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    Koulibaly : ” On peut me traiter de rêveur ; ça oui ! Je garde mon rêve (… ) “

    Koulibaly : ” On peut me traiter de rêveur ; ça oui ! Je garde mon rêve (… ) “
    Publié le
    Par
    Charles Kouassi
    Lecture 12 minutes
    Salon des banques de l'UEMOA et des PME

    ” NOTRE HISTOIRE AVEC LAURENT GBAGBO : Témoignage sur les crises ivoiriennes de 1999 à nos jours “, est le titre d’un ouvrage du journaliste Wakili Alafé sur la crise ivoirienne. Le témoignage est en vente depuis Mars 2013, soit 4 ans déjà. CI- dessous la préface toujours d’actualité rédigée par Mamadou Koulibaly, Président de Lider et ex Président de l’Assemblée nationale.

    ” La lecture du livre d’Alafé Wakili est intéressante et enrichissante pour au moins deux raisons. D’abord, l’histoire se construit de divers témoignages qui, réunis, permettent de se rapprocher d’une certaine vérité. Le regard du journaliste-écrivain s’inscrit donc dans cette démarche. La seconde raison est que ce témoignage fait ressortir très clairement le fondement réel de la crise ivoirienne depuis 1999.

    En effet, les pages de cet ouvrage renferment une multitude de noms, d’histoires, d’intrigues, de haines, de coups bas, qui permettent au lecteur de comprendre que la crise ivoirienne repose, avant tout, sur la politique dans ses aspects les plus bas, dans la guerre du pouvoir entre les hommes, dans ce que l’on appelle pudiquement la politique politicienne qui n’est rien d’autre qu’une forme de criminalisation de l’État qui conduit inévitablement à la violence et à la pauvreté des populations.

    Je me souviens, lorsque j’étais étudiant, à l’époque du parti unique, je rêvais du recul de la pauvreté dans mon pays. Je pensais alors que l’avènement du multipartisme serait la solution car il permettrait de limiter le pouvoir absolu d’un homme et d’une seule machine politique toute puissante. En effet, imprégné des idées de Georges Washington, l’un des pères fondateurs des États-Unis, je pensais que c’est le contre-pouvoir qui fait une vraie démocratie, socle de la création de richesses.

    Sans partis d’opposition, pas de contre-pouvoir ; et le pouvoir absolu opprime le peuple. Ceux qui disaient que l’Afrique, culturellement, aime les chefs tout-puissants m’agaçaient car ils semblaient ne pas voir que cette vision archaïque du pouvoir maintenait les pauvres dans leur misère. Je comprenais d’autant plus la pauvreté que ma propre famille avait des revenus modestes.

    Je connaissais les difficultés à finir le mois et les sacrifices qui devaient être consentis pour mes études et pour celles de mes frères et sœurs. Ainsi, l’avènement du multipartisme a nourri tous mes espoirs et ravivé tous mes rêves.

    J’ai pris ma plume passionnément pour écrire mon premier livre décrivant l’importance de la liberté dans un nouveau départ de la Côte d’Ivoire sur la voie du progrès. J’y croyais profondément.

    Malheureusement, nous connaissons la suite de l’histoire. Le multipartisme s’est transformé en un cauchemar qui n’est pas terminé. Ceux qui criaient jadis que l’Afrique a besoin d’un seul chef fort, pensent que l’histoire leur a donné raison et que c’est la concurrence politique qui alimente le chaos.

    Leur thèse est contestable car d’évidence, le président ivoirien a les pouvoirs d’un roi et la concurrence est le plus souvent pourchassée et écrasée. D’autres disent que le problème réside dans les hommes qui nous gouvernent. C’est profondément vrai et l’ouvrage d’Alafé Wakili le démontre pleinement.

    Cependant, nous devons rester réalistes. L’homme n’est qu’un homme. Georges Washington, dans toute sa sagesse avait souhaité limiter son propre pouvoir sachant que l’homme peut toujours dévier, aussi vertueux soit-il.

    La solution ne viendra sûrement pas du remplacement continuel des hommes ou dans l’attente d’un leader charismatique.

    Depuis les indépendances, on voit les hommes se succéder et le pouvoir du chef de l’État ne cesse d’augmenter, au point que, parfois, le pays est identifié à travers sa seule personne. On montre du doigt nos dirigeants mais, d’évidence, un Obama abuserait de la même manière si son pouvoir n’était pas limité et contrôlé.

    La solution réside donc dans le changement du cadre, c’est-à-dire dans une Constitution qui limite le pouvoir, l’encadre, et le contrôle. Les décideurs ne pourront évoluer que si leur environnement limite leurs possibles excès. Nous devons tirer des leçons des cinquante dernières années de domination.

    Les Ivoiriens sont fiers de dire que la Côte d’Ivoire est une démocratie, mais une démocratie implique que le peuple soit souverain. En clair, le peuple est au-dessus des dirigeants qui ne sont que des serviteurs.

    Dans cette logique, il est donc indispensable que les populations puissent vérifier les dépenses de l’État puisque cet argent est le leur.

    Dans le contexte actuel où le président de la République est tout puissant, aucun contrôle n’est exercé, et ceci est dangereux car le volume de la dette augmente, la corruption gangrène le système et tout cela se fait dans une totale opacité.

    Pour que les Ivoiriens retrouvent leur pouvoir, il est impératif de changer de Constitution.

    On voit qu’en Afrique, comme ailleurs dans le monde, les pays qui ont opté pour un régime parlementaire sont plus stables, plus riches et moins corrompus, car les parlementaires ont un pouvoir de contrôle sur le gouvernement.

    Même si aucun système n’est parfait, celui-ci redonne une dimension humaine au pouvoir. Ce n’est plus un seul homme qui est aux commandes du pays.

    Les députés qui représentent directement les populations ont un rôle important. J’ai défendu ce régime parlementaire très jeune ; mais plus le temps passe, plus je vois mon pays s’enfoncer dans les bagarres politiques, plus je me dis que c’est un impératif pour le bien-être des Ivoiriens. La crise étant exclusivement politique, il faut des garde-fous à l’action de nos dirigeants.

    Un exemple simple : un régime parlementaire aurait évité le combat entre deux hommes lors du dernier scrutin présidentiel. Des milliers de vies auraient été épargnées et le pays n’aurait pas pu être bloqué aussi facilement.

    Il est important que les Ivoiriens et les Ivoiriennes comprennent l’intérêt d’une bonne Constitution et de bonnes institutions en général. Il y a des retombées sur la paix, le recul de la pauvreté et sur le bien-être de tout un pays.

    Les dernières années de souffrance ont bien fait comprendre aux Ivoiriens et aux Ivoiriennes que la solution ne réside pas dans tel ou tel homme politique.

    Aujourd’hui, ils se demandent quel est le chemin qui pourra les sortir de la pauvreté, du chômage, de la peur, de l’insécurité, de la violence.

    On leur a dit que tout irait mieux avec l’entrée du pays dans le groupe des pays pauvres très endettés (PPTE). Pourtant, je suis attristé de voir les femmes revenir du marché avec des sachets de plus en plus légers alors qu’hier, leurs mères rentraient avec des paniers qui permettaient de nourrir leur famille.

    On leur parle de croissance alors qu’ils ont l’impression de reculer. On leur parle de réussite, et même de second miracle économique, alors que leur table est de plus en plus vide, même les jours de fêtes. On leur parle de réconciliation et de stabilité alors que l’injustice, le tribalisme, l’exclusion figent la société civile dans le silence.

    Un jeune chômeur me demandait récemment s’il n’y a pas moyen de changer son lieu de naissance sur son état civil parce qu’en venant du Nord, on a plus de chance de trouver un emploi, avec ou sans compétences.

    Jadis, quand je parlais de liberté, on me disait que j’étais un rêveur, un idéaliste ; mais, le temps passant, le peuple voit bien que le régime actuel produit de la croissance sans lui et qu’il est donc temps que le pouvoir lui revienne. Comment le pouvoir peut-il revenir au peuple ?

    Le pouvoir des populations ne repose pas uniquement sur leur droit de vote. Leur véritable pouvoir réside dans leur droit d’être propriétaires, leur droit de pouvoir créer une entreprise facilement et à faible coût, leur droit à une sécurité et à une justice efficaces pour que leurs propriétés et leur personne soient protégées.

    Prenons l’exemple du paysan qui vit aujourd’hui dans la pauvreté et l’insécurité puisque du jour au lendemain, il peut être exproprié par des forces supérieures. S’il avait la possibilité d’avoir un titre foncier et si la justice ivoirienne protégeait ce titre, cet homme pourrait travailler sa terre en toute sécurité, sachant qu’il pourra bénéficier du fruit de son travail et que s’il la met en valeur, c’est aussi un investissement pour ses propres enfants qui, à sa mort, deviendront propriétaires.

    Les gens, parfois, pensent que c’est très théorique tout cela ; mais un banquier, lui, ne trouve pas cela théorique quand un paysan demande un emprunt. Avoir un titre, c’est avoir du poids dans ses affaires, être libre de vendre, de louer, de mettre en valeur et de trouver des financements. Les Occidentaux ont bien compris cela.

    Pour regagner le pouvoir, il faut qu’un Ivoirien ou une Ivoirienne puisse créer une entreprise facilement. Parfois les jeunes disposent d’une petite enveloppe pour débuter une affaire. Cependant cette somme suffit à peine pour payer les formalités de création de leurs entreprises. C’est un manque de liberté qui laisse la jeunesse au chômage, puisque l’entreprise est réservée aux plus riches.

    Et lorsque cette entreprise arrive à être créée, l’état l’écrase sous les impôts et surtout sous les taxes à l’exportation et à l’importation. On dit alors que la Côte d’Ivoire est victime de la mondialisation ; mais il faut comprendre que ce sont les dirigeants eux-mêmes qui mettent le pays en marge des bienfaits de l’échange avec le reste du monde.

    Les Ivoiriens et les Ivoiriennes doivent comprendre qu’ils doivent s’attaquer à tous ces obstacles pour un réel recul de la pauvreté. C’est un combat qui les rendra autonomes et dignes, et qui les mettra plus à l’abri de la mauvaise gestion de l’état. Toutes les entraves à la liberté économique créent de la pauvreté.

    La lecture de cet témoignage d’Alafé Wakili a ravivé en moi cette nécessité de rompre avec le modèle actuel, qui ne profite qu’à des politiciens qui se battent pour un pouvoir enrichissant un seul petit groupe au détriment de la majorité.

    L’auteur décrit avec habilité ce cercle malsain où tous les coups sont permis pour avoir le pouvoir et surtout les fortunes que son exercice peut permettre d’accumuler. L’expérience apporte la maturité.

    Les Ivoiriens et les Ivoiriennes doivent comprendre que les seuls dirigeants qui pourraient rompre avec ce cercle infernal sont ceux qui vont accepter de diminuer leur propre pouvoir, de l’encadrer et de rendre des comptes.

    Régime parlementaire, état de droit, droit de propriété, entreprise privée, libre-échange sont les vrais piliers de la libération de l’oppression. Je crois fermement que c’est possible avec une prise de conscience générale.

    Parfois, j’ai le sentiment de prêcher dans le désert ; mais, c’est avec émotion que je vois des fleurs qui commencent à éclore dans ce désert et que les graines se multiplient.

    On peut me traiter de rêveur ; ça oui ! Je garde mon rêve aussi vif que lorsque j’étais sur les bancs de l’université.

    Je rêve d’une population ivoirienne libre qui puisse manger deux fois par jour, se soigner, s’instruire, créer, entreprendre, s’enrichir dignement.

    Je garde mon rêve car il n’est pas fou. Il est possible. Partout dans le monde, la liberté conduit au progrès. Il n’est plus possible de cacher cela aux Ivoiriens.

    Ce témoignage nous prend par la main et nous fait revivre, à travers son regard, la dernière décennie au cœur de la Côte d’Ivoire. Les épisodes d’histoire s’enchaînent, se mêlent. Tirons des leçons de ce récit !

    Nous constatons que les crises mal gérées, l’exclusion, les élections sans désarmement, les institutions de la République, dépendantes et manipulées par le sommet de l’État, le manque de consensus autour d’un processus électoral, l’insécurité, l’impunité, l’irresponsabilité, ont déjà conduit au chaos absolu.

    Des milliers d’Ivoiriens sont morts, d’autres sont blessés, handicapés, traumatisés, divisés, exilés, expropriés, parce que les hommes politiques n’ont pas eu le courage de gérer la crise, ne pensant qu’à leurs petits intérêts personnels à court terme.

    Aujourd’hui, notre terre d’ Éburnie est toujours malade. Elle souffre des mêmes maux. Nous connaissons ces maux. Nous savons où ils peuvent nous mener.

    Fort de cette expérience, nous devons nous mobiliser pour ne plus être entraînés de force dans des épisodes de souffrances insoutenables. Ne nous laissons pas distraire par des déclarations vides. Ouvrons simplement les yeux.

    Le désarmement n’est pas fait, l’insécurité est importante. Le pays n’a pas été réunifié. Il n’y a aucune recherche de consensus autour des scrutins électoraux et, au contraire, le chef de l’État impose une règle du jeu à son unique avantage pour être sûr de gagner la partie.

    Une justice des vainqueurs divise les populations et forge un esprit de vengeance. L’impunité et l’irresponsabilité au sommet de l’État accablent les Ivoiriens. L’argent public est dépensé sans rendre de comptes. La corruption gangrène l’appareil étatique. La réconciliation n’a pas débuté. Rien n’a changé.

    Les dirigeants tentent, dans une arrogance désespérée, de mettre un peu de vernis sur cette planche de bois pourri à travers des communications optimistes et vides. Un peu de vernis n’a jamais empêché un bois pourri de se casser.

    Arrêtons donc de focaliser notre attention sur les hommes de pouvoir !

    Regardons la situation générale du pays, sortons des chemins de l’échec et de la souffrance. Tirons des enseignements des années passées, et mobilisons nous, chacun à notre niveau, pour faire changer les choses.

    Je voudrais terminer mon propos par une petite légende amérindienne que je raconte parfois à mes étudiants :”Un jour, il y eut un immense incendie dans la forêt amazonienne. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants, le désastre. Seul un petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes d’eau avec son bec pour les jeter sur le feu.

    Après un moment, un tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : ” Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! ” Et le colibri lui répondit :” Je le sais, mais je fais ma part. “

    Que chacun d’entre nous fasse sa part, sans croire qu’elle est insignifiante ? C’est ainsi que nous avancerons sur le chemin de la paix, de la liberté et du recul de la pauvreté dans notre beau pays.

    Je souhaite que cet ouvrage inspire les lecteurs et les amène à une juste réflexion sur la Côte d’Ivoire en gardant toujours une note optimiste.

    En effet, lorsque l’on a pris conscience des causes du mal, il est plus facile de se mobiliser pour le traiter.

    Très bonne lecture !

    Mamadou Koulibaly…….”.

    ” Notre histoire avec Laurent Ggagbo “, L’Harmattan

     

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