A l’heure actuelle, c’est un climat de grosse inquiétude mêlé d’incertitude qui anime les camps d’Ampain, d’Egyekroum, de Fedentaa, au Ghana et celui d’Avepozo Tropinaca, au Togo.
Selon des témoignages recueillis sur place, les quelques 8.000 réfugiés encore pensionnaires de ces camps sont sommés par le Haut commissariat pour les réfugiés (HCR) de regagner leur pays, la Côte d’Ivoire au plus tard, le 31 décembre 2017. Dans le cas contraire, à partir de cette date, l’institution onusienne se désengagerait totalement, quant à sa responsabilité juridique vis-à-vis de ces derniers. Et pour ce programme de départ ‘’volontaire’’ « imposé » (ou conseillé) par le HCR, la structure propose la somme de 75000 Frs Cfa par adulte et 50.000 Frs Cfa, pour chaque enfants.
Une décision qui a mis en émoi tous les réfugiés ivoiriens qui vivent encore dans ces pays, et qui ne savent plus où donner de la tête, puisqu’à partir du 1er janvier 2018, la gestion des camps sera rétrocédée à la GHANA REFUGEE BOARD, une institution locale.
Déjà en 2012, le HCR avait rompu son programme alimentaire à l’endroit des réfugiés ivoiriens (composé de 9 kg de riz par mois et par personne, réduit peu après à 5 k, d’huile…), dans le camp d’AVEPOZO TROPICANA, au Togo avant de faire progressivement de même dans les trois autres camps de réfugiés ivoiriens basés sur le territoire du Ghana. Cela avait provoqué une situation précaire chez les réfugiés, difficulté qui se poursuit aujourd’hui. Exposés à la faim, la plupart d’entre eux ont fini par perdre toute dignité humaine.
Dans la capitale togolaise, cette décision du HCR avait provoqué en son temps, une vive protestation des réfugiés dont des femmes qui se sont vues jetées en prison pendant 3 mois pour ‘’trouble à l’ordre public’’. Une partie du camp était partie en fumée; le feu ayant été provoqué par le jet de gaz lacrymogène de la Police locale.
Réfugiée ivoirienne dans le camp de Ampain, puis traductrice au HCR, Mme Djéty explique : «Une fois lors qu’une réunion avec des représentants du HCR-Genève étaient venus nous entretenir pour nous parler de la réinsertion. Ils ont affirmé qu’il n’y a pas de possibilité pour réinstaller les Ivoiriens parce que le gouvernement ghanéen n’a pas encore pris la décision de nous intégrer, alors ils ont dit qu’il fallait que nous pensions retourner. Et nous leur avons répondu que nous ne pensions pas retourner, parce qu’il n’y a pas de sécurité en Côte d’Ivoire. Je leur ai demandé : ‘’dans ce cas, qu’est-ce que vous faites pour nous parce que nous sommes sous votre tutelle ?’’. Ils n’ont pas eu de réponse à donner. (…) Si j’ai un appel à lancer, s’il y’a des personnes de bonnes volontés qu’elles viennent à notre aide. C’est vraiment difficile ces conditions, pour nous »..
Lili Oro Serge Pacôme donne les principales raisons pour lesquelles les Ivoiriens ne veulent pas quitter les camps : «Si on nous presse de partir, c’est pour faire croire à l’opinion internationale qu’il n’y a aucun réfugié ivoirien au Ghana, alors qu’il y a bien des réfugiés ici, au Ghana. Mais nous allons continuer à rester au Ghana parce que les raisons qui nous ont amenées ici, persistent encore. Il y’a l’insécurité en Côte d’Ivoire. Si aujourd’hui je me retrouve à Saïoua, qui est chez moi, il y a des dozos dans mon village. Si j’arrive aujourd’hui en Côte d’Ivoire, je serais arrêté pour être jeté en prison. On nous dit : ‘’rentrez tranquillement en Côte d’Ivoire’’. Assoa Adou est quitté ici pour aller en Côte d’Ivoire, aujourd’hui, il se retrouve en prison. Les jeunes Ivoiriens qui rentrent, aujourd’hui, sont arrêtés et jetés en prison. On dit ‘’atteinte à la sûreté de l’État ’’ parce que voilà 6 ans qu’ils ne sont pas rentrés au pays. Mais il y a encore le problème des ‘’microbes’’ en Côte d’Ivoire. Ils peuvent tomber sur vous pour vous tuer. Gbagbo se trouve encore à la CPI, s’ils veulent qu’on rentre en Côte d’Ivoire, qu’ils libèrent Laurent Gbagbo. Le jour où Laurent Gbagbo sera libéré de prison, il n’y aura aucun réfugié au Ghana, il n’aura aucun réfugié au Togo. Aujourd’hui, la condition sine qua non pour que les Ivoiriens qui sont réfugiés dans le monde retournent en Côte d’Ivoire, c’est la libération du président Laurent Gbagbo et de son ministre Charles Blé Goudé. Ainsi que la libération de tous les prisonniers politiques qui se trouvent en Coire d’Ivoire. Si on libère toutes ces personnes là, nous allons partir en Côte d’Ivoire. Si nos plantations de l’Ouest sont aussi libérées , nous rentrerons parce que si vous allez à présent à Duékoué, Guiglo… vous allez voir que des Mossi qui les occupent. Ce sont eux qui occupent nos villages. Aujourd’hui, ce sont des étrangers qui sont chefs de villages. Si ces derniers savent que vous êtes rentré d’exil, ils vont vous tuer. Il n’y aura aucune justice pour nous, en Côte d’Ivoire parce qu’il y’a a la justice des vainqueurs. Ce sont ceux qui ont gagné la guerre qui sont à présent protégés par la loi. Nos parents n’ont plus droit de citer, on souffre, on meurt. Il y’a de cela quelques mois, nous avons enterré notre ami qui est décédé dans notre main».
Situation identique de colère et frustration au camp de FETENTAA (camp situé à l’ouest du Ghana, à 76 km de Bondoukou et 45 km à vole d’oiseau de Kounfao) traduit par le collectif des pasteurs et le président dudit camp, Niangui Sévérin : « Depuis le mois de Juin 2017, nous avions entendu des rumeurs disant que le bureau UNHCR de Suniani (capitale régionale) serait fermé et les agents de cette structure seraient affectés au bureau de Takoradi et à la direction de l’UHCR d’Accra. Dans le même temps, d’autres rumeurs disaient aussi que le camp serait fermé et la population envoyé dans d’autres camps. Ces rumeurs ont créé un émoi au sein des réfugiés. Étant dans cette forte émotion, nous avons été informés par nos responsables qu’un représentant de UNHCR-Dakar viendrait pour nous rencontrer. A son arrivé, on nous apprend qu’il ne rencontrera plus la population mais nos dirigeants à la place publique. Alors la population s’est invitée à cette rencontre pour en avoir le cœur net sur les rumeurs que personne ne voulait confirmer. (…) Au début de ce mois (octobre 2017 : Ndlr), la représentante UNHCR-Ghana est venue nous donner une information selon laquelle le bureau de l’UNHCR Sunyani sera fermé et nous lui avons fait savoir que nous n’étions pas d’accord et que cela était brusque, infondé et discriminatoire. Mais elle a refusé de revoir sa position puisque cette décision ne venait pas d’elle. Il faut souligner que lorsque nous avons eux l’information sous forme de rumeur, la présidente des femmes et le président de la jeunesse du camp ont fait des courriers auprès de la chefferie du village de Fetentaa, du Maire de Berekum, de la direction de l’UNHCR-Accra, du ministère de l’Intérieur ( Ghana Refugee Bord GRB), des ONG œuvrant pour les Droits de l’homme etc. pour leur faire part de nos inquiétudes et signifier, par la même occasion que cette décision brusque, de la représentante de l’UNHCR, nous la trouvons injuste et arbitraire. Et comme argument elle dit que le UNHCR n’a plus d’argent pour les réfugiés ivoiriens et que le bâtiment qui abrite le bureau coûte cher qu’elle ne peut plus payer. Alors l’Évêque de Sunyani lui a dit qu’il leur offrait le bâtiment; malgré cela, elle a dit non ! Elle part de la tête de l’UNHCR-Ghana et elle veut fermer ce bureau avant de partir ».
Blesson Abel, un autre réfugié du camp d’Ampain trouve la situation incompréhensible : «Je vais vous faire une révélation. Ce qui est encore plus grave, l’Onu, à travers le HCR refuse de nous aider, parce que c’est cette organisation qui nous a combattus. Mais il y a des organisations caritatives dont une structure catholique dirigée par M. Martin. Ce monsieur est même venu ici, dans l’espoir de prendre avec, des réfugiés ivoiriens pour les envoyer au Canada pour leur réinsertion sociale parce qu’on nous dit que le Ghana n’a pas de politique de réinsertion des réfugiés ivoiriens. Mais contre toute attente, il a été formellement interdit à ce monsieur de mettre les pieds dans le camp. Mais on nous veut quoi au juste ? On a bien l’impression qu’on a un problème particulier avec les réfugiés ivoiriens. C’est grave, ça c’est un crime. On dit qu’on ne peut pas nous faire voyager et il y’a heureusement quelqu’un qui veut nous faire voyager et on dit non ! Ça aussi c’est un crime. On dit que Laurent Gbagbo est en prison pour crimes contre l’humanité, mais ça aussi c’est un crime contre l’humanité. C’est une violation des droits. Les réfugiés n’ont-ils pas de droits ? L’Onu est méchante. On a compris que ceux qui nous ont combattus ne vont jamais nous aider, ils vont toujours faire croire que nous sommes tous rentrés mais nous sommes là. Nous souffrons, nos enfants souffrent et nos femmes souffrent ».
Dans le camp d’AVEPOZO TROPICANA, au Togo, le 28 septembre 2017, les réfugiés avaient exprimé leurs griefs à M. Sky, le coordonateur du département américain pour les réfugiés en Afrique (18 pays), en présence Mme Diallo Mariam, la représentante du HCR-Togo. Pour Niangui Sévérin, «le HCR qui a pourtant pour mission première la protection des réfugiés en leur offrant gîte et couverts, se dérobe à cette mission pour les jeter à la rue parce que nous sommes baptisés ‘’les réfugiés de Gbagbo’’. Et c’est bien dommage ! ».
Sapi Latho Georges, l’un des chefs du camp de Ampain lance un appel : «Nous demandons de l’aide, nous demandons une protection. On nous a tourné le dos parce que nous sommes noirs et appelés les réfugiés de Gbagbo et pourtant, il ne devrait pas y avoir de discrimination dans le traitement des réfugiés dans le monde. L’allemagne par exemple a décidé d’intégrer 1 million de réfugiés syriens sur son territoire, pourquoi pas nous, aussi ? ».
Un message partagé par Gnonsio Anatole, président de la communauté Wê du camp.
Claude Dassé, envoyé spécial au Ghana et au Togo