Le ciel vous tombe sur la tête lorsque que vous croyez pendant des années être le père d’un ou de plusieurs enfant(s) et que vous découvrez un bon matin que la réalité est toute autre.
Dans sa chronique juridique mensuelle, Maître Léa N’GUESSAN, Avocate au barreau de Paris aborde cette problématique en indiquant les voies et moyens susceptibles de faire annuler en justice la filiation paternelle litigieuse.
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Gérard, cinquantenaire est ouvrier à Paris. Il a des enfants majeurs issus d’une précédente union. Lors d’un séjour en Côte d’ivoire, son pays d’origine, il s’éprend de Catherine, une jeune demoiselle trentenaire, très ambitieuse qui rêve secrètement de venir s’établir en France.
Ils entament alors une idylle et peu de temps après elle lui annonce qu’elle attend des jumeaux début 2013. Gérard assume la paternité et prend soin de sa dulcinée ainsi que des jumeaux Jim et Joachim en envoyant régulièrement de l’argent via Moneygram ou Western Union.
Gérard épouse Catherine en 2015 à Abidjan. Le père, la mère ainsi que les enfants sont de nationalité ivoirienne.
Il entame les démarches pour les faire venir en France. Les procédures administratives durent plusieurs années en raison notamment de la crise COVID et de la nécessité de déménager dans un appartement plus spacieux.
Contre toute-attente, Catherine se métamorphose négativement une fois installée en France avec les enfants en 2021. Gérard découvre qu’elle a un amant, voire plusieurs au pays. Plusieurs langues se délient et lui font comprendre qu’il n’est probablement pas le père des jumeaux car Catherine a toujours eu des mœurs très légères. En effet, elle vendait ses charmes à des hommes fortunés en Côte d’Ivoire.
La mort dans l’âme, profondément abattu, Gérard ne sait plus à quel saint se vouer.
Que peut- il faire ? Comment découvrir la vérité, en l’occurrence la réelle filiation paternelle de Jim et de Joachim ?
Nous pouvons recommander à Gérard d’engager une action en contestation de paternité devant les juridictions françaises.
Textes applicables :
– Article 310-3 alinéa 2 du code civil
[…], la filiation se prouve et se conteste par tous moyens, sous réserve de la recevabilité de l’action. »
– Article 311-14 du code civil
« La filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l’enfant ; si la mère n’est pas connue, par la loi personnelle de l’enfant. »
– Article 311-15 du code civil
« Toutefois, si l’enfant et ses père et mère ou l’un d’eux ont en France leur résidence habituelle, commune ou séparée, la possession d’état produit toutes les conséquences qui en découlent selon la loi française, lors même que les autres éléments de la filiation auraient pu dépendre d’une loi étrangère. »
Article 311-17 du Code civil
« La reconnaissance volontaire de paternité ou de maternité est valable si elle a été faite en conformité, soit de la loi personnelle de son auteur, soit de la loi personnelle de l’enfant. »
Loi ivoirienne n° 64-377 du 7 octobre 1964 relative à la paternité et à la filiation, modifiée par la loi n°83-799 du 2 août 1983 (aujourd’hui abrogée mais en vigueur au moment de la reconnaissance des enfants)
– Détermination de la loi applicable à l’action en contestation de paternité et recevabilité de l’action
Le Juge déterminera la loi applicable à l’action en justice et jugera recevable ou non la demande formulée par le père.
Conformément aux dispositions de l’article 311-17 du Code civil, il convient donc d’examiner si l’action en contestation est possible au regard de la loi ivoirienne.
L’analyse combinée des articles 311-14, 311-15 et 311-17 du code civil précités conduit à affirmer :
– Qu’il n’y a pas lieu de se référer en matière de contestation de reconnaissance de paternité aux conditions fixées par l’article 311-15 du code civil pour voir se produire les effets que la loi française attache à l’existence d’une possession d’état
– Que ce texte n’a vocation à s’appliquer que si la filiation est régie par une loi étrangère désignée en vertu de l’article 311-14 du code civil et non de l’article 311-17 du même code.
Il en résulte que Gérard est recevable en son action en contestation de paternité et la loi ivoirienne est applicable.
– Bien-fondé de l’action
L’expertise est de droit en matière de filiation sauf s’il existe un motif légitime de ne pas y procéder.
Gérard émet des doutes légitimes sur sa paternité en prenant en compte un ensemble d’éléments qui ne souffrent d’aucune équivoque en l’occurrence les témoignages sur la vie sexuelle débridée de Catherine en Côte d’Ivoire ainsi que ses propres échanges avec un des amants de son épouse.
Catherine se borne à contester les allégations de Gérard qu’elle qualifie de mensongères. Toutefois, elle n’apporte aucun élément probant.
Dans ces conditions et en l’absence de motif légitime allégué pouvant s’opposer à la mise en œuvre d’une expertise génétique, seule à même de déterminer avec certitude la filiation paternelle de Jim et de Joachim, il convient d’ordonner une expertise biologique.
Existence ou non d’une possession d’état conforme au titre
La possession d’état est un mode d’établissement d’un lien de filiation.
Selon l’article 311-2 du Code Civil « La possession d’état doit être continue, paisible, publique et non équivoque ».
En pratique, elle illustre une présomption légale de nature à établir la filiation d’une personne sur la base d’une apparence d’un état donné d’un individu, qui se comporte comme un parent véritable à l’égard d’un ou de plusieurs enfants.
En d’autres termes, il s’agit de s’assurer qu’aux yeux de l’entourage, de la société, de l’administration, Gérard s’est comporté comme un père à l’égard de Jim et de Joachim.
Or en l’espèce, pendant près de dix ans, Gérard n’a vécu ni avec la mère, ni avec les enfants. Jim et Joachim sont nés en 2013 en Côte d’Ivoire et ne sont arrivés qu’en 2021 en France par le biais du regroupement familial avec leur mère Catherine.
L’existence d’une possession d’état répondant aux critères de l’article 311-2 du Code Civil est donc éminemment discutable.
– Intervention de l’administrateur ad hoc désigné pour l’enfant mineur
L’administrateur ad hoc est un tiers désigné par décision judiciaire afin de représenter un mineur non émancipé, lorsque dans une procédure, ses intérêts semblent être en opposition avec ceux de ses représentants légaux ou lorsque ceux-ci sont dans l’incapacité de le représenter.
En règle générale, l’administrateur ad hoc n’est pas favorable à l’expertise biologique, considérant à tort ou à raison que cette procédure pourrait remettre en cause tant la stabilité familiale que l’équilibre psychologique de l’enfant. Cette position est d’autant plus défendue par l’administrateur ad hoc qu’il existe une possession d’état conforme au titre.
En l’espèce, l’administrateur ad hoc se contentera d’affirmer que Gérard n’apporte aucun élément de nature à remettre en doute sa paternité.
Décision du Juge
Sur le fondement des règles légales et des pièces produites aux débats, le magistrat peut décider :
1. Soit de rejeter la demande d’expertise génétique ainsi que les autres prétentions du demandeur
2. Soit dans un jugement avant dire-droit d’ordonner une mesure d’expertise des empreintes génétiques et désigner un institut pour y procéder. Il précise par la même occasion le délai ainsi que les modalités dans lesquels se déroulera l’expertise. En outre, le Juge enjoint à l’expert de transmettre une copie de son rapport aux avocats des parties ainsi qu’au Procureur de la République. Enfin, il fixe un délai pour la suite de la procédure d’action en contestation de paternité afin que les différentes puissent communiquer leurs conclusions en ouverture de rapport.
Attention
• Il est fortement recommandé de se faire assister par un avocat dès le début de la procédure afin d’affiner une stratégie que l’on soit en demande ou en défense
• Si l’action en contestation de paternité est concomitante à une procédure de divorce en l’occurrence pour faute, il paraît judicieux de demander un sursis à statuer dans l’attente du résultat de l’expertise génétique.
• Les attestations de témoins ainsi que tout autre document notamment des rapports de travailleurs sociaux peuvent être produits aux débats et faire pencher la balance en faveur de l’une ou de l’autre partie
• En l’espèce, la récente Loi ivoirienne n° 2019-571 du 26 juin 2019 relative à la filiation n’a pas été appliquée par les juges français car n’étant pas en vigueur au jour de la reconnaissance des enfants Jim et Joachim.
Maître Léa N’GUESSAN
Avocate au barreau de Paris
LNGUESSANAVOCAT@GMAIL.COM