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    Chronique du lundi : Décryptage de la grâce accordée par Alassane Ouattara à Laurent Gbagbo

    Chronique du lundi : Décryptage de la grâce accordée par Alassane Ouattara à Laurent Gbagbo
    Publié le
    Par
    Christian Gambotti
    Lecture 7 minutes
    Salon des banques de l'UEMOA et des PME

    Comment interpréter la grâce accordée par Alassane Ouattara à Laurent Gbagbo ? Si les partisans d’Alassane Ouattara interprètent ce geste comme un acte fort qui contribue à apaiser le climat politique et renforcer le processus de réconciliation, le Parti des Peuples Africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI), créé par Laurent Gbagbo, ne voit dans cette grâce accordée à son leader qu’une une simple opération de communication. Il demande deux choses : une loi d’amnistie, afin de permettre à Laurent Gbagbo d’être candidat à l’élection présidentielle de 2025, et la libération des prisonniers politiques. 

    Le PPA-CI, qui est dans son rôle d’opposition, montre, ainsi que combat politique continue. Pour bien comprendre le contexte, il nous faut partir de trois constats.  Premier constat : Laurent Gbagbo a été définitivement acquitté par la Cour Pénale Internationale de La Haye (CPI), en mars 2021, de crimes contre l’humanité. Cette décision de la CPI n’a jamais été contestée par les autorités ivoiriennes. Deuxième constat : rentré dans son pays le 17 juin 2021, Laurent Gbagbo restait sous le coup d’une condamnation à 20 ans de prison pour « le braquage » de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) pendant la crise de 2010-2011. L’ex-président de la République n’a jamais été inquiété par la justice ivoirienne. Troisième constat : de retour en Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo avait indiqué vouloir reprendre le combat politique « jusqu’à la mort », lançant, pour cela, en octobre 2021, le Parti des Peuples Africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI), une nouvelle formation politique panafricaniste de gauche. 

    Ce retour en politique de Laurent Gbagbo n’a jamais été entravé par le gouvernement ivoirien. De ces trois constats, j’en tire trois conclusions. Première conclusion : Ouattara multiplie les actes d’apaisement de la vie politique et crée les conditions qui vont permettre aux prochaines échéances électorales (2023 et 2025) de se dérouler dans de bonnes conditions. Deuxième conclusion : le parti présidentiel, sous la conduite d’Alassane Ouattara, a remporté toutes les élections depuis 2011. Sa réorganisation et la nomination d’Ibrahima Cissé Bacongo Cissé, qui a un véritable sens politique, au poste de directeur exécutif, visent  à accroître la force électorale du parti présidentiel déjà implanté sur tout le territoire.  Troisième conclusion : porté par une vision prospective de l’Histoire, nourri de la philosophie politique de Félix Houphouët-Boigny fondée sur le dialogue, Alassane Ouattara apparaît comme le digne héritier du Père de la nation. 

    Depuis 2011, Ouattara, sans jamais renoncer, a toujours cherché à renforcer le cadre démocratique dans lequel doivent se dérouler les élections. Victime de l’instrumentalisation du concept d’« ivoirité » en 1995 et en 2000, confronté à une grave crise post-électorale en 2010-2011 et à un appel à l’insurrection et au soulèvement de la rue en 2020, il n’a jamais été animé par un esprit de revanche. Il tient à laisser, dans l’Histoire, l’image d’un homme de dialogue et d’un « bâtisseur de paix ». Face à l’Histoire, il veut être le président ivoirien qui aura permis au processus de réconciliation d’aboutir.

    Grâce ou amnistie à Laurent Gbagbo : un faux débat ?

    Dans l’interview qu’il a accordée à la RTI, le ministre de la Réconciliation et de la Cohésion nationale, Kouadio Konan Bertin, pose clairement le débat sur la grâce présidentielle accordée à Laurent Gbagbo. Le ministre rappelle que l’amnistie relève de la loi, c’est-à-dire d’un vote à l’assemblée nationale, que le projet de loi d’amnistie soit déposé par le gouvernement ou par un groupe parlementaire. Il est évident que cette loi d’amnistie sera proposée et qu’elle sera votée. 

    Alassane Ouattara, alors qu’il avait été interdit d’élection par Bédié et Gbagbo, ne voudra pas empêcher Gbagbo d’être candidat. Kouadio Konan Bertin s’étonne, à juste titre, que certains, en 2022, alors que la Côte d’Ivoire est confrontée à des urgences, en soient déjà à dresser la liste des candidats à l’élection présidentielle de 2025. Le ministre Kouadio Konan Bertin aborde le véritable enjeu de la rencontre, le 14 juillet, entre Ouattara et ses prédécesseurs, Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo, et la portée de cette grâce accordée à l’ex-président de l’ex-FPI : il ne s’agit pas d’une nouvelle et énième combinaison politicienne sans lendemain, les processus de réconciliation s’étant multipliés depuis 2001 sans véritablement aboutir, mais d’un véritable changement de paradigme. KKB nous renvoie au mot-clef qui  résume l’esprit de ce changement de paradigme : la confiance. Rien n’est possible, s’il n’existe pas entre Ouattara, Gbagbo et Bédié une véritable confiance. 

    Ouattara ne doute pas de la sincérité de Gbagbo, lorsque ce dernier annonce vouloir contribuer à l’apaisement du climat politique. Kouadio Konan Bertin insiste sur la volonté du Président Alassane Ouattara, dont la démarche vise à restaurer, pas à pas, la confiance avec ses anciens adversaires que sont le dauphin constitutionnel d’Houphouët-Boigny, Bédié, et l’adversaire historique d’Houphouët-Boigny, Laurent Gbagbo. En étant ce « bâtisseur de paix », Ouattara apparaît comme le véritable dauphin spirituel du Père de la nation. Qui peut prendre le risque, comme l’ont fait certains en 2020, de ne pas vouloir restaurer la confiance entre les dirigeants politiques des grands partis, alors que les populations ivoiriennes sont avides de stabilité politique, de démocratie et de développement ? 

    Pour KKB, la cohésion nationale est un ferment d’avenir, alors que l’instabilité politique chronique que la Côte d’Ivoire a connu entre 1995 et 2010, avec la multiplication des combinaisons politiciennes insincères, a affaibli la démocratie, retardé le développement et fait de la Côte d’Ivoire un État failli qui a vu la destruction de pans entiers de son économie et de son système éducatif.

    Le sens de l’Histoire

    L’Histoire récente de la Côte d’Ivoire se confond avec les parcours politiques des trois figures charismatiques qui ont dirigé les grands partis politiques ivoiriens : le PDCI, le FPI et le RDR. 

    Avec le RHDP, Alassane Ouattara a voulu créer un mouvement politique débarrassé de sa gangue ethnique et de son ancrage territorial. La nomination de Patrick Achi au poste de Premier ministre et le choix de Kouadio Konan Bertin comme ministre de la Réconciliation, des postes-clefs, alors que les deux hommes ne sont pas issus du RDR, sont des actes forts qui vont dans le sens de l’Histoire. 

    L’opposition est-elle prête à aller dans le sens de l’Histoire ? Un dirigeant important du PDCI, le principal parti d’opposition qui veut s’allier aux pro-Gbagbo, a déclaré : « Nous croyons que les Ivoiriens sentent les lignes bouger en faveur de la paix, de la réconciliation et cela est profitable à tout le monde ». Parce que les signes de décrispation se multiplient au sommet, la « réconciliation » devient une réalité palpable. Il reste à surmonter l’obstacle des prochaines échéances électorales, alors que chaque élection voit se multiplier, localement, les risques de conflits ethno-régionaux pour la conquête du pouvoir. Va-t-on assister, comme en 2020, à la résurgence des conflits intercommunautaires entretenus par des propos haineux relayés sur les réseaux sociaux ? 

    Le réductionnisme politicien à courte vue, qui se nourrit d’ambitions médiocres, conduit certains à se projeter en 2025, ce qui aggrave les risques d’un retour aux années de désespoir et la vulnérabilité de l’Etat-nation ivoirien, dont le processus de sédimentation et d’institutionnalisation n’est pas achevé. La résurgence des conflits ethno-régionaux au moment des séquences électorales, si elle permet aux politiciens d’exister, interdit aux États africains de s’affirmer à l’échelle du monde. 

    Héritier spirituel de Félix Houphouët-Boigny, qui avait pris soin d’intégrer les représentants de toutes les ethnies au sein du PDCI, alors parti unique, et inscrire « 60 tribus qui ne se connaissaient pas » dans une destinée commune afin de bâtir la nation ivoirienne, Alassane Ouattara, face à l’Histoire, cherche à réinventer le rêve détruit du Père de la nation, celui d’une Côte d’Ivoire unie et prospère. Son obsession : créer les conditions d’une véritable réconciliation et d’une paix civile durable, afin de faire entrer définitivement la Côte d’Ivoire dans le groupe des démocraties apaisées et développées.


    Christian GAMBOTTI –  Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage –  Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches de l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@afriquepartage.org

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