Emmanuel Macron a organisé, du 7 au 9 octobre 2021, à Montpellier, le « Nouveau Sommet Afrique-France » avec la participation de 3 000 personnes, mais aucun Chef d’Etat africain. Peut-on alors véritablement parler d’un « Sommet Afrique-France » ? Je vois plutôt une réunion à laquelle sont convoquées, par un chef d’Etat étranger la jeunesse, la société civile et les diasporas africaines. Le président français peut-il s’arroger le droit de réunir la jeunesse africaine dans un prétendu « Sommet Afrique-France » qui exclut les Chefs d’Etats africains ?
Dans sa volonté de bâtir une relation nouvelle entre la France et l’Afrique, Emmanuel Macron cherche à faire de la jeunesse le fer de lance de sa politique africaine. On oublie que son premier discours en Afrique, à Ouagadougou, en novembre 2017, véhiculait déjà cette thématique. On a donc une politique africaine de la France aux deux visages : des relations suivies avec les Chefs d’Etat africains, non sans heurts et mises au point, notamment avec le Mali, et, en permanence, une adresse à la jeunesse africaine, qui représente l’avenir d’un continent qui dépassera, en 2050, les 2 milliards d’habitants.
La politique africaine de la France a longtemps été symbolisée par la traditionnelle « photo de famille » qui réunissait, sur le perron de l’Elysée, le président français et les Chefs d’Etat africains. Au lendemain des indépendances, le contexte politique était le suivant : 1) la bipolarisation Est-Ouest, 2) des Etats africains qui voulaient se mettre sous la protection de la France face à toutes les menaces de « déstabilisation », intérieures et extérieures, 3) une France qui assumait son rôle géopolitique et géostratégique avec des positions fortes en Afrique (Djibouti, Centrafrique, Mali, Gabon, Sénégal, Côte d’Ivoire, etc.).
Aujourd’hui, le contexte a changé. La France est concurrencée par les « nouveaux amis » de l’Afrique, en particulier sur le plan sécuritaire par la Russie qui avance ses pions à travers la société Wagner (Centrafrique, Mali), sur le plan économique, par la Chine. Autre élément nouveau : sans déserter l’ancien « pré carré » de la France en Afrique, Macron s’adresse désormais à toute l’Afrique, en particulier l’Afrique anglophone.
Dans sa nouvelle stratégie, il fait le choix d’enjamber les Chefs d’Etat africains, ce que l’Elysée explique ainsi : « Cette rencontre a innové par son approche sans la présence d’institutionnels. Le Chef de l’Etat a souhaité s’adresser directement à ces jeunes, qui sont majoritaires en Afrique, sans les filtres institutionnels, sans tabous, et écouter leurs doléances, afin de répondre à leurs attentes. » L’hypothèse de travail de Macron est la suivante : l’Afrique évolue, se transforme à travers sa jeunesse et une société civile bouillonnantes, créatrices, connectées à la planète entière, et par un esprit entrepreneurial qui s’affirme. En apparence, le « Sommet » de Montpellier est apolitique. En réalité, il est très politique, ce qui conduit les Chefs d’Etat africains à s’interroger sur la stratégie de Macron.
Macron, l’anti-Mitterrand et l’anti-Chirac et en matière de politique africaine ?
Elu président, François Mitterrand, au-delà des discours d’estrade qui prônent l’émancipation de l’Afrique, conservera les réflexes, les habitudes et les réseaux de la Françafrique. Lorsqu’il remplace, de 1986 à 1992, Guy Penne comme conseiller pour les Affaires africaines au cabinet présidentiel de son père, Jean-Christophe Mitterrand, qualifié d’« affairiste » ou d’« agent secret au petit pied », sera affublé, par Le Canard enchaîné, du surnom de « Papa m’a dit », en raison de sa manière de gérer ses relations avec les Présidents africains.
Quant à Jacques-Chirac, qui-peut être considéré comme le plus « africain » des-présidents-français, il acceptera d’assumer les contradictions de sa politique en Afrique. Avec courage, il n’a pas hésité à dénoncer le pillage de l’Afrique par la France, déclarant : « Nous avons saigné l’Afrique pendant quatre siècle et demi. Ensuite, nous avons pillé [ses] richesses. […] Au nom de la religion, on a détruit [sa] culture. […] Après s’être enrichi à ses dépens, on lui donne des leçons. » Mais, il avait conservé le prisme « clientéliste » de la politique de la France à l’égard de ses anciennes colonies, soutenant des régimes contestés et entretenant des relations personnelles avec de nombreux Chefs d’Etat africains, véritables dinosaures de la politique, dont certains sont toujours au pouvoir, afin de préserver les intérêts de la France et des entreprises françaises.
Les pays africains de l’ancien « pré carré » français ont diversifié leurs partenaires. Le Cameroun hésite entre Francophonie et Commonwealth. Le Gabon frappe à la porte du Commonwealth. Le Congo-Brazzaville amplifie ses relations avec la Russie, la Chine et Cuba. L’attractivité de la France auprès des étudiants étrangers ralentit au profit de pays comme la Chine qui développe, sur le continent, les instituts Confucius destinés à l’apprentissage du chinois en lien avec l’implantation économique du pays. L’Arabie saoudite, qui est très active en Afrique avec ses offres de bourses islamiques, attire de plus en plus d’étudiants africains. La France est désormais en retard auprès des jeunes africains qui veulent étudier à l’étranger et qui sont séduits par de nouveaux pays.
Le « Sommet » de Montpellier : un moyen pour la France de réaffirmer sa présence en Afrique auprès de la jeunesse et de la société civile ?
Depuis qu’il est au pouvoir, Emmanuel Macron a cherché à faire évoluer les relations entre la France et l’Afrique. Le « Sommet » de Montpellier visait à reconquérir le cœur de la jeunesse, de la société civile et des diasporas africaines, tout en prenant le risque calculé de contrarier les Chefs d’Etat africains. Macron se souvient de ce que disait Achille Mbembe, l’historien camerounais, en 2010 : « Je pense que les Africains qui cherchent à réinventer leur futur gagneraient à oublier la France. Elle n’est pas le centre du monde. Il est temps de regarder ailleurs et de ne pas lui reconnaître plus de pouvoir qu’elle n’en dispose vraiment. » Or, Achille Mbembe a accepté de co-piloter la préparation du Sommet de Montpellier, parce que « des gestes ont été accomplis » par Macron (fin du FCFA, restitution des biens culturels africains, Africa 2020, etc.).
Est-ce un si bon calcul que fait Macron en choisissant d’enjamber les Chefs d’Etat africains pour réinventer et redynamiser les relations entre l’Afrique et la France ? Je ne le crois pas. Un Chef d’Etat africain, lors de son récent séjour privé en France, invité à dîner par Macron, confiait que le président français se contentait de répéter les mêmes choses sans véritablement agir. Lors du Forum de Paris sur la Paix, qui se tiendra du 11 au 13 novembre 2021, Macron invitera les Chefs d’Etat africains. Répondront-ils présents, eux qui ont été écartés du « Sommet » de Montpellier ?
Christian GAMBOTTI,
Agrégé de l’Université,
Président du think tank Afrique & Partage –
CEO du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) –
Directeur des Collections L’Afrique en Marche, Planète francophone –
Directeur de la rédaction du magazine Parlements & Pouvoirs africains.