Trump a été élu par les Américains qui lui demandent de mettre en œuvre ses slogans : « America first », « Make America Great Again ». Ces deux slogans nous renvoient à la phrase de Georges Bush, prononcée en 1992 au Sommet de la Terre : « le mode de vie américain n’est pas négociable ». Figure iconique du parti Démocrate, Barack Obama s’est exprimé, lors de son discours d’investiture à la présidence des États-Unis, le 20janvier 2009, sur le même registre : « Nous n’allons pas nous excuser pour notre mode de vie, nous le défendrons sans relâche. » Démocrates et Républicains partagent-ils une même vision du monde ? Non, car Trump tiendra la promesse du « America First » dans tous les domaines sans se soucier des inégalités de développement dans le monde, de la nature des régimes politiques et des urgences climatiques. En ce qui concerne l’Afrique, le continent est relégué au dernier rang dans la hiérarchie des priorités du trumpisme. L’Afrique doit commencer à se poser la question suivante : quel sera, au regard des premières nominations dans l’administration américaine, l’impact de la gouvernance Trump sur le continent ?
Le corpus des valeurs du trumpisme
Trump s’inscrit dans le droit fil de la pensée néoconservatrice (1), qui puise ses racines dans un fondamentalisme religieux mis en évidence par deux journalistes français, Alain Frachon et Daniel Vernet, dans un essai publié en 2004, « L’Amérique messianique ». En 1956, sous la présidence du républicain Dwight D. Eisenhower, le Congrès adopte comme devise nationale « In God, We trust ». Cette devise remplace une devise latine : « E pluribus unum » (« De plusieurs, un »), devise selon laquelle des gens différents, issus des vagues migratoires, allaient construire la nation américaine. Trump est, pour ses électeurs, celui qui refuse l’universalisme naïf de la devise « E pluribus unum », qui prétend que des gens différents sont capables d’enrichir l’identité, les croyances et la spiritualité d’une nation. Trump ne conteste pas que le monde soit pluriel, mais il défend l’idée du « chacun chez soi et pour soi » sur fond de valeurs conservatrices et identitaires. Trump choisira son équipe en fonction de trois critères : la loyauté absolue, la rupture totale et l’adhésion à ce néo-conservatisme dans sa forme la plus radicale.
L’imprévisibilité prévisible de Trump en Afrique
Dire que Trump est imprévisible, c’est ne pas comprendre le trumpisme. Loin d’être imprévisible, Trump répond aux attentes de ses électeurs. Pour cela, sans se préoccuper de la validation par le Sénat, il vient de nommer, à des postes-clefs, les tenants d’une ligne dure : Elon Musk à la tête d’un ministère de « l’efficacité gouvernementale », Tom Homan pour s’occuper du contrôle de l’immigration, Robert F. Kennedy Jr. pour diriger le ministère de la Santé, Lee Zeldin en charge de l’Agence de protection de l’environnement et Elise Stefanik comme ambassadrice auprès des Nations unies. Ces cinq nominations concentrent toutes les difficultés que va rencontrer l’Afrique dans sa relation avec Trump.
● Les difficultés économiques – Elon Musk, un libéral libertarien, voudra appliquer à la lettre le programme économique de Trump, afin de réduire les dépenses de l’Etat fédéral et favoriser l’industrie américaine. La volonté de Trump de rétablir des barrières douanières sur tous les produits importés aux Etats-Unis risque d’affecter l’économie de l’Afrique. Cette approche ultra protectionniste suscite des craintes sur le continent. L’African Growth and Opportunity Act, un accord commercial avantageux pour les produits africains sur le marché américain, sera-t-il remis en cause ? Le continent risque-t-il de connaître un « enfer douanier » (2) ?
● Les difficultés liées au retour des frontières – Le contrôle de l’immigration a été confié à Tom Homan, qui avait dirigé l’ « Immigration and Customs Enforcement » (ICE), le service de l’immigration et des douanes). Tom Homan un dur parmi les durs, n’hésitera pas à mettre en application les promesses de Trump : réaliser la plus grande opération d’expulsion de migrants illégaux de l’histoire des Etats-Unis, finir la construction du mur entre les Etats-Unis et le Mexique (« Trump Wall »), restreindre la délivrance des visas pour certains pays et diviser par deux le nombre d’étudiants africains. A propos de Tom Homan, Trump a déclaré : « Il n’y a personne de meilleur que lui pour surveiller et contrôler nos frontières ».Avec Homan, l’Afrique risque-t-elle de connaître l’« enfer du contrôle des frontières » ?
● Les difficultés liées à une vision « complotiste » et « antivax » de la santé – Donald Trump a nommé, comme ministre de la santé, l’antivax et conspirationniste Robert F. Kennedy Jr, qui a propagé les théories du complot sur les vaccins contre la Covid 19. Les mesures que préconise le nouveau ministre de la santé inquiète déjà la communauté scientifique. L’Afrique est le continent où la situation sanitaire et sociale est la plus préoccupante. Avec Trump, les inégalités d’accès aux financements mondiaux de l’aide en santé vont s’aggraver. Croissance démographique sans précédent, insécurité sanitaire, absence de protection sociale, pénurie de personnels de santé, effets de la crise économique, réduction des aides financières mondiales, l’Afrique verra-t-elle s’aggraver la menace d’un « enfer sanitaire » avec le désengagement des Etats-Unis ?
● Les difficultés liées au retour d’un climato-sceptique à la Maison blanche –Lee Zeldin, un proche de Trump, va diriger l’Agence de protection de l’environnement (EPA). Pour Trump, qui a sorti les Etats-Unis des Accords de Paris sur le climat, « le concept de réchauffement climatique a été créé par et pour les Chinois afin de rendre l’industrie américaine non-concurrentielle. » La feuille de route de Lee Zedin : restaurer la prédominance énergétique des Etats-Unis. Le slogan républicain « Drill, baby, drill » (« Fore, chéri, fore »), repris par Trump, exprime le soutien aux énergies fossiles et à l’intensification des forages pétrolier. L’Afrique, avec un climato-sceptique à la Maison blanche, va-t-elle voir s’aggraver l’« enfer climatique » qui la menace ?
● Les difficultés liées au « grand deal », c’est-à-dire partage du monde entre des grandes puissances – En choisissant Elise Stefanik pour le poste d’ambassadrice des Etats-Unis auprès des Nations unies, une militante forcenée de l’Amérique d’abord, Trump montre sa méfiance des organisations supranationales et son refus du multilatéralisme. Elise Stefanik portera la voix des Etats-Unis, privilégiant les accords bilatéraux avec, en arrière-plan, le partage du monde entre les grandes puissances.
Le mur des réalités géopolitiques peut-il faire évoluer le trumpisme ?
Dans ma prochaine Chronique (lundi 25 novembre), je montrerai que le mur des réalités géopolitiques peut faire évoluer le regard de Trump sur l’Afrique. La Chine s’est déjà emparée du continent et la Russie y revient avec la volonté de reprendre la main sur des Etats africains. Les Etats-Unis, de moins en moins influents sur la scène internationale, sont désormais encerclés par leurs deux pires ennemis : la Russie, alliée avec l’Iran et la Corée du Nord, et la Chine, qui s’installe dans la zone indopacifique et en Amérique latine. Trump, l’imprévisible, devra prévoir, s’il ne veut pas que l’Amérique regarde passer une Histoire qui se déroulerait sans elle.
Christian GAMBOTTI – Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@afriquepartage.org