Obra Coulibaly, une étudiante ivoirienne au Kenya, remporte le prix du Scholar Entrepreneurship Fund (SEF) de 18.000 dollars américains pour la promotion de la santé mentale en Afrique avec son association SHVoices.
Étudiante ivoirienne à la United States International University-Africa (USIU-Africa) basée au Kenya, Obra Aicha Coulibaly, agée de 24 ans, a remporté un prix de 18.000 dollars américains, le 17 février 2023, avec son association SHVoices (She/He voices. (Elle/il milite) pour les voix stigmatisées en anglais ) pour son projet sur la promotion de la santé mentale en Afrique. Dans cet entretien, Mlle Coulibaly nous explique les circonstances qui l’ont conduite au Kenya, les conditions de l’obtention du prix SEF et le travail de son association pour la promotion de la santé mentale en Afrique notamment en Côte d’Ivoire.
Comment vous êtes-vous retrouvée au Kenya ?
Pour la petite histoire, après mon BAC en Côte d’Ivoire, j’ai été admise à la African Leadership Academy (ALA) basée en Afrique du Sud pour deux ans. Après avoir reçu mon diplôme, j’ai pris une année off (appelée GAP Year) pour mieux explorer les options. Alors ALA nous a introduit la possibilité de postuler pour la bourse MasterCard-ALA qui permet de poursuivre le bachelor dans des Universités Internationales partout dans le monde avec une bourse totale. C’est un programme de bourse rigoureux et assez compétitif auxquels différents jeunes africains peuvent postuler selon des critères d’éligibilité définis.
Après un processus de sélection assez long, j’ai été sélectionnée comme bénéficiaire de la bourse MasterCard-ALA pour poursuivre mes études universitaires à USIU-Africa. Cette bourse m’a permis de faire un programme d’orientation à l’université de Rochester, aux États-Unis et couvre les frais liés à mon Bachelor à USIU-Africa.
Expliquez-nous les conditions de l’obtention du prix SEF ?
L’un des éléments que la bourse recherche chez ses bénéficiaires c’est le désir de “give-back” (se réinvestir dans le développement) de leurs communautés. C’est d’ailleurs l’un des critères d’éligibilité pour être un boursier de Mastercard-ALA. Afin d’aider leurs boursiers dans ce sens, le programme lance différents appels à projets pour tous les boursiers et s’ensuit une sélection.
En 2019, j’ai été l’une des lauréates Community Action Project (Projet d’action communautaire). Ce fonds m’a permis d’organiser le Mind Act Camp (MAC) en Côte d’Ivoire en 2021, qui vise à démystifier la santé mentale pour les adolescents ainsi que leurs parents. La Fondation a aussi mis en place le Scholar Entrepreneurship Fund (SEF) qui vise à récompenser des projets des boursiers de la MasterCard-ALA qui ont des projets susceptibles de créer un changement social ou économique positif dans leurs communautés respectives. Pour cette édition, nous étions plus de 50 candidats à soumettre nos projets et le mien a été sélectionné parmi les meilleurs. J’ai ainsi reçu le prix d’une valeur de 18,000 dollars (près de 10.700.000 FCFA; ndlr) pour les actions de mon organisation SHVoices. Ce fonds aidera entre autres à débuter la construction du Centre de SHVoices.
En quoi consiste le projet de SHVoices ?
Le prix récompense des projets qui visent à créer un changement social ou économique positif dans le continent. Depuis que j’ai créé SHVoices, mon objectif premier était d’apporter un changement autour de nos attitudes sur la question du bien-être mental en Afrique. Mon initiative SHVoices s’est ainsi donnée pour mission la déstigmatisation de la santé mentale et la prévention du suicide en Afrique. À ce jour, ce sont plusieurs actions menées en Côte d’Ivoire et au Kenya notamment des sessions de Counselling gratuites et un soutien psychologique pour des étudiants en difficulté.
Le prix du Scholar Entrepreneurship Fund (SEF) m’a été remis dans l’optique de continuer les actions de SHVoices notamment en Côte d’Ivoire. Il permettra d’acquérir un terrain pour la construction prochaine du Centre de SHVoices en Côte d’Ivoire. Ce centre sera dédié à la promotion de la santé mentale pour les jeunes ivoiriens à travers l’éducation en santé mentale, la prévention des troubles psychologiques, l’apport des premiers secours psychologiques et la mise en place de groupes de soutien.
Qu’est ce qui vous a amenée à vous intéresser à la santé mentale ?
Une expérience personnelle… J’ai vite eu conscience de mon bien-être mental vers la fin de l’enfance et au début de mon adolescence. J’ai eu une première crise de dépression à 10 ans … malheureusement vu que mon entourage immédiat ne comprenait pas ce qui se passait, la conversation était difficile. Au fil des années, les choses se sont aggravées et j’ai dû être internée, ce n’était malheureusement pas la bonne solution pour moi.
En 2017, étant en Afrique du Sud pour les études, mon état s’était aggravé. J’y avais eu une première crise de panique et des épisodes plus fréquents de dépression. C’est seulement là que j’ai pu consulter un psychologue pour la première fois et j’ai été chanceuse d’avoir une prise en charge gratuite. De sessions en sessions j’avais enfin compris ce dont je souffrais. J’ai reçu un diagnostic de dépression et de trouble d’anxiété généralisée. La psychologue m’a expliqué que tous ces maux sont nés dans mon enfance…
J’ai bénéficié de soins et de sessions de psychothérapies qui m’ont beaucoup aidée. Vu que dans mon université, la santé mentale était prise au sérieux, j’avais eu un bon groupe de soutien qui a facilité mon processus de guérison.
Cette expérience m’a ouvert grand les yeux sur non seulement l’impact de l’enfance et de l’environnement sur la croissance psychologique et émotionnelle d’un individu, mais aussi sur le fait que beaucoup de personnes souffrent en silence. Cette expérience m’a confortée dans mon choix de poursuivre des études en psychologie. J’ai décidé dès lors de créer une organisation qui viendrait en aide aux jeunes adolescents et qui aura pour mission première de prévenir les troubles psychologiques chez les jeunes et prévenir le suicide en Afrique. C’est ainsi qu’est née SHVoices.
Que comptez-vous faire pour une meilleure compréhension et une meilleure prise en charge de cette question sur le continent et en Côte d’Ivoire ?
La clé pour une meilleure compréhension de la santé mentale sur le continent c’est la sensibilisation à grande échelle. D’expérience, vu les tabous liés à la santé mentale et la stigmatisation sur le continent, beaucoup de personnes souffrent et meurent malheureusement en silence. Il y a le cliché du “se sont les choses de blanc” qui complique la conversation.
Je suis ravie de voir certains efforts dans ce sens au pays, notamment ceux du Programme National de Santé Mentale et des organisations qui essaient de plus en plus de faciliter la conversation autour de la santé mentale. Certes, je pense que nous sommes sur la bonne voie, cependant encore beaucoup de choses doivent être faites. Déjà au niveau de la déstigmatisation grâce à l’éducation mais aussi au niveau des prises en charges qui constituent un luxe pour beaucoup.
Le prix que vous avez obtenu peut-il vous aider à atteindre vos objectifs ?
Ce prix permet de poser la première pierre du centre de SHVoices. Ce centre permettra l’organisation de plusieurs activités en faveur du bien-être mental et offrira un support psychologique aux personnes qui en auront besoin. Déjà pour cette année ce prix permettra l’organisation d’activités qui visent à déstigmatiser la santé mentale des étudiants en Côte d’Ivoire. On organisera également la deuxième édition du Mind Act Camp à Abidjan en Août. C’est un camp initié par SHVoices en collaboration avec la fondation Mastercard qui vise à démystifier la santé mentale pour les adolescents et leurs parents en Côte d’Ivoire. SHVoices offre déjà un support psychologique aux jeunes à Nairobi et à Abidjan et organise régulièrement des activités qui aident dans ce sens.
Réalisé par Yaya Kanté