Le défi que relever chaque gouvernement est d’être au plus près des populations et des territoires. Les ministères sont chargés de mettre en œuvre les grandes orientations nationales sans avoir la culture d’une gestion de proximité. La Côte d’Ivoire, devenue le pays le plus riche des pays de l’Afrique de l’Ouest, possède des zones rurales et des régions de l’intérieur où vivent les populations les plus pauvres, notamment les agriculteurs. Quant aux services déconcentrés de l’Etat, ils demeurent, à travers les préfectures, le bras armé d’un Etat qui hésite à se laisser déposséder de son pouvoir. Un Etat fort, qui assume ses fonctions régaliennes, et un « Etat-stratège », en matière de développement, sont une nécessité absolue. Mais, des institutions et des corps intermédiaires dotés du pouvoir de décision, dans le cadre d’une décentralisation aboutie, sont désormais indispensables, afin de consolider l’action du gouvernement dans les territoires. Le Plan National de Développement (PND) 2012-2015 visait déjà un développement harmonieux et équilibré du territoire national. Afin de réaliser cet objectif de décentralisation, le gouvernement vient de créer 14 districts autonomes (2 districts déjà existants, Abidjan et Yamoussoukro, auxquels s’ajoutent 12 nouveaux districts), avec la nomination de gouverneurs, qui ont rang de ministres. Le gouvernement ivoirien considère, à juste titre, qu’il ne peut pas, sur la trajectoire de l’émergence, faire l’économie d’une décentralisation plus aboutie. Le défi du développement de chaque territoire, en lien avec les grandes orientations nationales, apparaît comme un marqueur fort du quinquennat 2020-2025.
Les 14 Districts autonomes et les ministres-gouverneurs
1. Bas-Sassandra, Philippe Legré. 2. Comoé, Pascal Abinan Kouakou. 3. Denguelé, Gaoussou Touré. 4. Goh-Djiboua, Louis-André Dacoury-Tabley. 5. Lacs, Raymonde Goudou Coffie. 6. Lagunes, Vincent Lohoues. 7. Montagnes, Albert Flindé 8. Sassandra-Marahoué, Mathieu Babaud Darret. 9. Savanes, Issa Coulibaly. 10. Vallée du Bamdama, Jean Claude Kouassi. 11. Woroba, Moussa Dosso. 12. Zanzan, Souleymane Touré. 13. Abidjan, Robert Mambé Beugré. 14. Yamoussoukro, Augustin Abdoulaye Thiam-Houphouët. Les gouverneurs des deux districts existants, Robert Mambé Beugré et Augustin Thiam, ont été reconduits.
Feuille de route des ministres-gouverneurs
S’il est bien question de décentralisation, la feuille de route des ministres-gouverneurs précise que leur action se fait « dans le respect de l’intégrité territoriale » et « en harmonie avec les orientations nationales ». Le champ d’action des ministres-gouverneurs couvre tous les domaines : planification de l’aménagement du territoire du District Autonome, promotion et réalisation des actions de développement économique, social et culturel, protection de l’environnement ; lutte contre une urbanisation incontrôlable ; lutte contre l’insécurité ; protection et promotion des traditions et coutumes ; entretien du patrimoine et des biens domaniaux de l’Etat transférés au District Autonome ; travaux d’équipement rural, etc.
Coordonner, suivre, évaluer, contrôler, susciter, animer, anticiper
Il s’agit aussi « de coordonner, de suivre et d’évaluer la bonne exécution des programmes, des projets et de toutes actions de développement tels qu’adoptés par le Gouvernement, notamment en matière d’aménagement du territoire, de planification du développement, de transport, de santé, de protection de l’environnement, d’agriculture, de gestion des ressources naturelles, d’enseignement et de formation professionnelle, d’action sociale, culturelle et de promotion humaine, de promotion du développement économique, de promotion du tourisme et d’électrification ; d’assurer, en liaison avec les services déconcentrés des Ministères techniques, le contrôle de la bonne fin des opérations spécifiques de développement décidées par le Gouvernement et de veiller au respect du calendrier et des exigences techniques et financières ; de susciter et d’animer, en liaison avec les services extérieurs des Ministères et des organismes publics ainsi qu’avec le concours des Commissions de développement régional, la réalisation d’études prospectives devant aboutir à l’établissement d’un schéma directeur pour son développement. »
La décentralisation : une véritable révolution culturelle
Au moment des indépendances, les dirigeants africains s’affirment autoritaires, jacobins et centralisateurs, adossés à la structure du parti unique et une administration bureaucratique et pléthorique. Soixante ans après les indépendances, l’Etat africain n’est plus le même. Les profils d’Alassane Ouattara et de Patrick Achi les conduisent tout naturellement vers une gestion plus décentralisée de la Côte d’Ivoire en renforçant le rôle des « corps intermédiaires » locaux. Il s’agit d’une véritable révolution culturelle dans la manière de gouverner. En Afrique, la décentralisation territoriale, pourtant évoquée dans les discours entre 1960 et 1990, n’a jamais été réellement mise en œuvre par manque de volonté politique et en l’absence de transferts de compétences et de ressources provenant de l’Etat. La création des Districts autonomes permet de répondre à des attentes multiples de tous les acteurs de la société. Plus de décentralisation ne signifie pas moins d’Etat, mais un Etat plus efficace. Soucieux du respect de l’intégrité territoriale et des grandes orientations nationales, l’Etat n’est jamais loin : les Districts autonomes seront dans l’obligation de faire approuver, par le Gouvernement, leur projet de schéma directeur.
Christian GAMBOTTI,
Agrégé de l’Université,
Président du think tank Afrique & Partage-
CEO du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) –
Directeur des Collections L’Afrique en Marche, Planète francophone –
Directeur de la rédaction du magazine Parlements & Pouvoirs Africains.