La Côte d’Ivoire, comme tous les Etats africains, a parfaitement conscience de l’urgence climatique et elle a pris des engagements sur le climat. Pourtant, le pays n’entend pas renoncer à l’exploitation des énergies fossiles, le pétrole et le gaz dont l’exploitation a commencé en 2023. La deuxième phase d’exploitation, qui a démarré fin décembre 2024, dépasse les prévisions. Selon le ministre Amadou Coulibaly, « la production estimée dans la phase active va au-delà de toutes les évaluations prévues au moment de la découverte du gisement », en 2021. Avec les gisements de « Baleine » et « Caleo », la manne des énergies fossiles représente pour la Côte d’Ivoire un levier de croissance soutenue et de développement durable avec, à la clef, la création de nombreux emplois.
Injonctions environnementales versus développement de l’Afrique
Le développement de l’Afrique, notamment son industrialisation, passe par l’exploitation de ses énergies fossiles. C’est ce que le directeur de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), Fatih Birol, a tenu à rappeler sans ambiguïté, lors du dernier Sommet africain pour le climat : « L’attitude dogmatique des pays occidentaux, qui souhaitent empêcher l’Afrique d’utiliser son gaz, revient à lui interdire de s’industrialiser. Et il faut aussi être conscient des conséquences que cela a sur le plan géopolitique, en creusant la fracture entre l’Afrique et le monde occidental ».
De son côté, l’ONU, prenant acte des conflictualités géopolitiques de haute intensité (guerre en Ukraine, guerre entre Israël et le Hamas), entraînant des difficultés d’approvisionnement, une forte inflation, une hausse des prix du carburant et des denrées alimentaires et l’instabilité financière, a fait la recommandation suivante : « Pour éviter les futurs chocs des prix alimentaires causés par la hausse des prix du pétrole et du gaz sur le marché mondial, les pays africains doivent améliorer leur capacité de production et d’exploration du pétrole et du gaz afin de combler les lacunes qui pourraient survenir à la suite d’une rupture de la chaîne d’approvisionnement parmi les principaux producteurs mondiaux ».
Tous les pays africains producteurs de pétrole et de gaz se heurtent aux injonctions environnementales d’un Occident qui voudrait leur imposer un modèle de développement qui limiterait, voire interdirait, l’exploitation de leurs ressources en énergies fossiles. Sébastien Fath, historien et chercheur au CNRS, n’hésite pas à parler de « néocolonialisme écolo » pour définir les injonctions environnementales venues d’un Occident donneur de leçons écologiques.
Les « Accords de Paris » sur le climat de 2021, suivis des recommandations de la COP 26 sur le climat, qui s’est tenue à Glascow, véhiculent une vision idéologique, très occidentalo-centrée, qui a été contestée lors de COP 29 par des pays qui ont dit qu’ils n’accepteraient « aucun texte qui cible des secteurs spécifiques, y compris les combustibles fossiles » (déclaration d’Albara Tawfiq, le responsable saoudien du groupe arabe de l’ONU Climat).
Les pays africains producteurs de pétrole et de gaz, notamment ceux où de récentes découvertes de pétrole et de gaz nourrissent l’espoir de consolider leur développement (Côte d’Ivoire, Sénégal) n’entendent pas se priver de la manne que représentent les énergies fossiles. Les priver de cette manne relève d’une nouvelle forme de colonialisme qui tend à inclure l’Afrique parmi les principaux responsables du réchauffement climatique.
Une diplomatie climatique occidentalo-centrée qui constitue un déni des réalités africaines
En matière de développement à partir de l’exploitation des énergies fossiles, l’Occident a eu son heure, ce que tiennent à rappeler les Etats africains. Au Mozambique, un pays pauvre, Frederico Joao, le président du forum des organisations de la société civile de Cabo Delgado, une région riche en gaz naturel, voit dans les injonctions climatiques venues de l’Occident, une ingérence inacceptable : « Les pays occidentaux ont eu leur opportunité et il serait injuste que, maintenant que notre tour est arrivé, ils apparaissent et disent que nous ne pouvons pas avancer. »
La première puissance économique du monde, les États-Unis, entend maintenir son rang en exploitant son pétrole et son gaz. Donald Trump, qui, lors de son premier mandat, qui était sorti des « Accords de Paris » sur le climat, a martelé tout au long de sa dernière campagne électorale le slogan « Drill, baby ! Drill ! » (« Fore, bébé ! Fore »), montrant ainsi qu’il n’entend pas limiter la production d’énergie fossile aux États-Unis.
Avec une production qui s’élève à 17,8 millions de barils par jour, soit 18,9 % du total mondial, les États-Unis sont de loin le premier producteur mondial de pétrole. Les Etats-Unis sont aussi le premier exportateur mondial de GNL (Gaz Naturel Liquéfié). Comment demander à l’Afrique de porter le fardeau de la transition écologique en renonçant à exploiter ses énergies fossiles, alors que le continent africain contribue seulement à hauteur de 4 % environ aux émissions mondiales de gaz à effet de serre.
L’Afrique, qui est la région la moins industrialisée du monde, regroupe 17 % de la population mondiale et elle connaît une démographie galopante : pour assurer son développement, elle ne peut pas sauter l’étape de l’exploitation de ses énergies fossiles, ni modérer ses besoins énergétiques, qui sont énormes, ou attendre le développement des énergies renouvelables, qui demandent des investissements importants.
Prendre le temps nécessaire pour aller vers les énergies renouvelables et moraliser l’exploitation des ressources fossiles
Tous les pays pétroliers et gaziers d’Afrique, notamment le Nigeria et l’Angola, les deux plus gros producteurs du continent, se disent prêts à lutter contre le réchauffement climatique et à promouvoir une industrialisation « décarbonée ». À quelles conditions ?
Première condition : sur la question de l’exploitation des énergies fossiles, il faut tenir compte des différences de développement entre les pays occidentaux et les pays africains, car, pour l’Afrique, renoncer aux énergies fossiles, c’est renoncer au développement économique et social.
Deuxième condition : un secteur énergétique entièrement « décarboné », exempt d’énergie fossile, ne peut voir le jour sur le continent que dans les années 2050, ce qui suppose que l’Afrique ait le temps de s’adapter et qu’elle bénéficie des appuis techniques et financiers pour développer l’hydroélectricité, le solaire et l’éolien.
Troisième condition : et c’est là que se situe un énorme paradoxe. La transition écologique et le glissement vers des énergies propres demandent des investissements énormes.
Quel secteur d’activité, immédiatement rentable, peut remplir les caisses des Etats africains ? Il s’agit de l’écosystème pétrolier et gazier. Il faut, pour cela, une juste redistribution des revenus du gaz et du pétrole. Or, par le passé, les économies de la rente que constituent le pétrole et le gaz n’ont pas contribué au développement des pays ; elles ont, au contraire, dans les pays producteur, retardé la diversification de l’appareil productif, favorisé la corruption et augmenté la dette.
L’exemple de l’Angola montre que les richesses créées par l’écosystème pétrolier et gazier ne redescendent pas jusqu’aux populations. Malgré les pétrodollars qui ont généré des taux de croissance parmi les plus élevés d’Afrique certaines années, deux tiers des Angolais vivent sous le seuil de pauvreté ou sont vulnérables à une pauvreté multidimensionnelle.
En cause, selon l’actuel président angolais arrivé au pouvoir en 2017, Joäo Lourenço, l’opacité des comptes publics et la corruption pendant les trente-huit ans de règne de son prédécesseur, José Eduardo dos Santos. Le gouvernement ivoirien, à quelques mois de l’élection présidentielle d’octobre 2025, devrait s’engager sur les retombées, pour les populations, de l’exploitation du pétrole et du gaz au large de Jacqueville, près d’Abidjan.
Aujourd’hui, les populations africaines et la communauté internationale attendent une totale transparence dans la gestion des revenus de l’écosystème pétrolier et gazier, car il n’est légitime pour personne (pays riches ou ONG environnementales) de demander à l’Afrique de renoncer à l’exploitation de ses énergies fossiles.
Christian GAMBOTTI – Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@afriquepartage.org