Quelle est la place du carburant électrique dans le monde, et quelle part la Côte d’Ivoire occupe-t-elle ?
Avec l’utilisation de la voiture électrique qui prend de plus en plus d’ampleur dans le monde, nous avons interrogé Serge Parfait Dioman, Expert International en Industries Pétrolières et Énergies. Dans cet entretien, l’Ivoirien nous situe la place du carburant électrique dans le monde tout en évoquant le cas de la Côte d’Ivoire.
À quels enjeux pratiques répondent toutes ces variantes de voitures électriques qui nous sont proposées?
Elles s’invitent en fait dans le parc automobile mondial pour contribuer à réduire l’empreinte carbone de celui-ci, c’est-à-dire ses émissions de gaz à effet de serre, et limiter pour ainsi dire son impact sur le climat. Elles sont en effet dans une perspective première de décarbonation de ce secteur intensément sollicité de par le monde entier.
Et accessoirement au demeurant, d’aucuns disent à tort ou à raison qu’elles sont en anticipation de la fin de l’ère pétrolière alors qu’en vérité, et pour des raisons très factuelles, l’or noir n’est point prêt d’être collectivement abandonné de sitôt.
Sont-elles alors vraiment un levier assez efficace pour la lutte contre le dérèglement climatique ?
À l’écho des consignes transitionnelles énergétiques, elles sont dans une mouvance d’innovation technologique qui les affiche d’ailleurs comme une alternative aux voitures à moteur thermique et ce, dans la mesure où à l’usage, elles ne rejettent pas de carbone dans l’atmosphère. Sauf que les questionnements récurrents au sujet de l’impact environnemental des mines d’où proviennent certains de leurs composants, de même que les interrogations relatives à leur recyclage en fin de vie, constituent pour bien d’autres, des faits de pollutions avérées que l’on ne saurait occulter.
En ce qui concerne l’Afrique, quels seraient les points d’amélioration envisageables pour une entrée réussie donc des voitures électriques sur ce continent ?
Hormis l’effort d’attractivité financière à faire pour réduire leur prix d’achat à hauteur de prix abordables à la bourse des Africains, il y a des aspects endogènes liés à la technologie même desdites voitures électriques ainsi que des pré-requis exogènes d’ordre infrastructurel à reconsidérer. En effet, toute technologie motorisée nouvelle requiert un certain temps de rodage pour arriver à une offre non pas d’office parfaite, mais une offre de satisfaction acceptable. Mêmement en est-il des points d’amélioration des voitures hybrides et celles qui sont à motorisation 100% électrique.
Pourriez-vous nous faire part de quelques-unes d’entre elles ?
Alors que dans une station-service l’on est servi dans les 5 minutes près, la recharge d’une voiture électrique prend déjà trop de temps dans une station de recharge publique. Et une fois cela fait, l’autonomie de roulage devient une autre préoccupation car l’on s’assurera de bien disposer de bornes de rechargement fonctionnelles sur le long de son trajet. En Afrique, l’acquisition et la maintenance de tels ouvrages ne sont pas gagnées d’avance pour l’instant. Le taux de couverture électrique du continent se devra d’être certainement améliorée au fil du temps au risque d’être le véritable obstacle à cette initiative.
Qu’est ce qui empêcherait aujourd’hui de le faire ?
Pour un plein succès, il faudrait que l’électricité soit disponible partout et qualitativement stable. Or aujourd’hui, les disparités et les faibles taux de desserte électrique sur le continent créent un déficit structurel voire une contrainte. Le déploiement des voitures électriques gagnerait donc à être cadré dans des réglementations nationales dédiées et un programme de couverture électrique qui, au-delà de l’échiquier national, s’étendrait à des groupes de pays pour permettre de se recharger à volonté et en toute quiétude lorsque l’on mène des déplacements transfrontaliers d’un pays à un autre.
Y aurait-il encore d’autres problématiques exogènes susceptibles d’être un frein à ces voitures électriques ?
Vu la fragilité des nombreux composants électroniques embarqués dans certaines marques de voitures électriques, les secousses et autres vibrations dommageables imposées par l’état de dégradations avancées de certaines routes en Afrique peuvent s’avérer préjudiciables à leur longévité et leur causer des dégradations de manière prématurée. En dépit de ces vicissitudes toutefois, la filière naissante des voitures électriques pourra bien aussi trouver sa place en Afrique, par des coûts d’achat abordables ou subventionnés.
Il s’avère en effet que l’engouement actuel autour des voitures électriques menacera à terme les pétroliers.
Les pétroliers sont loin de les voir comme des offres antagonistes qu’il faille regarder du coin de l’œil. Il s’agit certes d’offres concurrentielles mais pas du tout rivales. Et c’est pourquoi ils ne sont ni hantés ni menacés par elles. En effet, la densité automobile mondiale est en croissance si forte qu’à terme, si les pétroliers devraient tout seuls fournir le carburant au monde, il y aurait un risque d’induire une forte pression sur les réserves de pétro-gazières. Or il convient de gérer celles-ci avec parcimonie pour les générations à venir. Raison pour laquelle les voitures électriques viennent à point nommé comme des formules complémentaires à l’offre première des véhicules à moteurs thermiques de type pétro-carburant et bio-carburant actuellement majoritaires.
Vous ne craignez donc pas la fin annoncée de l’ère pétrolière ni les voitures à motricité électrique ou est-ce juste un déni d’une réalité dont tout le monde parle ?
À ce sujet, prière comprendre qu’une énergie n’a de valeur utile que si elle est accessible dans l’environnement immédiat des utilisateurs. C’est ce calcul opérationnel qui fonde son attractivité et sa résilience face à la concurrence. Et en l’occurrence, les pétro-carburants sont transportables en tout lieu. Ils sont donc d’accès aisé partout en Afrique. Au demeurant, l’offre pétro-gazière ne se limite pas qu’aux carburants. Elle est multiple et couvre divers autres produits à fortes valeurs commerciales comme les combustibles de chauffage, le gaz de cuisine, les bitumineux des routes, les intrants et bases pétrochimiques pour les alcools, les huiles, les lubrifiants de machines, les engrais agricoles, etc. Alors, si certains ne s’attaquent donc qu’au pétrole et gaz du fait d’appréhensions sur le pétro-carburant, l’imminence de la fin de l’ère pétrolière n’est certainement pas dans ce siècle.
Dans ce cas, comment comprendre l’appel de certains constructeurs à arrêter les voitures à moteur thermique dans le courant de la décennie prochaine ?
Les pétroliers le perçoivent comme une invitation à changer de paradigme. Certes, mais à une invitation, l’on est tout aussi en droit de répondre de manière bienveillante sans nuire à nos intérêts légitimes et vitaux. Pour ce faire, ils sont déjà en anticipation sur ces diverses éventualités dont celle qui inscrit les voitures électriques au programme “énergies nouvelles” de leurs plans stratégiques de développement et de modernisation. En d’autres termes, les pétroliers s’intéressent aux voitures électriques mais pas en tant que constructeurs automobiles.
Ils sont plutôt des référents pour les modèles hybrides qui gardent encore une part de pétro-carburant. Mais de plus en plus à l’avenir, ils visent à être des fournisseurs de carburants électriques, une offre similaire à leur activité traditionnelle.
Verrons-nous bientôt des raffineries propriétaires de postes de rechargement de voitures électriques ?
C’est bien déjà le cas ailleurs et ce modèle se répand de plus en plus dans le monde entier. C’est un marché ouvert qui intéresse les pétroliers pour une bonne raison d’ailleurs comme je viens de le notifier. De manière traditionnelle en effet, c’est à eux qu’il revient de fournir le carburant, fut-il désormais du carburant électrique. La notion de carburant est ainsi extensible et intègre donc le carburant électrique dans son ensemble de définition.
Des pays ont des réglementations matures en la matière car l’on est effectivement déjà à l’ère des raffineries pétrolières 3.0 dites “raffineries énergies nouvelles” très ouvertes sur ce créneau au travers de leurs succursales de distribution. Mais il ne s’agit pas d’une course à la nouveauté. Chacun se doit d’avancer à son rythme en tenant compte de ses réalités.
De manière concrète donc, qui d’autres peut se lancer dans ce créneau d’offres de carburants électriques?
Trois types de prestataires proposent aujourd’hui des bornes de rechargement électrique isolées sur des parkings en bordure de routes ou plutôt dans des stations-services, des aires de repos d’autoroutes, etc. Ils offrent aussi des kits pour un usage domestique privé à la maison par exemple. En plus donc des raffineries 3.0, bon nombre de compagnies de distribution d’énergie électrique estiment pour leur part qu’il ne s’agit ni plus ni moins que de fourniture d’électricité ordinaire. Quelques-unes revendiquent alors leur monopole. À ceux-ci s’ajoutent des investisseurs privés de divers bords comme des compagnies de téléphonies mobiles entre autres qui ont en leur sein des centres incubateurs dédiés qui ne se limiteront pas qu’à fournir l’électricité mais iront jusqu’à s’impliquer dans la proposition de prototypes de véhicules en association ou pas avec des constructeurs automobiles ou avec des Start-Up qui épousent leurs visions proactives.
S’agira-t-il d’utiliser le réseau électrique national pour l’alimentation de ces postes de rechargement dédiés aux voitures électriques ?
À ce niveau aussi, la diversité énergétique prend tout son sens encore car diverses sources électrogènes sont mises à contribution. Hormis donc les modèles d’alimentation des batteries via le réseau électrique national, des solutions existent au sujet du solaire, de l’éolien, etc. et d’autres vont jusqu’aux modèles des piles à combustion.
Est-ce une variante de voiture électrique sans batterie ?
Pour cette variante de nouvelles générations en effet, c’est de l’hydrogène (H2) stocké sous pression dans un réservoir du véhicule qui s’associe à l’oxygène (O2) de l’air ambiant pour alimenter une pile à combustion à l’hydrogène. Nous sommes irréversiblement entrés dans une avalanche d’innovations technologiques mondiales qui nous instruisent tous de changer de paradigme opérationnel pour assurer notre pérennité dans ce monde en grande mutation du fait de la transition énergétique.
La Société Ivoirienne de Raffinage saura-t-elle tirer son épingle du jeu ?
À l’instar de ce qui se fait déjà avec succès dans le monde entier, plusieurs acteurs en Afrique se positionnent déjà sur tous ces créneaux porteurs. Le véhicule électrique s’intégrera bien dans le paysage automobile et le tissu socio-économique du continent. Et pour ce qui est de la Côte d‘Ivoire, la SIR qui n’a plus rien à prouver, quant à sa constante motivation à adhérer à tout élan de modernité, n’étonnera personne si demain elle décide de se lancer dans l’offre nouvelle des carburants électriques et celle des bio-carburants, etc. Les experts sont là pour l’accompagner dans cette démarche proactive et elle sait aussi en premier lieu qu’elle peut compter sur ses ressources humaines de compétences avérées et reconnues. Car ne l’oublions pas, cette raffinerie est une cathédrale technique avant tout et demeure le fleuron industriel de ce pays qui aspire à être un hub énergétique de référence. Pour ce faire, l’innovation et la mixité énergétique font partie des cordes qu’elle pourrait bien rajouter à son arc de résilience
Propos recueillis par Claude Dassé.