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    Alain Mabanckou : « La France, le Congo, Faure Gnassingbé, l’Afrique et moi » -interview exclusive

    Alain Mabanckou : « La France, le Congo, Faure Gnassingbé, l’Afrique et moi » -interview exclusive
    Publié le
    Par
    Charles Kouassi
    Lecture 11 minutes
    Salon des banques de l'UEMOA et des PME

    L’écrivain à succès Alain Mabanckou nous a fait l’honneur de cet entretien particulier, en marge de l’évènement culturel de cette fin de l’année en Allemangne : la foire du livre de Francfort. .

    L’accord de son son agent a été tout aussi spontané que notre demande. Mais trois fois de suite, les dates, les horaires et enfin les lieux de la rencontre doivent être réamenagés pour cause de calendrier du professeur. Finalement Alain Mabanckou nous reçoit en une matinée brumeuse dans le lobby de son hôtel cinq étoiles, dans un quarier huppé de Francfort, la ville allemande aux multiples banques.

    La rencontre a lieu en marge de l’édition 2017 de l’évènement littéraire de l’année, la foire du livre de Francfort, l’une des plus importantes du genre. Son pays d’adoption, la France en est le pays hôte, et lui-même le franco congolais, l’une des stars declarées et attendues. J’arrive au rendez-vous avec une heure et demi d’avance, flanqué de mon fils qui a insisté pour faire 600km avec moi pour rencontrer l’auteur vedette, célebré en cette mi octobre 2017 par la presse et le monde de la culture au pays de Goethe.

    Alain Mabanckou n’est pas que détenteur du prestigueux prix littéraire Renaudot. Il n’est pas non plus, que détenteur du grand prix de littérature de l’academie française. Il est finaliste et dans la shortlist du très célèbre prix de littérature Man Booker International Prize. Il est également entre autre enseignant, Professeur titulaire de chaire de littérature francophone à (UCLA) l’Université de Californie Los Angeles aux États-Unis. At last but not the least : Alain Mabanckou est classé par le célèbre magazine people US americain, Vanity Fair, comme la 24ème personalité française la plus influente au monde. Ses prises de positions sont à l’image de son talent. Découvrons-le ensemble.

    Comment souhaiteriez vous que l’on vous présente dorénavant ?

    Je suis Alain Mabanckou…

    De votre pays de naissance, en ces “années farouches” comment avez vous oeuvré pour obtenir une bourse d’études pour la France?

    Ce ne fut pourtant pas sorcier en ces temps. Il fallait avoir de bonnes notes mais surtout être inscrit dans une Université en France…

    Était ce une bourse allouée par l’État français ou votre pays de naissance, la Republique du Congo?

    La bourse d’étude fut octroyée par mon pays d’origine qui s’est, comme beaucoup d’autres États sur le continent,  retracté très abruptement pour laisser l’étudiant que j’étais à son propre sort.

    Que voulez-vous dire?

    Que les Services de l’État se sont retractés aussi rapidement qu’ils le pouvaient, une fois que je suis arrivé en France pour les études. Ce qui fut sur le coup très dramatique. Mais je me suis retroussé les manches pour me prendre en main, et subvenir à mes besoins.

    Par quel truchement?

    Les petits boulots. De la manutention au petit Job chez MC Donald. Des boulots que beaucoup ne savent sûrement pas, ou sont loin d’imaginer aujourd’hui. Tout y est passé.

    Cela a t-il suffi pour financer vos études…?  

    Eh oui de Droit, que j’ai conclues avec un DEA.

    Pour atterrir à la Suez-Lyonnaise des Eaux comme conseiller juridique? Mais quand êtes vous arrivé á la la littérature?

    J’ai toujours écrit. Ce fut toujours ma passion l’écriture surtout des poêmes. Et un moment cet amour de la littérature a fini par prendre le pas sur tout.

    Comment part t-on du Droit pour arriver à une chaire de lettres, en Californie aux États-Unis d’amérique?

    Les États-Unis ont cette particularité d’octroyer des chaires de Professeur aux écrivains reconnus à l’image de Maryse Condé…

    Mais aussi aux hommes politiques qui en ont l’étoffe comme Joschka Fischer (ndrl: Politicien Vert Allemand, Mai 68-tard, ami de Cohn Bendit, grand activiste et sans études, sans diplôme, plutôt connu pour ses demelés avec le pouvoir établi, les autorités allemandes avant de devenir lui-même dans la collation avec le sociaux democrates SPD de Gerhard Schröder, ministre des affaires étrangères, Vice Chancelier et se voir octroyé en fin de mandat, une chaire en relations internationales aux USA)  ?

    Effectivement !

    Comment devient-on à en croire le célèbre magazine people US Vanity Fair la 24e personalité française la plus influente au monde?

    J’ai été agréablement surpris de l’apprendre moi aussi. On ne peut aucunement s’y préparer ni y postuler, vous vous en doutez… La question je me la suis posée aussi. Mais peut être que cela est dû à mes prises de position sur les problèmes de notre temps !

    Êtes-vous guidé selon le principe cher à Sartre : l’écrivain doit s’engager ou se taire? Vos prises de positions sur les reseaux sociaux ne passent en tout cas pas inaperçues, notamment pour la #RevolutionBassinDuCongo.

    Cette région souffre douleur me tient particulièrement á coeur.

    Mais il n’y a pas que pour cette région que vous vous engagez. Dans un Tweet très engagé du mois d’octobre vous avez pris faits et causes notamment pour le peuple togolais : « Faure qui a fait l’université Paris Dauphine avec moi, me déçoit énormement sur toute la ligne.. ».

    J’ai très mal au coeur quand je vois ce qui passe au Togo. Heureusement, ces soubressauts sont le signe avant coureur du printemps de l’Afrique qui ne saurait plus tarder. Toutes ces forces qui mènent un combat d’arrière garde sur le continent sont condamnées à liberer la jeunesse du joug. Heureusement, celle-ci n’est pas dupe, et prend de plus en plus conscience que le vrai enjeux de l’heure c’est son avenir. Elle voudrait en être l’acteur principal, conduire son propre destin, le prendre en main .

    Les evènements du Togo semblent vous courrousser particulièrement…

    Je n’ai rien contre la personne de monsieur Faure Gnansingbé. Je suis tout simplement surpris qu’il ne prenne pas les devants, et ne devienne pas le moteur d’une alternance démocratique dans son pays…

    Il est loin d’être un cas isolé sur le continent…

    Faure Gnansingbé me deçoit particulièrement. Nous avons tous les deux fait l’université Paris Dauphine. Il aurait pu être le fils du père par qui l’alternance démocratique s’installe dans son pays, et devenir un cas d’école pour toute l’Afrique…Je vais plus loin. Il aurait pu être aussi le fils du père qui, une fois installé au pouvoir le transforme, lui en donne une legitimité democratique, et fait école en Afrique…

    Cela paraît plus facile à dire d’ici. Ces “fils de” dont cela est d’ailleurs le seul fait d’arme, sont parchutés à la tête des pays en remplacement de leur paternel pour perpétuer des interêts qui, parfois les depassent. On eût dit qu’ils sont victimes d’enjeux qui leur échappent et les dépassent.

    Je veux bien. Mais on ne peut plus continuer á se cacher derrière ces arguments de dépendances psychologique, intellectuelle, structurelle,  et que sais-je? Il est grand temps que les Africains, tous les Africains s’émancipent.

    Tout cela est bien pensé. Mais un proverbe bien africain dit que quand on donne des conseils à la chèvre, il faut aussi en donner á la feuille de choux qui se fait ruitelante et fait venir l’eau à la bouche du prédateur. Profitez-vous du privilège que vous avez de cotoyer les grands de ce monde, notamment les Présidents et dirigeants français pour faire entendre votre voix?

    [ « J’ai appostrophé monsieur Macron,  le Chef de L’Etat français après son discours d’ ‘ouvertüre de la foire du livre »]

    Bien sûr que je ne rate aucune occasion d’appostropher les grands de ce monde quand leur agissement me paraît inadéquat,et infantilisent les peuples africains.

    À quand remonte votre dernière action en ce sens?

    La dernière action date d’il y’a quelques jours. En marge de la céremonie d’ouverture de la foire du livre de Francfort dont la France est pays hôte cette année et à laquelle nous sommes conviés. Après le discours du Président français, monsieur Macron, je lui ai fait remarquer que la Francophonie n’est pas la cohorte des ex colonies françaises tel que son discours le laissait sugérer…

    “Petit piment” votre oeuvre va t-elle dans ce même sens de denonciation et de prise de position pour les plus faibles, notamment la petite enfance dont le clergé, du moins certains des representants, sous les paravants d’aide à l’enfance, abusent ?

    ( Comme un peu pris de court)..Et plutôt non. Le clergé dans le roman en question est plutôt loué pour son action magnanime á l’egard de la petite enfance, puisque mon personnage lui doit tout son salut alors que l’État a démissionné.

    “L’eau chaude ne doit pas oublier qu’elle était froide” comme vous le dites si bien dans lumières de Pointe Noire. Au delà du caractère nostalgique de l’assertion, est-ce une mise en garde contre tous ceux qui semblent renier leurs origines, ou qui les fuient tout simplement ?

    Pas spécialement une mise en garde, mais un conseil à tous ceux qui, pour une raison ou une autre sont amenés à partir de chez eux, de ne jamais renier leurs origines.

    Le fait de ne pouvoir porter votre oncle qui vient de décéder en sa dernière demeure parce que le pouvoir de votre pays de naissance vous décrète Persona non grata n’ajoute t-il au tourment du mal du pays sugeré par les dires de votre personnage?

    La présente situation que vous évoquez me tourmente effectivement, et me peine à l’extrème.

    Cette impuissance personelle et privée alors que le monde litteraire et la presse allemande sont pendus à vos lèvres n’est-elle pas des plus névrosante?

    Cette impuissance me peine effectivement.

    Au delà de la peine personelle, cette situation de tourment individuel d’un autre genre auquel les auteurs et hommes de culture du tiers-monde sont confrontés ne mérite t’elle pas une approche particulière et specifique?

    Je suis de votre avis.

    Tonio Kröger le personnage de Thomas Mann dans l’oeuvre du même nom publiée en 1903 relate la relation presque antinomique entre l’artiste écrivain et sa qualité de citoyen du monde. Le tourment est certes presque insurmontable, mais vecu de maniére interne, endogène. Celui du poète africain est plutôt une barrière exogène. Comme le paradoxe auquel vous êtes confronté actuellement (star en RFA et des médias, mais proscrit chez vous, votre pays de naissance ). Cela fait-il partie des thèmes littéraires africains? Comment vivez-vous vous ceci au quotidien?

    C’est une situation un peu schizophrène,je le concède. Elle demande une force de caractère.

    Revenons avec votre permission, à votre oeuvre litteraire. De quoi le verre cassé  est-il la critique à part la dénonciation d’un monde devergondé, et sans moral que vous y faites ?

    Il y est dennoncé entre autre la double morale, et certains travers de la société.

    Ce qui revient le plus dans les nombreux comptes rendus et entretiens de vous et sur vous dans la presse allemande, est votre côté très critique dans vos rapports avec la  France, votre pays d’adoption. C’est aussi entre autre le thème dans “Black Bazar” Assistons nous ici á un dépit amoureux ?

    Il est question dans l’oeuvre que vous evoquée, des esprits noirs de Paris…

    Nous ne pouvons conclure cet entretien sans revenir sur une des grandes menace de l’heure, à savoir le danger d’émiettement des entités africaines dejá fragilisées. Sous le couvert d’aide à la projection des frontières interafricaines, la théorie dite de “capacity building” dont la base est le Niger, arme les dictatures avec l’aval, pour ne dire la bénédiction du parlement européen. Les fonds alloués à l’ICSP -Instrument pour la stabilié et la paix pourront y désormais y être detournés. Á part le clergé allemand, aucune réaction de la Société civile africaine n’a été enregistrée à ce jour….

    Vous êtes bien informé. Je ne connaissais pas le sujet. Je vais m’y attéler…

    Désiré Christophe Oulaï

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