La violence sexuelle et sexiste est un problème énorme dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Au niveau international, l’accent a été mis sur le viol par des acteurs armés, plutôt que sur la violence sexuelle et sexiste au sens large. En conséquence, les initiatives se sont concentrées sur la lutte contre l’impunité des auteurs et l’aide médicale, juridique, psychosociale et économique aux survivants. Mais ces dernières années, les organisations ont inclus des programmes et des interventions qui défient les normes sociales supposées contribuer à la violence sexiste.
Dans une étude, nous avons examiné « l’intention silencieuse » de certaines communications. Des affiches publicitaires affichent des stéréotypes décalés de la réalité du contexte et contribuent ainsi à consolider certaines normes liées au genre, telles que la famille nucléaire hétérosexuelle. Elles véhiculent le profil type d’un bon individu et d’une famille «appropriés» qui rappelle les politiques coloniales qui ont tenté de promouvoir les normes européennes idéales d’une «épouse domestiquée et docile» et d’un mari monogame et «respectable», vivant ensemble dans une famille nucléaire hétérosexuelle. Cette idée d’une famille nucléaire stable et hétérosexuelle n’est pas, pour de nombreux Congolais, le reflet de leur réalité face aux migrations économiques, aux conflits violents, à la dégradation de l’environnement et à d’autres dynamiques affectant leurs modes de vie. Notre étude a révélé d’importantes similitudes entre les discours de genre coloniaux et contemporains. Cette base erronée est de nature à fausser les programmes visant à réduire les violences sexuelles et sexistes dans l’est de la RDC.
L’image de l’homme fort
Nos résultats montrent d’ailleurs que les campagnes contre la violence sexuelle et sexiste dans l’est de la RDC reproduisent souvent des stéréotypes. Nous nous sommes basés sur deux campagnes de sensibilisation pour illustrer cela. La première, parrainée par les Nations Unies (ONU), déclare qu’«Un vrai homme ne viole pas». Elle présente en figurines un large éventail de rôles masculins traditionnels dans la société. Tous les hommes sont présentés comme étant en plein emploi, correspondant ainsi au stéréotype sexo-spécifique du rôle clé du chef de famille. Ce n’est pourtant pas vraiment l’image dans laquelle se reconnaissent au mieux les hommes dans cette zone du pays. L’insécurité alimentaire, les menaces répétitives de reprise de la guerre et le chômage suscitent une profonde inquiétude et une grande incertitude quant à l’avenir. Dans ces circonstances, de nombreux hommes congolais ont sans le vouloir échoué dans leurs rôles de protecteur et de chef de famille. Les hommes en RDC vivent dans une société déchirée par la guerre.
Pourtant, la campagne réaffirme les stéréotypes des «vrais» hommes, bien habillés, ayant réussi, avec un emploi, une masculinité «forte», une capacité de protection masculine bienveillante, de contrôle des émotions et d’hétérosexualité. Les images montrent un officier de police discipliné, un soldat bien habillé, un homme et une femme se tenant paisiblement par la main. C’est une vision d’un monde idéal en total décalage avec la vie ordinaire d’un homme congolais, qui est plutôt marquée par la violence quotidienne de policiers, de soldats, voire de membres de leur famille. De plus, elles vont à l’encontre des contraintes qui empêchent les hommes d’atteindre ce qui est perçu comme une virilité respectable. Cet idéal de «véritable homme congolais» conduit les hommes à un sentiment de culpabilité face à l’impossibilité de relever ce défi dans le contexte et les ramène à ce sentiment d’infériorité que les colons ont voulu inculquer.
L’image de la « vraie » femme chaste
Une autre campagne, financée par une agence américaine de développement international, promeut les normes conservatrices et régressives de la chasteté féminine.
Un panneau publicitaire montre qu’«Une vraie femme ne vend pas son amour-propre pour des cadeaux ou de l’argent. Une vraie femme attend. Le sida ne passera pas par moi ». Ce slogan met tout le fardeau de la prévention du sida sur le dos des femmes, tout en ignorant qu’elles sont souvent infectées via la violence sexuelle. On s’attend à ce que la femme refuse de l’argent, des cadeaux ou les deux jusqu’à l’arrivée d’un «vrai» homme bon qui mérite son amour. Cependant, l’abstinence et la patience n’offrent aucune protection contre les violences sexuelles.
L’image s’appuie également sur des images rappelant la colonisation : de «grands hommes» qui peuvent se payer le luxe de plusieurs femmes ; l’argent leur permettant d’avoir davantage « d’opportunités sexuelles ». Cette campagne diffuse l’idée de chasteté féminine tout en réaffirmant les notions de masculinité des «grands hommes». Une telle régulation de la sexualité fait écho aux pratiques coloniales de domestication visant à freiner la «sexualité primitive» présumée des Noirs.
Contextualiser les programmes de lutte contre la violence basée sur le genre
Les approches réussies en matière de violence sexuelle et de genre doivent s’adapter aux contextes locaux, aux peurs et aux souhaits des hommes, des femmes et des spécificités de la RDC. Celles-ci peuvent inclure la préférence de certaines femmes survivantes de retourner dans leur communauté et de fournir une éducation, de la nourriture et une sécurité à leurs enfants et aux autres membres de leur famille, plutôt que de voir leur auteur puni.
Elles doivent également tenir compte de la dynamique du genre localement. Le conflit en cours en RDC a eu de profondes répercussions sur les rôles et les normes traditionnels liés au genre. La guerre peut éroder les institutions patriarcales et créer ainsi la nécessité pour les femmes d’avoir un rôle proche de celui des hommes par la force des choses. Il est également important de tenir compte de la résistance locale aux modèles imposés de l’extérieur. Un certain nombre d’organisations non gouvernementales ont certes commencé à appliquer des méthodes développées ailleurs non sans faire l’effort de les adapter aux réalités locales.
Ces méthodes associent le changement des normes de genre aux efforts de lutte contre l’insécurité économique et la perte de pouvoir des femmes. Elles intègrent également des femmes et des hommes et combine une compréhension locale du genre aux autres enseignements du monde entier.
Charlotte Mertens, chercheure à l’université de Melbourne et Henri Myrttinen, chercheur à l’Institut de hautes études internationales et du développement.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.