Le prix Goncourt 2021 a été attribué, le mercredi 3 novembre, à Mohamed Mbougar Sarr pour « La Plus Secrète Mémoire des hommes » (Editions Philippe Rey/Jimsaan), Il s’agit du quatrième roman de l’écrivain sénégalais de 31 ans. Ce Prix Goncourt va révéler au grand public un très grand écrivain, comme il va faire comprendre que l’Afrique francophone regorge de talents littéraires qui vont vivre la langue française dans des œuvres magnifiques dont l’écriture joue sur tous les registres.
Roman ambitieux, très cérébral, « La Plus Secrète Mémoire des hommes », est aussi un livre drôle, plein de sensualité, au souffle épique et que traversent des questions politiques. Le roman se construit sur une quête, celle de l’identité littéraire. Cette quête est-elle aussi une quête de l’identité africaine ? Sarr se défend d’être un écrivain noir, récompensé parce qu’il représente la partie africaine de la francophonie. Il se définit uniquement comme un écrivain.
Je partage ce point de vue. De la même manière, je ne considère pas que Senghor soit un poète africain. Il incarne au plus haut degré le génie et la beauté de l’écriture poétique. Comme Senghor, Sarr ne se laisse pas enfermer dans les frontières d’une identité nationale constamment débordée par le génie créatif et le foisonnement de l’écriture. Le Prix Renaudot 2021 a-t-il été attribué à Amélie Nothomb, parce qu’elle est belge ? Sarr ne serait-il qu’un écrivain sénégalais d’expression française ? Nothomb, une écrivaine belge d’expression française ? On assigne aux prix littéraires français une fonction politique qui n’est pas la leur, celle de consacrer l’espace francophone. Non, le génie littéraire n’a pas de frontière. Sarr et Nothomb sont de très grands écrivains.
Comme pour tous les romans, « La Plus Secrète Mémoire des hommes » doit se lire comme une quête du sens. La réponse se trouve dans la littérature et dans tous les genres littéraires. Sarr explore toutes les formes d’écriture : journal intime, extraits de presse, entretiens, roman historique, récit teinté de fantastique, récit de voyage, roman d’apprentissage… La quête du sens passe par l’enquête que mène le narrateur, Diégane Latyr Faye, jeune écrivain sénégalais, qui est, manifestement, le double de Sarr.
Paul Valéry disait : « Un enseignement qui n’enseigne pas à se poser des questions est mauvais. » La fonction du roman n’est pas d’apporter des réponses, mais de poser des questions. Je retiens du roman de Sarr deux grandes questions : celle qui concerne la littérature elle-même et celle qui concerne le rapport des écrivains africains à la France. Sarr propose une réflexion sur la littérature, son pouvoir et ses limites. Il parle de « l’indécente littérature, comme réponse, comme problème, comme foi, comme orgueil, comme vie ». Il décrit les cercles d’écrivains africains qui se précipitent à Paris. Se forme ainsi un « ghetto » dans lequel chaque écrivain africain rêve d’être adoubé par le « milieu littéraire français (qu’il est toujours bon (…) de railler et de conchier) ». Non sans humour, Sarr fait dire à son narrateur, qui est vraiment son double : ‘ C’est notre honte, mais c’est aussi notre gloire fantasmée ; notre servitude, et l’illusion empoisonnée de notre élévation symbolique ». Faut-il être adoubé par Paris pour être considéré comme un grand écrivain ? Evidemment, non. Le Prix Goncourt permet simplement, ce qui n’est pas rien, d’être projeté en pleine lumière.
Les ventes du livre, qui seront importantes, vont donner à Mohamed Mbougar Sarr une assise financière qui lui permettra de se consacrer pleinement à l’écriture. En même temps, les deux maisons d’édition qui ont publié « La Plus Secrète Mémoire des hommes » pourront donner leur chance à d’autres écrivains. Il s’agit d’une maison d’édition française, celle de l’indépendant Philippe Rey, soutien passionné de la littérature francophone, et d’une maison d’édition sénégalaise, Jimsaan, qui publie aussi Felwine Sarr, l’un des intellectuels importants du continent Africain. Felwine Sarr a publié chez Philippe Rey un roman que je vous recommande, « La Saveur des derniers Mètres ». Il a été, avec l’historienne de l’art Bénédicte Savoy, chargé de rédiger un rapport, remis à Emmanuel Macron en novembre 2018, sur la restitution des œuvres d’art africaines prises lors de la colonisation.
Christian Gambotti