J’ai publié, dans L’Intelligent d’Abidjan du 13 février 2023, une Chronique sur l’agriculture africaine. Malgré son énorme potentiel agricole, l’Afrique ne produit pas suffisamment pour nourrir sa population et elle exporte trop peu de produits agricoles transformés. J’avais repris la formule heureuse du Président congolais Tshisekedi qui demande que le sol africain prenne sa revanche sur le sous-sol du continent et ses richesses minières.
Alors que l’Afrique est le premier producteur mondial de cacao, au moment où va se tenir le Salon International de l’Agriculture du 25 février au 5 mars 2023, à Paris, Porte de Versailles, la filière du cacaotier africain, avec des exploitations vieillissantes, des méthodes archaïques et une faible productivité, résume à elle seule l’état préoccupant de l’agriculture africaine et de son industrie agro-alimentaire.
L’Afrique, premier producteur mondial de cacao, mais exportateur de fèves brutes en vrac
L’Afrique produit 73 % du cacao mondial, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Cameroun et le Nigeria représentant à eux seuls plus de 70 % de cette production. Trois chiffres montrent qu’il n’est pas suffisant d’être le premier producteur mondial de fèves de cacao pour permettre aux cultivateurs africains de vivre décemment de leur travail : 1) la marché de la fève de cacao brute est évaluée à 12 milliards de dollars sur le marché de l’exportation, 2) le marché mondial du chocolat représente 110 milliards de dollars 3) les producteurs africains ne perçoivent que 8 milliards de dollars EU de revenus, soit à peine 6 % de la richesse créée, c’est-à-dire le prix que paie le consommateur des pays riches pour le chocolat.
Pour Justin Koffi N’Goran, président de l’ARRE(1), l’explication est simple : « la fixation des cours du cacao est faite par les acheteurs mondiaux. Dans l’économie mondialisée, il ne suffit plus d’exporter des matières premières agricoles brutes, il faut créer de la plus-value en misant sur la transformation. Or, la transformation et la commercialisation sont aux mains des grands groupes et des investisseurs étrangers. La libéralisation des échanges sur les marchés mondiaux de produits agricoles ne profite pas aux petits planteurs, il bénéficie aux grands groupes, aux agents économiques et aux intermédiaires de la filière cacao-chocolat. Pour créer de la plus-value dans la chaîne des valeurs mondialisée, le gouvernement ivoirien souhaite que 100 % de la production du pays soit transformée localement à l’horizon 2030. Trois nouvelles usines vont être installées pour atteindre cet objectif. La transformation et la commercialisation créent les marges qui vont permettent d’assurer l’équilibre de la filière et des revenus décents aux producteurs. »
L’exemple de l’archipel de Sao Tomé & Principal sert désormais de référence. Premier producteur de cacao à la fin du 19e siècle, Sao Tomé et Principe, le petit archipel lusophone, a perdu, dans la deuxième moitié du XXe siècle, la quasi-totalité de sa production. Si la filière renaît à Sao Tomé, surnommée « l’Île chocolat », c’est à travers une production de qualité destiné au chocolat haut-de-gamme. Les producteurs de Sao Tomé ont fait le constat suivant : la culture seule du cacao ne permet ni de couvrir les charges, ni de fournir un revenu décent aux petits producteurs, dont les exploitations sont vieillissantes avec une faible productivité. Pour créer de la valeur ajoutée, il faut maîtriser la totalité de la chaîne depuis l’arbre jusqu’à la commercialisation de la tablette, en passant par 100 % de la transformation en interne. En maîtrisant la totalité de la chaîne, Sao Tomé a su valoriser le secteur du cacao, augmenter et consolider sa part dans le PIB national pour en faire à nouveau une source majeure d’exportation.
La filière du cacaotier africain : état des lieux
Le cacao africain est déjà une source majeure d’exportation, mais la valeur des exportations africaines de cacao représente, en termes de richesse produite, moins de 10 % de la valeur ajoutée du cacao. Plus de 90 % de la richesse produite, – stockage, transformation, emballage, logistique, réseaux de vente en gros et au détail des produits transformés -, se créent hors de l’Afrique et profitent aux investisseurs étrangers et aux grands groupes internationaux. L’analyse des échanges internationaux de cacao montre que l’Afrique, si elle produit 70 % du cacao mondial, ne transforme localement (broyage des fèves, fabrication du beurre de cacao et du chocolat) que 18 % des fèves brutes. La transformation se fait essentiellement en Europe (40%,) dans les deux Amériques (22%) et en Asie-Océanie (19,5%).
Selon Chiji Ojukwu, directeur de l’Agriculture et de l’Agro-industrie à la BAD (Banque Africaine de Développement), « le fort potentiel et les opportunités offertes par le secteur du cacao n’ont pas été pleinement exploitées par les pays producteurs, qui en outre n’ont pas autant profité des progrès et innovations technologiques que d’autres produits de bases. » Le constat est sans appel : de nombreux cultivateurs de cacao et travailleurs africains vivent en dessous du seuil de pauvreté absolue avec moins de 1,25 dollar de revenu par jour.
Aly Abou-Sabaa, vice-président de la BAD chargé de l’Agriculture, de l’Eau, du Développement humain, de la gouvernance et des ressources naturelles, estime qu’il est « nécessaire de lancer un programme de transformation du secteur, où les producteurs de cacao adoptent une approche d’affaires et où les activités à valeur ajoutée foisonnent, générant de la croissance, de l’emploi et des revenus supplémentaires pour tous les acteurs de la filière sur le continent. »
La création de la valeur ajoutée dans le secteur cacaotier en Afrique permettrait une diversification économique, la création d’emplois, la hausse des recettes fiscales, l’amélioration des revenus des agriculteurs, la hausse de la consommation des produits transformés (cacao, beurre de cacao, chocolat) en Afrique, qui ne représente actuellement que 4 % de la consommation mondiale. Selon la BAD et l’OIC (Organisation Internationale du Commerce), il faut aussi faciliter l’accès au crédit, au marché et aux bourses des matières premières, définir des modèles rentables de production de cacao, développer des coopératives agricoles performantes, assurer la logistique et le transport, répondre aux exigences de traçabilité et de qualité.
L’exemple de la Côte d’Ivoire
Le gouvernement ivoirien, qui souhaite favoriser le « made in Côte d’Ivoire » dans de nombreux domaines, s’est fixé u objectif ambitieux : la transformation, localement, de 100 % de la production de cacao du pays d’ici 2030. Installée depuis 2015, la chocolaterie Cémoi est, pour l’instant, la seule en Côte d’Ivoire à assurer l’intégralité de la transformation du cacao, de la fève au chocolat. De petites chocolateries « made in Côte d’Ivoire » existent comme « Mon Choco », mais les prix de leurs produits restent prohibitifs pour le marché local. La créativité et l’inventivité populaires transforment en métaphore le produit pour décrire les réalités sociales. En nouchi, l’argot franco-ivoirien des quartiers populaires d’Abidjan popularisé par les artistes de rap et de coupé-décalé, le mot « chocolaté » et son abréviation « choco » renvoient à la sphère du luxe et du chic bourgeois.
La Côte d’Ivoire, qui est le premier producteur mondial de cacao, n’accepte plus que la création de valeur ajoutée ne se fasse qu’en bout de chaîne, à l’extérieur du pays. Le manque à gagner pour l’Etat, en matière de recettes fiscales directes et indirectes, en matière de création d’emplois, notamment pour les jeunes et pour les femmes, est important. La filière ne peut pas dégager les marges dont elle a besoin pour se moderniser, garantir aux producteurs un revenu décent et attirer une nouvelle génération d’agriculteurs-entrepreneurs. Le modèle économique de la Côte d’Ivoire repose pour une large part sur le secteur agricole, notamment la filière cacao. Nul doute qu’au SIA de Paris, la délégation ivoirienne, conduite par le ministre d’Etat, ministre de l’Agriculture et du Développement Rural, M. KOBENAN Kouassi Adjoumani, saura convaincre les partenaires et les investisseurs étrangers pour transformer le secteur du cacaotier ivoirien et mieux travailler en lien avec le marché mondial.
Christian GAMBOTTI
Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Directeur général de l’Université de l’Atlantique- Directeur du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur des Collections L’Afrique en Marche, Planète francophone. Essayiste, chroniqueur, politologue, géopoliticien – Contact : cg@afriquepartage.org
- ARRE – Dirigée par le Pr Justin Koffi N’Goran, l’ARRE (Autorité de régulation du système de récépissés d’entreposage) a pour mission de mettre en place un système de contrôle des récépissés d’entreposages électroniques fiable et sécurisé, notamment en conformité avec les objectifs de la bourse des matières premières agricoles.