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    Chronique du lundi – Le paradoxe de la filière bois en Côte d’Ivoire :  Une source de revenus pour le pays mais des conséquences préjudiciables pour la filière elle-même et l’environnement 

    Chronique du lundi – Le paradoxe de la filière bois en Côte d’Ivoire :  Une source de revenus pour le pays mais des conséquences préjudiciables pour la filière elle-même et l’environnement 
    Publié le
    Par
    Christian Gambotti
    Lecture 7 minutes
    Salon des banques de l'UEMOA et des PME

     

    Dans l’imaginaire collectif occidental, l’Afrique, l’homme africain et la nature se confondent pour incarner un ordre immuable. Tout le monde se souvient de cette grille de lecture du monde africain proposée par Nicolas Sarkozy dans le fameux Discours de Dakar qu’il a prononcé, le 26 juillet 2007, devant des étudiants, des enseignants et des personnalités politiques : « Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès. Dans cet univers où la nature commande tout, l’homme échappe à l’angoisse de l’histoire qui tenaille l’homme moderne mais l’homme reste immobile au milieu d’un ordre immuable où tout semble être écrit d’avance. »

    Quel contresens ! Le lien entre l’Africain et la nature est un lien de dépendance. Certes, en Côte d’Ivoire, une forte transition urbaine est en cours et le taux d’urbanisation est aujourd’hui de 52,5% (réf : Recensement Général de la Population et de l’Habitat 2021), mais, beaucoup d’Ivoiriens, comme 1, 3 milliard d’individus dans le monde (20 % de la population mondiale), dépendent encore des forêts pour leur travail, leurs moyens de subsistance et leurs revenus. 

    La forêt a-t-elle disparu d’une pensée postmoderne africaine qui a perdu ses repères et dont le futur reste mal défini,  parce que ses liens avec la nature se distendent ? Pour évoquer le futur de l’Afrique, on parle beaucoup d’industrialisation, de révolution digitale, d’urbanisation, de démographie avec des populations de plus en plus nombreuses qu’il faudra nourrir, etc. On oublie un sujet essentiel : le couvert forestier ivoirien, comme s’il fallait ignorer la nature et, pour moderniser le continent, accepter de se soumettre aux injonctions d’une industrialisation forcenée et d’une urbanisation galopante pour laisser la place à l’agriculture industrielle dopée aux pesticides et à l’artificialisation sans fin des sols.

    Cette disparition des forêts représente pour la Côte d’Ivoire une menace absolue. Un seul chiffre : au cours du siècle dernier, le couvert forestier de la Côte d’Ivoire est passé de 16 millions d’hectares à moins de trois millions et il ne reste plus que 517 000 hectares de forêt primaire. Pour Jean-Yves Garnault, un consultant spécialiste des questions forestières qui a souvent travaillé avec les ministres des Eaux et Forêts, « il ne peut pas y avoir de futur de la Côte d’Ivoire sans une protection accrue des forêts, une réglementation et un contrôle strict de l’exploitation forestière, l’éradication de la déforestation illégale et une politique volontariste de reboisement. La forêt, en dehors des retombées économiques et sociales que génère son exploitation, occupe une place centrale dans la santé, les réponses à l’urgence climatique, la lutte contre le réchauffement climatique et la désertification, et la protection de la biodiversité. »

    On ne peut que partager cette analyse qui met en évidence deux réalités : 1) les forêts contribuent toujours de manière importante à l’économie de la Côte d’Ivoire et  elles fournissent des emplois et des moyens de subsistance aux populations locales 2) protéger les forêts, c’est répondre à l’urgence climatique. Les causes du phénomène de déforestation en Côte d’Ivoire sont largement documentées, je n’y reviens pas. 

    Le couvert forestier ivoirien : localisation et acteurs 

    Source : le Rapport du SPIB (Syndicats des Producteurs Industriels du Bois en Côte d’Ivoire), et de l’ATIBT (Association Technique Internationale des Bois Tropicaux). Dans ce Rapport, le SPIB et l’ATIBT établissent une « “cartographie détaillée des acteurs du secteur privé de la filière “forêt-bois” de la Côte d’Ivoire », ce qui permet d’avoir «  une meilleure connaissance des Associations professionnelles (AP), des acteurs individuels formels et informels impactant la question forestière. »

    Le Rapport répertorie « la représentation, sur l’étendue du territoire national, des acteurs privés du secteur bois en Côte d’Ivoire. » Il ressort de ce Rapport que «  la majeure partie de la production industrielle de bois est destinée au marché de l’exportation. Si l’on regarde la représentation sur l’étendue du territoire national des acteurs privés du secteur bois en Côte d’Ivoire, on observe que l’Ouest et le Sud du pays constituent l’épicentre des activités des acteurs privés du secteur forêt-bois. Ces deux zones regroupent à elles seules, plus de 85 % des industriels du bois et 90 % des commerçants de bois. On y retrouve aussi près de 50 % des artisans liés au bois. Par ailleurs, l’occupation spatiale de ces acteurs révèle leurs fortes densités au Sud et à l’Ouest. Ces zones sont caractérisées par leur environnement forestier et leurs grands centres urbains qui abritent d’importantes activités économiques. Ces caractéristiques constituent un facteur prépondérant de la forte présence des acteurs de la filière forêt-bois dans ces zones. En effet, la disponibilité des surfaces forestières et l’urbanisation galopante représentent des sources de pression et d’exploitation de la ressource ligneuse. Également, la croissance démographique induit de fortes consommations de bois par les populations, notamment le bois d’œuvre et le bois-énergie. »

    Pour le SPIB et l’ATIBT, il convient de distinguer deux types d’acteurs dans l’exploitation forestière : 1) les petits exploitants forestiers qui exploitent le bois-énergie et le bois d’œuvre pour une consommation locale 2) les exploitants industriels qui exploitent uniquement le bois d’œuvre intégrant la transformation et, dont une partie est vendue à l’international.

    On note que « Les industriels dominent la catégorie des exploitants forestiers, ils représentent près de 55 % de ces opérateurs ; les groupements d’exploitants et les sociétés civiles se partagent les effectifs restants. Chez les artisans, la menuiserie-ébénisterie est l’activité majeure avec 95,27 % de ces acteurs.» 

    Toujours selon ce Rapport, il existe un véritable paradoxe de la filière Bois : « Même si l’exploitation forestière constitue une source de revenus pour le pays, les conséquences de cette activité sont préjudiciables au secteur forestier et à l’environnement en général. » L’impact négatif : régression du couvert forestier, raréfaction des essences de bonne qualité et de gros diamètres, autorisations d’exploitation du bois insuffisamment contrôlées, réglementation sur toute la chaîne de valeur du bois non-respectée, politique de reforestation et de protection des ressources forestières insuffisante. Il est donc urgent d’améliorer la gouvernance et la gestion forestières, notamment en corrigeant les contradictions entre le code forestier et le code foncier rural. 

    Conclusion 

    L’Afrique n’est responsable que de 3 % des émissions mondiales de dioxyde de carbone, mais le continent est déjà le plus durement touché par la hausse des températures et les crises climatiques. Des effets dévastateurs se manifestent déjà en Côte d’Ivoire, entre inondations meurtrières et sécheresses extrêmes. La protection des forêts pour lutter contre le changement climatique, la dégradation des terres et la protection de la biodiversité est l’un des piliers des grandes orientations des politiques publiques.

    Pour Jean-Yves Garnault, « rien ne peut être fait sans l’État et sans les pouvoirs locaux, ni sans l’implication des populations locales, mais rien ne peut être fait aussi sans que les acteurs publics et privés ne s’engagent sur la performance environnementale de l’écosystème du bois, afin que la filière réponde au cahier des charges du développement durable, notamment en matière de traçabilité pour lutter contre les trafics. De fait, l’écosystème du bois est, à l’échelle de l’Afrique, l’un de ceux dont la durabilité environnementale est la plus discutable et la plus discutée. De nombreuses failles obèrent encore le potentiel de croissance d’une filière qui doit répondre à des besoins humains et industriels et à des urgences écologiques. » 

    Christian GAMBOTTI –  Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage– Présidentt du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@afriquepartage.org 

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