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    Chronique du lundi – L’identité culturelle de l’Afrique : Un « tambour parleur » rendu à la Côte d’Ivoire après un siècle d’exil en France

    Chronique du lundi – L’identité culturelle de l’Afrique : Un « tambour parleur » rendu à la Côte d’Ivoire après un siècle d’exil en France
    Publié le
    Par
    Christian Gambotti
    Lecture 7 minutes
    Salon des banques de l'UEMOA et des PME

    Un siècle de pillage du patrimoine culturel africain

    Le 24 Janvier 2023, comme tous les 24 Janvier, s’est tenue, partout sur la planète, la « Journée Mondiale de la Culture Africaine et Afro-descendante » (JMCA). Si je reviens sur cette « Journée mondiale », c’est pour bien montrer quels sont les enjeux de l’appropriation par l’Afrique de sa propre culture. Cette appropriation passe aussi par la restitution à l’Afrique des œuvres d’art que les explorateurs et le colonisateur n’ont cessé de piller. Historiquement, le véritable pillage du patrimoine culturel africain se fait pendant la colonisation. L’administration coloniale va, entre 1890 et 1940, alimenter les musées européens.

    Dans la période postcoloniale, ce sont les marchands d’art qui vont piller l’Afrique pour les collectionneurs privés. Le colonisateur et les marchands d’art ont parfaitement conscience de la valeur de l’art africain, à la fois pour sa dimension esthétique, sa force d’abstraction et sa charge sacrée.

    Un patrimoine culturel, fait d’objets magico-rituels, en lien avec les croyances et les superstitions, ne peut convenir au colonisateur qui y voit l’expression d’une société primitive et d’une terre sauvage en contradiction avec l’œuvre civilisatrice que prétend conduire le colonisateur. Le colonisateur tend, pour affirmer sa supériorité, à dévaloriser ce qui, selon lui, appartient à une « barbarie » et un état « sauvage ».

    La dévalorisation du patrimoine culturel de l’Afrique

    Dans deux livres d’une extraordinaire modernité, « Race et Histoire » (1952) et « Un Barbare en Asie » (1967), Claude Lévi-Strauss, démontre que, dans toutes les civilisations, l’autre est perçu comme un « barbare ». Il écrit, dans « Race et Civilisation » : « l’Antiquité confondait-elle tout ce qui ne participait pas de la culture grecque (puis gréco-romaine) sous le même nom de barbare. ». […] La civilisation occidentale a substitué le terme « barbare » par « sauvage », plaçant les hommes sous le joug du jugement et provoquant par là même, une réaction semblable qui consiste à répudier les autres formes culturelles différentes. »

    Dans son fameux discours de 1879, connu sous le nom de « Discours sur l’Afrique », Victor Hugo, un esprit pourtant éclairé, soutiendra l’aventure coloniale en présentant ainsi l’Afrique : « L’Afrique n’a pas d’histoire [….] Cette Afrique farouche n’a que deux aspects : peuplée, c’est la barbarie ; déserte, c’est la sauvagerie ». Si l’Afrique n’a pas d’Histoire, elle n’a ni civilisation, ni patrimoine culturel, puisque tout est ramené à un état primitif.

    Le musée du Quai Branly, à Paris, dans le droit fil de la dévalorisation des créations artistiques ancestrales, sera d’abord nommé « musée des arts primitifs », puis « musée des arts premiers ». Les deux expressions, « art primitif » et « art premier », restent dévalorisantes, car elles accréditent l’idée que seul l’Occident produit un art fondé sur des formes esthétiques et des valeurs culturelles supérieures, l’art africain restant enfermé dans une sphère archaïque et rurale avec des productions uniquement utilitaires.

    Selon Claude Lévi-Strauss, « on refuse d’admettre le fait même de la diversité culturelle ; on préfère rejeter hors de la culture, dans la nature, tout ce qui ne se conforme pas à la norme sous laquelle on vit. » Politiquement, le colonisateur, pour construire un Etat-nation sur le modèle des Etats européens, tend à effacer de la mémoire collective du colonisé tout ce qui le rattache à son passé, ses traditions et sa culture.

    La confiscation du tambour, un outil de communication très utile à la résistance contre les colons, avait pour objectif politique la déstabilisation de l’organisation sociale et traditionnelle des Ebriés.

    Selon Wakili Alafé, le président du Comité d’organisation de la « Journée Mondiale de la Culture Africaine », « une Afrique dépossédée de sa culture et de son patrimoine culturel ne peut pas être elle-même, elle ne peut pas prétendre être libre et souveraine. Si elle ne retrouve pas son identité et se soumet à l’anonymat que lui propose une mondialisation qui tend à nier les différences civilisationnelles au profit d’un marché unique fait de consommateurs, elle ne peut pas se reconstruire. En ce sens, la restitution à l’Afrique des œuvres d’art que les explorateurs et le colonisateur n’ont cessé de piller est une étape dans la reconquête de son identité. »

    L’Afrique est un espace de savoir(s) dont fait partie le « tambour parleur » restitué à la Côte d’Ivoire

    Dans le cadre d’une politique de restitution d’œuvres engagée en 2017 par le président Macron, le « Tambour parleur », objet en bois de 3,31 m de long pour un poids de 430 kg, confisqué en 1916 par l’armée française à la communauté Ébrié, a d’abord été exposé, pendant une quinzaine d’années, dans les jardins du gouverneur Marc Simon, où, dépossédé de sa valeur sacrée, il a été soumis aux intempéries et aux insectes xylophages qui se sont installés. Il a ensuite été transféré en France, au musée Jacques-Chirac du Quai-Branly.

    Signe de sa haute valeur spirituelle, des représentants du peuple Bidjan se sont rendus à Paris pour une cérémonie de désacralisation du tambour, afin de permettre à d’autres personnes de le manipuler et le restaurer. Objet utilitaire ? Sûrement. Il prévenait les communautés Atchan, auxquelles il appartenait, des dangers et servait à mobiliser en cas de guerre ; il fournissait des informations sur leurs ennemis ; il permettait de convoquer les villages à des cérémonies ou des fêtes. Mais, objet rituel en lien avec les croyances et les superstitions, ce « tambour parleur », Djidji Ayokwe, est avant tout un objet sacré aux propriétés symboliques et mystiques.

    La chefferie traditionnelle et les chefs des villages concernés par Djidji Ayokwe se sont félicités de ce retour qu’ils perçoivent comme une marque de respect et le signe de la reconnaissance de l’identité africaine. Ce retour se fait certes par une coopération culturelle et muséale qui, par son ambition, prend une dimension nouvelle. Le « Tambour parleur » quitte le musée du Quai Branly pour être exposé au Musée des Civilisations, à Abidjan. Est-ce suffisant ?

    Pour Wakili Alafé, « l’erreur serait de se contenter d’enfermer le patrimoine culturel africain dans des musées construits à la hâte, comme il est encore enfermé dans l’exotisme superficiel des villages pour touristes. Le patrimoine culturel doit être exposé, expliqué, notamment aux jeunes générations. Le lien doit être établi entre traditions et modernité, ce que nous avons fait en consacrant la JMCA du 24 Janvier 2023 aux percussions africaines. En Afrique, les tambours sont des moyens de communication ; mais ils sont sacrés. Le « Tambour parleur » est certes un outil ancestral de communication, mais il est rempli des esprits auxquels se réfèrent les communautés des Atchans, qu’on appelle aujourd’hui Ebrié. En Côte d’Ivoire, la plupart des ethnies ont leur tambour sacré. »

    Le Chef traditionnel Clavaire Aguego Mobio insiste sur un point essentiel : « ce tam-tam parleur va rappeler notre histoire et revaloriser le peuple Ébrié dont les traces sont en train de disparaître avec l’urbanisation sauvage de l’agglomération d’Abidjan.».

    Les restitutions d’œuvres d’art pillées à l’Afrique sont un point essentiel de la reconstruction de l’identité africaine. Il faut aller plus loin que la simple collaboration culturelle et muséale entre l’Afrique et l’Occident. Pour trouver toute sa place dans les dynamiques contemporaines, l’Afrique doit non seulement devenir une puissance économique, mais elle doit exister comme puissance culturelle. La culture est la première ressource du soft power, un outil essentiel pour développer le pouvoir d’attractivité du continent.

    Christian GAMBOTTI – Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@agriquepartage.org

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