Lors du 1er Congrès international sur l’autisme en Afrique, initié par l’Institut national de santé publique (Insp) à Abidjan du 10 au 13 décembre 2024, Dr Anna-Corinne Bissouma, pédopsychiatre spécialisée en autisme, a partagé son expertise. Forte d’une carrière dédiée à la santé mentale de l’enfant, elle plaide pour une meilleure prise en charge et inclusion des personnes autistes en Afrique. Dans cette interview, elle revient sur les défis, les solutions et les espoirs liés à cette cause essentielle.
Pouvez-vous nous parler brièvement de votre parcours et de votre spécialisation dans le domaine de l’autisme ?
J’ai suivi mes études de médecine et de psychiatrie à l’Ufr Sciences médicales de l’Université Félix Houphouët Boigny d’Abidjan, avant de me spécialiser en psychiatrie de l’enfant à l’Université Paris 5. J’ai également obtenu des diplômes en management et organisation en santé mentale à l’Université Paris 6, ainsi qu’un master en psychologie clinique, un doctorat et une thèse. En 2015, j’ai été sollicitée pour diriger un nouveau service dédié à l’autisme au sein de l’Insp. Depuis, je me suis formée auprès d’organismes spécialisés en France et en Afrique pour répondre aux besoins spécifiques de cette prise en charge. Récemment, grâce à la Fondation Orange, mon équipe et moi avons bénéficié d’une formation de l’Université Clermont-Ferrand pour renforcer nos compétences.
Qu’est-ce qui a motivé votre participation au 1er Congrès international ?
Ce congrès, organisé par l’Insp à travers le Centre Marguerite Té Bonlé (Cmtb), avait pour objectif de créer un espace de réflexion et de formation autour des recherches africaines et internationales sur l’autisme. Il était essentiel de rassembler des scientifiques pour dresser un état des lieux de la situation en Afrique et définir des pistes de travail sur la base de données probantes.
Pourquoi les thèmes abordés sont-ils cruciaux pour le continent africain ?
Ils sont essentiels car, en Afrique, nous faisons face à un vide structurel et organisationnel. Peu de professionnels sont formés, et les établissements qui accueillent des enfants autistes manquent de référentiels adaptés. De plus, l’errance thérapeutique est fréquente, mêlant soins spirituels, traditionnels et mystiques, ce qui laisse souvent les familles dans le désarroi. Cet événement visait à poser les bases d’un discours africain sur l’autisme, adapté à nos réalités.
Quels sont, selon vous, les principaux défis liés à la prise en charge de l’autisme ?
Le premier défi est de renforcer la recherche pour mieux comprendre les facteurs biopsychosociaux et améliorer le diagnostic clinique. Ensuite, nous devons former les professionnels et soutenir les familles pour favoriser une prise en charge adaptée. Enfin, il est crucial de faire d’Abidjan, et en particulier du Cmtb, un pôle d’excellence en autisme, avec un rayonnement sous-régional.
Quelles initiatives ont été prises par la Côte d’Ivoire pour relever ces défis ?
Le pays a pris conscience des enjeux liés à l’autisme. Le ministre Ivoirien de la Santé, M. Pierre Dimba, a promis la construction d’un nouveau centre au sein de l’Institut national, conforme aux normes internationales. Ce centre permettra d’améliorer la qualité des soins, de renforcer la formation et de promouvoir la recherche sur les troubles neurodéveloppementaux.
Des acteurs privés, comme la Fondation Orange Ci, soutiennent ces efforts. Quelle est leur contribution ?
Le rôle des partenaires privés est capital. La Fondation Orange Ci nous a permis d’organiser des activités de dépistage, des formations et même ce congrès. Leur soutien a également permis de mettre en œuvre le projet Repit, qui a accompagné 30 familles entre 2023 et 2024. Ce programme a réduit la sévérité de l’autisme chez de nombreux enfants, avec un taux d’amélioration de près de 50 %. Ces initiatives permettent de sensibiliser les communautés et de déstigmatiser l’autisme.
Quels sont vos projets pour assurer un impact durable sur la prise en charge de l’autisme ?
En janvier 2025, nous lancerons le programme de formation Pufadsa, en partenariat avec la Fondation et l’Université Clermont-Ferrand, pour former 60 professionnels. Nous prévoyons également des projets de recherche-action et des programmes de soutien à la parentalité, ainsi que des initiatives telles que le sport pour les enfants autistes.
Avez-vous un message pour les familles et les acteurs engagés dans cette cause ?
L’autisme ne vient pas avec un manuel, mais il appelle à l’engagement de professionnels dévoués et à la résilience des familles. Ensemble, nous pouvons changer le visage de l’autisme en Côte d’Ivoire et en Afrique, en dépassant les croyances limitantes et en construisant un avenir inclusif pour ces enfants et leurs familles.
Jessica MEDEBODJI