Le Malien Assimi Goïta à Bamako ou le Burkinabé Ibrahim Traoré à Ouagadougou ont plus d’un point commun : issu de coups d’État, leur pouvoir, qui flatte les foules mais ignore le peuple, semble se soucier principalement de son maintien aux affaires. En attendant des élections très hypothétiques.
Le rendez-vous est fixé à février 2024 au plus tard. Au Mali, le gouvernement de transition du colonel Assimi Goïta – arrivé au pouvoir après son putsch en septembre 2020 – a promis qu’il ne repousserait pas le scrutin présidentiel au-delà de cette date, alors que l’élection était initialement prévue le 27 février 2022. La raison invoquée : le chaos dans le pays et la guerre contre les jihadistes. Il s’était engagé à « transmettre » le pouvoir aux civils. Mais à Bamako et surtout dans les régions reculées, plus personne ne se fait vraiment d’illusion : Goïta sera candidat et de là à bourrer les urnes pour conserver le pouvoir…
Bamako-Ouagadougou, même combat ?
Un peu plus au sud, le Burkina Faso suit la même trajectoire, en décalé. Les militaires d’Ibrahim Traoré – auteur d’un putsch en septembre 2022 – viennent de voir partir les soldats français de l’opération Sabre, comme les Maliens ont poussé dehors les forces de l’opération Barkhane il y a quelques mois. Et, même chose, les militaires ont renversé un pouvoir qui était loin d’être parfait, mais qui avait le mérite d’avoir été élu démocratiquement.
Aujourd’hui, la situation n’est pas meilleure, mais les citoyens n’ont plus qu’à se taire. Pire, au Faso, les prochaines élections ne sont même pas prévues. L’isolement régional et international des deux pays va croissant, mis à part l’appui de la Russie. Même l’Algérie du président Tebboune, pourtant partie prenante dans le dialogue inter-malien, a jeté l’éponge face au jusqu’au-boutisme de Goïta face à Iyad Ag Ghaly, patron du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM).
Désormais, à Ouagadougou comme à Bamako, la mode est aux campagnes antifrançaises et aux cérémonies de bienvenue en faveur du nouvel allié russe et des mercenaires du groupe Wagner. Mais la société civile n’est pas dupe. Par exemple, le politicien burkinabé et ancien maire de Tensobentenga dans la région du Centre-Est, Ambasda Paul Sandwidi, met en garde ses compatriotes : « J’interpelle le pouvoir de transition à Ouagadougou. Aujourd’hui, dénoncer un accord ou une convention ne pose pas de problème en soi. Mais la manière dont cela a été fait, pour contenter une opinion publique et être solidaire avec le Mali, pose problème parce qu’il y aura le revers de la médaille. Si vous analysez le contexte géostratégique de la sous-région, le Burkina est isolé avec le Mali. Le Mali paye cher cet isolement. Au lieu de trouver des chemins pour être en phase avec notre communauté sous-régionale, nous saccageons le peu de relations que nous avons avec les Français. C’est un risque, les conséquences seront désastreuses. »
Abrutir l’opinion publique
Que ce soit au Mali ou au Burkina Faso, la fabrication de l’opinion publique est la même : les pouvoirs militaires jouent sur la naïveté des foules, sous prétexte de souveraineté, quitte à prendre le risque de ne plus contrôler les monstres qu’ils ont créés. « Je suis constamment sur les réseaux sociaux pour constater les tentatives de manipulation, explique l’Ivoirien Simplice Yodé Dion, enseignant-chercheur au département de philosophie de l’Université de Cocody-Abidjan. (par exemple) : un jour, un internaute annonce que Poutine a offert un sous-marin nucléaire au Mali. Et un commentateur lance : “On attend la Côte d’Ivoire maintenant, on va voir !”. Les Maliens ont le sentiment qu’ils peuvent battre le monde entier aujourd’hui. La junte militaire joue sur cette manipulation et ces fantasmagories, et donne l’impression aux Maliens qu’ils sont en sécurité alors qu’ils sont tout seuls et en insécurité. Ce régime est très dangereux, en termes de sécurité, pour l’Afrique. » La bataille de l’information fait rage et la propagande dont sont victimes Maliens comme Burkinabé atteint son but très souvent. Même avec des fake news aussi saugrenues qu’un sous-marin livré à un pays dépourvu de débouché sur la mer !
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La blague est drôle, mais elle trompe le peuple en lui cachant des réalités qui pourraient devenir terribles. En janvier dernier, le rapport de l’Observatoire du Timbuktu Institute ne masquait pas son inquiétude : l’avenir du Mali est sombre. « Avec une telle situation, tout porte à croire qu’au Mali, on se dirigerait vers une situation plus grave que celle de 2012 qui, en revanche, n’épargnera aucune partie du pays et, pire, s’étendra rapidement aux pays voisins. » C’est donc tout le Sahel qui risque de payer très cher l’aventurisme d’Assimi Goïta et de son homologue Ibrahim Traoré qui sont arrivés au pouvoir par la force.
C’est important de le rappeler à tous nos frères sahéliens : la prise de pouvoir par des militaires n’est pas une fatalité. Prenez l’exemple du Niger, presque cinq fois plus grand que le Burkina. Il a fait face à la même menace sanguinaire des groupes jihadistes mais n’a pas sacrifié ses alliances et a réussi à surmonter les crises des derniers mois. Et a aussi dû balayer les rumeurs de coup d’État contre le président Mohamed Bazoum le 19 février dernier ! « Sur le front de la lutte antiterroriste, à défaut de démarcher pour avoir le plus de partenaires, on ne doit pas se créer des ennemis, ajoute Ambasda Paul Sandwidi. Le gouvernement de transition burkinabé, dans sa communication, doit se ressaisir. Je n’ai pas de sentimentalisme vis-à-vis de la France, mais lorsque que vous expulsez les Français, il faut s’attendre au retour de bâton. Comparez avec le Niger. Le Niger a été attaqué en premier, avant le Burkina. Sa lutte antiterroriste et sa collaboration avec ses partenaires ne l’ont jamais amené à humilier, à dénoncer ou à stigmatiser un partenaire. Cela ne l’a pas conduit à chasser les Français ou à faire venir les Russes. »
L’après-guerre antiterroriste : quel retour à la démocratie ?
À chaque coup d’État, l’objectif annoncé des colonels – la main sur le cœur – est de restaurer la concorde civile et de préparer le retour au pouvoir des civils. Qui peut encore les croire ? Pourtant, le retour à la démocratie reste l’objectif ultime. Qu’arrivera-t-il donc une fois que la guerre contre l’abominable hydre islamiste sera gagnée ? Comment arrivera-t-on à développer ces pays totalement à l’arrêt économiquement, mise à part l’exploitation des mines d’or pour payer les mercenaires russes ? « Tout le monde est d’accord pour reconnaître que le sous-développement et la pauvreté ont contribué pour beaucoup à la montée de la filière terroriste, poursuit Ambasda Paul Sandwidi.. Jusqu’à preuve du contraire, la plupart des nouveaux partenaires vers lesquels nous nous tournons s’intéressent à nous pour vendre des armes. Mais après les armes, il nous faudra des fonds et des partenariats de développement. Si l’économie ne décolle pas, le terrorisme ne finira pas. Le gouvernement de transition doit donc nous épargner des aventures qui pourraient s’avérer très coûteuses à long terme. »
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Malheureusement, nos peuples frères ne semblent pas avoir conscience des défis futurs. Selon Simplice Yodé Dion, les militaires comptent bien profiter de cet aveuglement et gouvernent « non pas avec la raison mais avec l’émotion de ces foules. Mais où va-t-on avec ça ? Voici le problème que j’ai avec ces pouvoirs qui fleurissent ici et là ! Allons à des élections, c’est ce qu’ils sont censés faire. Une fois que nous aurons des présidents élus, les peuples pourront se prononcer sur une alliance ou une fédération. Ce ne sont pas 200, 400 ou 2000 personnes qui descendent dans la rue pour mettre le feu à tout ce qui ressemble à l’Occident, qui doivent dicter à un homme d’État ce qu’il doit faire pour son peuple ».
Le problème là-dedans, ce sont bien lesdites élections. Quand auront-elles lieu, dans le Mali d’Assimi Goïta, comme au Burkina Faso d’Ibrahim Traoré ? Qui pourra se présenter ? Les hommes politiques de la société civile finiront-ils tous en prison ou en exil avant le scrutin ? Auront-ils une chance face à ces colonels qui se rêvent déjà candidats et élus ? L’instrumentalisation de la rue ne peut pas se substituer au processus démocratique. Seules des élections libres permettront de remettre les institutions des pays du Sahel sur pied. Et le plus tôt sera le mieux.
Alassaone Traore