Des mélomanes curieux attendaient au tournant la jeune chanteuse congolaise, Céline Banza, lauréate 2019 du Prix Découvertes RFI. Ce, afin de tester le verdict qu’A’salfo, Lokua Kanza, Charlotte Dipanda, Tiken Jah Fakoly, Fally Ipupa, Josey, Angelique Kidjo, Youssou Dour, Oumou Sangaré et Singuila avaient prononcés faisant d’elle la lauréate de ce prestigieux prix. Pour répondre de la plus belle manière, la lauréate mettra sur le marché ‘’Praefatio’’, son tout premier album dans l’univers de la musique mondiale. Composé de 13 titres, cet album propose des chansons interprétées en français, en anglais et en ngwand. Aujourd’hui, en 2023, plongeons-nous à nouveau dans les premiers moments de la carrière musicale de Céline Banza spécifiquement avec “Praefatio” à travers ce portrait pour comprendre et voir l’univers dans lequel cette future diva africaine est née.
Originaire du Congo Kinshasa, Celine Banza est née en février 1997. Son enfance a été très difficile a cause de l’absence de son père et de sa mère. Tous décédés. La musique et les chants apparaissent dans la vie de l’adolescente orpheline à un moment où elle se sent seule. Céline a vécu une période de son enfance ou elle a même été traitée de sorcière. Une situation qui va la pousser à trouver des issues pour exister. Dès lors, le chant devient pour elle une protection, une façon d’exprimer sa douleur et les injustices comme elle et les filles de son âge. En 2012, alors âgée de 15 ans, la jeune musicienne, grâce à son audace, parvient à participer à un concert sur la scène de l’Alliance française au Congo. Dès lors, la musique pour elle devient un bouclier contre les injustices. Très motivée, elle décide s’essayer d’aller plus loin avec ce nouveau bouclier.
Mais, un autre défi était le Baccalauréat. Céline avant fait des études secondaires. Et le Bac était un objectif pour elle. Car désormais, la musique est pour elle une chance que la vie lui offre. Une fois son diplôme d’État (son bac) en poche, Céline Banza s’inscrit à l’Institut national des Arts (INA) de Kinshasa et choisit la guitare, comme instrument classique. Cet instrument en plus de sa voix, deviendra son instrument de prédilection. Mais ce qui va fasciner Céline, c’est ça redécouverte avec la beauté du terroir congolais: « J’ai pris du plaisir, j’étais éblouie de voir que nos langues sont belles, et j’ai beaucoup aimé les mettre dans les notes musicales. Une façon pour moi de montrer qui je suis, de montrer ma culture », affirme-t-elle. La volonté de Céline de s’engager au profit de l’épuisement de la jeune fille lui offre de s’exprime au théâtre et au cinéma. C’est ainsi qu’on la retrouve en 2017 dans le premier rôle du court métrage Tamuzi du chorégraphe Faustin Linyekula, un film inspiré de sa vie. Elle participe également à l’exposition « Kinshasa 2050 : les femmes d’abord » une initiative mettant à l’honneur les créations de 7 femmes. C’est de la que partira son titre à succès « Te rembi », qui veut dire « mon corps » et qui sera primé par RFI.
The Voice Afrique Francophone et le Prix Découverte RFI dans la vie de Céline
Céline Banza a fait sa première apparition internationale devant un public mélomane sur la scène de l’émission The Voice Afrique Francophone en 2017. Cette émission, animée par le célèbre présentateur Claudy Siar, a permis à Céline de se faire connaître. Lors de ses différentes prestations, elle a su captiver les spectateurs grâce à ses talents d’interprétation exceptionnels.Bien qu’elle n’ait pas remporté cette édition, cela n’a en aucun cas été un échec. Au contraire, cette expérience lui a offert la chance d’entrer en contact avec des personnalités éminentes telles que Youssoupha, A’Salfo, Charlotte Dipanda, Lokua Kanza et Singuila. Deux ans plus tard, en 2019, Céline Banza a pu brandir fièrement le Prix Découverte RFI, une récompense méritée qui a renforcé sa notoriété. La suite de son parcours est maintenant bien connue : le lancement audacieux et officiel de son album “Praefatio” en 2021. Inspiré du latin, “Praefatio” se traduit en français par “introduction”, “préambule” ou encore “préface”. Cet album reflète non seulement son plan de carrière, mais dévoile également le contexte de la création de sa musique, son style unique (afro-folk) ainsi que l’essence de son approche musicale qu’elle aspire à imposer.
La touche Bomaye musik dans l’aulbum de Céline
Praefatio, enregistré et produit par Bomaye Musik – un label indépendant détecteur de talents et d’artistes – est un album avec une excellente harmonisation musicale ! Ce label composé de Youssoupha, Keblack, Naza, Arma Jackson, Ayna, Jaymax, Gaz Mawete et dirigé par Philo le Big Black, a eu un véritable impact sur Céline et sa musique. Les prémices de cette collaboration se font d’abord en 2019 puis en 2020 à travers des singles dont Na mileli chanté en lingala. Avec une mélodie mélancolique, Céline chantait “S’apitoyer sur son sort“. Un contexte musical assez triste, mais également épris d’espoir et de volonté de se faire entendre. Un avant-goût de Praefatio, semblait-il… Et le cliché de Praefatio fut semblable avec les mêmes sensibilités de Na mileli. Dans ce nouvel album, les bases de la composition musicale y sont : mélodie, parole et harmonie, trois maillons qui structurent un morceau de qualité. Ces bases-là, Youssoupha les connaît. Céline par son statut de diplômée de l’École Nationale des Arts les a aussi étudiées. De ce fait, avec l’auteure de Praefatio, on s’aperçoit qu’il y a un texte qui épouse non seulement la mélodie, mais aussi les émotions. Ce qui malheureusement ne se retrouve pas toujours dans les morceaux des musiciens de la génération de notre lauréate Rfi 2019.
Par ailleurs, le timbre de sa voix parlée et chantée lui facilite la justesse dans la recherche des tonalités surtout mineures. Elle a une voix qui s’adapte bien au ténor. Cependant, dans la plupart des morceaux de cet album, notre future « diva » chante soprano. La maîtrise des sujets qu’elle aborde dans sa musique confère à sa voix, une stabilité qui lui permet de toucher la sensibilité de ses fans. Avec la jeune congolaise, vous n’avez pas besoin de forcément comprendre sa langue maternelle (le ngwan) avant de partager ses émotions : dans le titre Na mi leli par exemple, le groove dans sa voix transcende et touche l’âme. Dans cette chanson, on trouve des colorations des musiques de Tracy Chapman, Lokua Kanza, Jean Goulard et Charlotte Dipanda. Cette jeune artiste encadrée par Youssoupha propose une dimension musicale qui laisse entrevoir une carrière. Une vraie. Une grande carrière musicale !
Praefatio : un album avec des titres de qualités !
Dans Terembi, qui signifie en français Mon corps et chanté en ngwand, l’originalité et l’intensité vocale de celle que les fans ivoiriens appellent affectueusement Cécé traduisent mieux les sentiments mélancoliques qu’elle désire exprimer. Et quand on sait que Cécé évoque dans Terembi des sujets comme l’accouchement à travers ses phrases : « Soutiens-moi avec ton argent le jour de mon accouchement », on comprend que Céline a besoin de calme pour parler de son corps et celui de la femme en général. Ce titre est une grande chanson et sûrement l’une des meilleures de son album. Terembi sera assurément le premier Hit de Praefatio. Céline évoque également dans son opus des sujets comme l’hommage et l’espoir.
Les titres Songo te he ; Mbiyemo si babaet Mbilo ti chantés en ngwand avec des caractères mélancoliques, profonds et émouvants en disent énormément sur ses deux sujets. Dans le titre Is it love, chanté en anglais, Céline arrive à donner de l’émotion malgré le changement de langue. Le titre Rain, feat Sarah Bitamazire également chanté en anglais a de près, les mêmes assises sonores qu’Is it love. Leurs voix dans Rain chantent dans des différents pupitres. Donnant ainsi une harmonisation parfaite qui met si bien en relief les paroles et les sensations qu’elles produisent. Quand on a été perturbée dans son enfance avec des accusations parfois non fondées et surtout quand il s’agit de questions comme la sorcellerie, il y a de quoi s’interroger sur la perception des autres vis-à-vis de soi. Céline a une expérience de ce genre de situation. Le titre Sur le pavé, retrace une enfance dont elle seule sait la douleur.
L’histoire dans ce titre chanté en français laisse entrevoir une enfance pénible. Nous n’en dirons pas plus. Écoutez Départ, son feat avec Youssoupha. Et vous sourirez à coup sûr ! L’intro de cette chanson vous laisse entrer dans du bruit, avec un beat lent, comme s’il fallait être embrouillé avant de trouver le calme et le meilleur de Céline. La présence vocale du rappeur français avec ses rimes sont extraordinaires ! Ce duo donne une couleur différente de certaines caractéristiques de la rumba congolaise qui repose essentiellement sur la mélodie, l’harmonie de ses éléments constructifs, la création de sons de beauté. Comme s’il fallait sortir des sentiers battus pour proposer autre chose musicalement. Comme le disait le musicologue Emmanuel Yao Ngoran: « dans la rumba congolaise, ce qui importe, emporte et porte vers les cimes de l’extase, c’est le voyage sur le fleuve Congo dans ce bateau piloté par des génies comme Grand kalé, Mario, Madilu et autres ». Oui, des styles musicaux bien différents de ceux de Céline.
Que dire du titre Mbindoyemo ? Écoutez la profondeur et la sensibilité de la voix de Cécé. Vous y découvrirez une intimité. Dans cette chanson, Céline parle de sentiments et de plus fort ! Oui, d’adieu. Ce qui est intéressant ici, elle emprunte à la tradition ngwand, un rituel (la lamentation des femmes) qu’on retrouve chez beaucoup de peuples africains dans le deuil lors d’une disparition brutale d’un membre de la famille. Là encore, un Hit en devenir.
Les titres de Cécé ne sont pas tous à des beat lents et des mélodies mélancoliques. La preuve avec le titre legi gi ni gbi. Une chanson beaucoup plus animée avec un tempo plus vif : plus dansant. On y trouve des relents du makossa. Dans ce titre, les instrumentistes Jeff Kikasa, Paul Kam Bembo, Deric Tsimba (Lipopo), Jonathan Putulukesi, Steeve Luzitu et Nico Mulumba se libèrent de la mélancolie de Céline (Rire). Le titre Mbigwe donne une sorte de coloration de la musique jazz. On peut penser à des appels et réponses entre Céline et ses instrumentistes. Les tempos vifs et lents s’y alternent. Un peu comme le rythme de la vie. Il s’accélère puis ralentit. Va au pas et reprends sa course.
Les belles techniques instrumentales de Céline
S’il y a bien un instrument de musique qui domine dans l’album de Céline, c’est bien la guitare. La dominance de cet instrument à cordes dans Praefatio traduit l’attachement de la jeune artiste instrumentiste à feu son père (celui-là même qui lui offrit cet instrument). Dans ses titres, la guitare est maîtresse avec la technique des arpèges et des accords plaqués. Cette technique utilisée rappelle un certain Eric Clapton, virtuose de la guitare avec ses arpèges et solos. La guitare réussit habilement à scotcher dès les premières notes jouées par Céline Banza. Ce qui est extraordinaire, c’est qu’on retrouve parfois des hammer on et des pulls of traduites soit par des frappes de la corde de la guitare soit par le pincement des cordes.
L’alternance de cette technique par Céline et ses guitaristes montre leur connaissance de la guitare. Céline a une personnalité musicale vraie et juste. En effet, il suffit de voir comment elle transforme musicalement les faits qu’elle a vécus pour s’en rendre compte. Et c’est tellement juste quand elle le fait qu’on a l’impression qu’elle n’a eu aucune difficulté avec cet album musicalement parlant. Céline utilise beaucoup les tonalités mineures dans son style musical. En réalité, la musique traditionnelle africaine utilise beaucoup les tonalités mineures à cause de la sensibilité recherchée.
La ponctualité des phrases musicales se traduit nettement par les silences momentanés dans sa musique et lui donne du soufle. Comme s’il fallait prendre une demi-pause et repartir de nouveau. L’essence même de la vie de Céline. Parlant du rythme, Céline alterne du lent, du vif, souvent avec un saccader modéré (moderato). La rythmique mélancolique, vous la retrouverez dans des morceaux de cet album. À travers la musique de Céline, on comprend donc aisément l’idéologie musicale et chorégraphique de Silvia Lippi, qui parle de Rythme et de mélancolie. Lippi dans cet ouvrage va jusqu’à se questionner sur la relation qui existe entre la psychanalyse et les phénomènes de la musique particulièrement dans le cas de la mélancolie. Nous ouvrons cette brèche pour dire que la musique de Céline est une musique de recherche. Avec Céline, on a droit à des pré-refrains parfois ascendants qui permettent d’excellentes transitions fluides entre les couplets. Le pont utilisé par Céline est souvent choisi aux bons moments. Ce qui donne une clarté à sa musique. Les outro dans Praefatio sont impactant et doux. En réalité, il est très difficile d’écouter la musique de Céline et de ne rien garder dans la tête. Le Hook avec Cécé, il y en aura toujours. Céline, dans cet album a fait quelques emprunts. Ce qui fait la marque des grands artistes d’ailleurs.
Image de la pochette du cv de Céline Banza (© Facebook)
Praefatio, une œuvre dans le temps
Dans l’ensemble, l’album Praefatio est une réussite et un régal. Nous l’avons dit en 2021. Nous le réaffirmons encore. Au moment où nous écrivons ce portrait spécial (août 2023), Praefatio était, à quelques semaines après sa sortie, à plus de 40 621 d’écoutes dans 118 pays et à 295.830 téléchargement sans compter l’achat des cd physiques. Et ce, selon les informations actuelles sur la page Facebook de Céline Banza. S’il vous arrive d’acheter aujourd’hui(2023), le CD de Praefatio, ce premier opus de Céline Banza sorti en 2021, vous verrez sur la pochette son visage qui sort de l’obscurité. Cet espoir que décrit cette image est celui d’une grande artiste dont la vision a porté du fruit en faisant d’elle non seulement ambassadrice de l’Unicef mais aussi avec un second album sorti le 15 avril 2022 intitulé Prayer qui a enregistré seulement pour le téléchargent un chiffre de 311 000 sur le marché du show-business mondial avec des applaudissements des mélomanes aujourd’hui satisfaits et fan de Praefatio.
Christian GUEHI