« Déconstruire les narratifs du XXè siècle qui ont marginalisé l’Afrique pour écrire ceux du XXIè siècle afin de lui accorder la place qui doit être la sienne. »
Vers une réforme du Conseil de sécurité de l’ONU ?
À chaque grande crise internationale, se pose la question de la réforme du Conseil de sécurité de l’ONU, lorsque l’un des cinq membres permanents (États-Unis, Russie, Chine, Royaume-Uni et France) utilise son droit de veto pour interdire tout débat et bloquer telle ou telle décision. Depuis qu’elle a envahi l’Ukraine, la Russie utilise ce droit de veto pour s’opposer à toute résolution qui la condamne.
La manière dont Moscou utilise son droit de veto depuis l’invasion de l’Ukraine a conduit Emmanuel Macron et Joe Biden à proposer une réforme du Conseil de sécurité de l’ONU. Lors de l’Assemblée générale des Nations Unies, le mardi 20 septembre 2022, le président français Emmanuel Macron a déclaré : « Je souhaite que nous engagions enfin la réforme du Conseil de sécurité ». De son côté, le président américain, Joe Biden, a appelé à « augmenter le nombre de membres permanents et non permanents » de cette instance onusienne, chargée de la sécurité internationale et du maintien de la paix.
Ce débat sur la réforme du Conseil de sécurité n’est pas nouveau, il réapparaît à l’occasion de la guerre en Ukraine, alors qu’il agite l’Organisation depuis près de quarante ans. Fait nouveau, c’est la première fois que deux membres du conseil permanent, la France et les États-Unis, se prononcent pour la réforme du Conseil de sécurité des Nations unies composé depuis 1945 de cinq membres permanents (États-Unis, France, Russie, Chine et Royaume-Uni), dotés de l’arme nucléaire et d’un droit de veto, et de dix membres non permanents, élus pour deux ans et sans droit de veto. L’Afrique dispose, parmi ces dix membres non permanents, de trois sièges. En 2022, les trois pays africains sont le Gabon, le Ghana et le Kenya.
Si la réforme du Conseil de sécurité est régulièrement évoquée, afin d’améliorer sa représentativité et l’efficacité de son travail, elle n’a jamais été mise à l’agenda de l’ONU. Cette réforme a toujours été présentée comme une source d’instabilité, alors que le monde de Yalta a permis de stabiliser les rapports de force entre le bloc de l’Ouest, pilotée par les Etats-Unis, et le bloc de l’Est, dirigée par l’URSS.
Pour l’Afrique, l’heure du changement est venue
Le président sénégalais Macky Sall, depuis qu’il en est devenu le président en exercice, s’est fixé comme objectif de renforcer le rôle diplomatique et géopolitique de l’Union Africaine. Son ambition est de faire parler d’une seule voix un continent divisé. C’est ce qu’il a fait, en pleine guerre d’Ukraine, en se rendant à Sotchi, le vendredi 3 juin 2022, pour rencontrer Poutine afin de défendre les intérêts du continent. C’est ce qu’il a fait, le 20 septembre 2022, lors de la 77e session de l’Assemblée générale des Nations unies, qui s’est tenue à New York, rappelant que l’Union africaine revendique « au moins deux sièges permanents », avec droit de veto, au sein de cet organe des Nations unies.
Dans son allocution, Macky Sall, a relevé le caractère dépassé du Conseil de sécurité et revendiqué la participation effective de l’Afrique dans les institutions onusiennes, afin qu’elle soit associée aux décisions. Il a déclaré : « Près de quatre-vingts ans après la naissance du système des Nations Unies et des Institutions de Bretton Woods, il est temps d’instaurer une gouvernance mondiale plus juste, plus inclusive et plus adaptée aux réalités de notre temps. » Macky Sall ajoute : « Il est temps de vaincre les réticences et déconstruire les narratifs qui persistent à confiner l’Afrique à la marge des cercles décisionnels. Il est temps de faire droit à la juste et légitime revendication africaine sur la réforme du Conseil de Sécurité, telle que reflétée dans le Consensus d’Ezulwini ».
Elaboré en 2005 par l’UA, le Consensus d’Ezulwini exprime la position commune des États africains sur la réforme des Nations unies : « la pleine représentation de l’Afrique au Conseil de Sécurité signifie au moins deux sièges permanents avec tous les privilèges et prérogatives des membres permanents y compris le droit de veto et cinq sièges non permanents ». Sur le droit de veto, l’Union africaine précise que « si l’Afrique s’oppose en principe au maintien du droit de veto, elle pense que c’est une question de justice pour tous et que tant qu’il existera, il doit être accordé à tous les membres permanents, anciens et nouveaux ».
Pour l’Afrique, l’heure du changement est venue. Tous les États, en particulier la France et les États-Unis, s’accordent à dire que l’Afrique doit être mieux représentée dans les instances onusiennes et, au-delà de l’ONU, dans toutes les organisations internationales. D’ailleurs, dans son allocution, le président Macky Sall ne s’arrête pas à la question de la place de l’Afrique à l’ONU, il ajoute : « Dans le même esprit, je rappelle notre demande d’octroi d’un siège à l’Union Africaine au sein du G20, pour que l’Afrique puisse, enfin, se faire représenter là où se prennent les décisions qui engagent un milliard quatre cents millions d’africains. » L’adverbe « enfin » exprime l’état d’esprit de l’Afrique qui, après avoir été attendu longtemps et avec impatience son indépendance politique, attend désormais une deuxième indépendance, celle d’une souveraineté pleine et entière, afin de participer aux dynamiques contemporaines en étant « là où se prennent les décisions ».
Sortir de l’héritage de la Seconde guerre mondiale
Colonisation, période postcoloniale, « Guerre froide », fin de la « Guerre froide » : à chaque séquence pertinente qui ponctue son histoire récente, l’Afrique a toujours subi le fardeau de la grande Histoire, celle que les grandes puissances écrivent, comme elles décident de qui peut participer au phénomène des relations internationales. L’héritage de la Seconde guerre mondiale, c’est le monde de Yalta qui a marginalisé l’Afrique.
La guerre en Ukraine et les visées impérialistes de la Russie ont provoqué la mort de Yalta. Dans le monde multipolaire qui se construit, sur fond de multiplication des conflictualités (guerres, terrorisme, criminalité organisée) et des menaces nouvelles (dérèglement climatique, famines, pandémies), les dirigeants africains entrent dans une phase de renégociation d’un nouveau Yalta pour l’Afrique. Ce nouveau Yalta ne doit pas donner naissance à de nouvelles formes de colonisation.
Dans son allocution, Macky Sall exprime le souhait de l’Afrique : « Je suis venu dire que l’Afrique a assez subi le fardeau de l’histoire ; qu’elle ne veut pas être le foyer d’une nouvelle guerre froide, mais plutôt un pôle de stabilité et d’opportunités ouvert à tous ses partenaires, sur une base mutuellement bénéfique. » Dans le processus de reconfiguration géopolitique du continent que provoque la guerre en Ukraine, l’Afrique risque d’être « le foyer d’une nouvelle guerre froide » que préfigure une nouvelle répartition des zones d’influence, déjà visible au Mali, en Centrafrique. Parce que l’Afrique est convoitée, tous les États africains potentiellement défaillants risquent de subir à nouveau le fardeau de l’Histoire.
Les relations entre l’Afrique et la communauté internationale sont entrées dans un nouveau paradigme qui suppose des partenariats réinventés dans tous les domaines. Si le projet de l’Occident est uniquement de contrer l’influence de la Chine ou de la Russie en apportant des recettes et des solutions sans écouter l’Afrique, ce ne sera un nouveau motif d’incompréhension. Il faut à présent écouter l’Afrique. Il est temps de déconstruire les narratifs du XXè siècle qui ont marginalisé l’Afrique pour écrire ceux du XXIè siècle afin de lui accorder la place qui doit être la sienne.
Christian GAMBOTTI – Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches du l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@afriquepartage.org