aura un effet domino. On ne peut pas accepte de juger les assassins de Thomas Sankara, 30 ans après parce qu’il est mort et refuser de faire le procès du coup d’État qui a entraîné sa mort, qui était celui de Blaise Compaoré, lui-même chassé par un coup d’État (…) Je ne comprends pas pourquoi on veut donner l’impunité à un putschiste, parce qu’il a réussi son coup d’Etat », a de son côté précisé Wakili Alafé.
Enfin, selon Bledson Mathieu, l’idéal pour éviter l’effet domino des coups d’États en Afrique de l’ouest, c’est que tous les États de cette partie de l’Afrique unissent leurs forces pour combattre le djihadisme.
L’émission a été présentée par Tiémoko Diarrassouba et réalisée par Assita Coulibaly
Olivier Dion