Afrikipresse
    Culture

    Chronique du lundi – JMCA (II) : Pourquoi le choix d’Agboville et du thème sur les percussions

    Chronique du lundi – JMCA (II) : Pourquoi le choix d’Agboville et du thème sur les percussions
    Publié le
    Par
    Christian Gambotti
    Lecture 6 minutes
    Salon des banques de l'UEMOA et des PME

    Le lundi 9 janvier 2023, j’ai publié, dans L’Intelligent d’Abidjan, une première Chronique consacrée à la Journée Mondiale de la Culture Africaine et Afro-descendante. J’ai voulu ainsi montrer que pour les créateurs de la JMCA et le Comité d’organisation de l’événement en Côte d’Ivoire, ce retour à la culture vise à réinstaller l’Afrique dans son identité. 

    Pour sortir d’une présentation purement académique de la JMCA, il m’a semblé nécessaire de donner la parole à Wakili Alafé, le Président du Comité d’organisation de la JMCA en Côte d’Ivoire. Les réponses qu’il apporte à mes questions permettent de mesurer les enjeux que représente cette journée de célébration, sous l’égide de l’UNESCO, de la culture africaine et afro-descendante.

    Christian Gambotti – Que représente, pour vous, cette Journée Mondiale de la Culture Africaine et Afro-descendante?

    Wakili Alafé – L’Afrique évolue, se transforme. Elle participe désormais aux dynamiques contemporaines fondées essentiellement sur la performance économique des grandes régions du monde et des États . Pourtant l’Afrique d’aujourd’hui continue de porter le fardeau d’une Histoire qui l’a privée de son identité en reléguant sa culture dans la sphère d’un exotisme devenu le signe de son infériorité. Avec la JMCA, nous voulons redonner à l’Afrique son identité culturelle. Il s’agit d’un acte majeur qui vise à réconcilier l’Afrique avec elle-même. Grâce d’abord à un africain nommé Ayité Dossavi, puis au Togo , ainsi qu’à l’ensemble des membres de l’Unesco, cela est devenu une réalité.

    Christian Gambotti – Comment définiriez-vous l’identité culturelle ?

    Wakili Alafé – La culture est un marqueur d’identité qui nourrit un sentiment d’appartenance à un groupe, une civilisation. C’est aussi une source de fierté pour l’individu et les populations, et, pour les territoires, un levier d’attractivité. L’identité culturelle se définit d’abord par son ancrage géographique, elle se rapporte à un territoire, que ce soit un continent, un pays, une région, un village. Elle se rapporte aussi à la population de ce territoire, à son histoire, sa langue, ses croyances, ses traditions et ses coutumes. Elle se rapporte enfin au sens que l’individu donne à la vie, à ses relations avec le monde réel et le monde invisible, avec l’organisation sociale et politique. La culture et la production de sens de la culture sont des traits distinctifs de l’espèce humaine. Avec la JMCA, nous voulons montrer que la culture africaine est universelle pour les valeurs qu’elle véhicule comme le partage et la transmission, mais qu’elle est aussi, en Afrique beaucoup plus qu’ailleurs, facteur de différenciation entre les territoires, les groupes humains, les ethnies et les croyances. Elle est variée et dynamique. C’est ainsi que chaque année, nous avons décidé de choisir un thème, un axe de réflexion qui nous permet de rendre compte de ce dynamisme, de cette diversité et de cette pluralité.

    Christian Gambotti – Vous ne parlez pas de la dimension festive et récréative de la culture ? Pourquoi ?

    Wakili Alafé – Nous en parlons, évidemment. La culture n’est jamais une nostalgie, dont les représentations doivent être enfermées dans les musées ou ne pas sortir du cadre des expositions. En consacrant cette année la journée du 24 janvier 2023 aux percussions, nous ne voulons pas faire une exposition, ni rédiger des fiches érudites sur les percussions africaines les plus typiques, Afrique du Nord et Afrique subsaharienne confondues : balafon, bendir, conga, darbouka, djembé (sûrement l’un des instruments africains les plus connus du monde), doumbek, grelots, kalimba, maracas, ngoma, roukeur, tama, udu. Nous voulons montrer que les polyrythmies, strates de rythmes différents joués simultanément, donnent aux percussions africaines un formidable dynamisme et un caractère envoûtant qui font la force d’un spectacle vivant qui est d’autant plus festif et récréatif qu’il est associé à la danse. Détacher les percussions africaines de la notion de spectacle destiné à un public, dans une approche archiviste et érudite, est une manière de dévaloriser notre culture. La frappe à mains nues du djembé présentée comme l’expression d’un contexte traditionnel, incapable d’évoluer, et l’une des formes de la sauvagerie ancestrale. La JMCA n’est pas une succession de conférences pour un public averti, mais une somme de spectacles récréatifs et festifs. Très ancrées dans leur culture, les diasporas africaines ont certes perpétué les traditions à travers le monde, mais les afro-descendants ont fortement influencé les styles de musique partout dans le monde. Cette appropriation culturelle, devenue une manière de composer pour de nombreux artistes non-africains, nourrit fortement la culture africaine et afrodescendante.

    Christian Gambotti – L’influence de la musique africaine, notamment les percussions, est-elle une réalité. Comment expliquez-vous cette influence ?

    Wakili Alafé –  Cette influence est une réalité. La musique occidentale se caractérise par son évolution et une accumulation de savoirs et de techniques qui ont entraîné une rupture avec la tradition séculaire de la musique africaine. L’apprentissage de la complexité harmonique et polyphonique fait que la musique occidentale a relégué les formes musicales du passé dans la sphère de l’oubli et perdu le sens de l’improvisation. L’engouement pour le djembé témoigne, chez les musiciens occidentaux, d’un désir d’authenticité. Ce métissage musical contribue à sortir le djembé des musées ou des villages africains pour touristes. C’est une bonne chose. Pour établir une différence entre l’Occident et l’Afrique, je dirais que la musique en Occident est présente uniquement dans des spectacles (représentation, concert…), alors qu’en Afrique, elle est présente partout, associée au contexte social.

    Christian Gambotti – Vous précisez que les cultures africaines sont attachées à un lieu, un territoire et qu’elles ont un ancrage ethnique. Pourquoi le choix d’Agboville?

    Wakili Alafé –  Nous avons choisi de faire d’Agboville l’épicentre de cette Journée du 24 janvier 2023. C’est en quelque sorte un hommage que nous avons voulu rendre à une ville et une région, qui sont un véritable creuset multiethnique et qui ont joué un rôle important dans l’histoire de la Côte d’Ivoire. Il ne fallait pas rester « abidjano-centré », c’est-à-dire voir la culture uniquement à travers le prisme de la capitale économique. La culture n’existe pas uniquement dans la capitale. Elle se vit et se déploie dans tout le pays, à travers toutes les localités. Ainsi nous avons fait le choix d’aller à la rencontre des populations, afin de rendre populaire la JMCA et susciter une forte adhésion autour de l’événement. La ville pourrait devenir le lieu pour une organisation permanente de la JMCA en Côte d’Ivoire.

    Nombreuses sont les villes qui pourraient s’emparer du projet et s’engager de façon permanente pour accueillir, tous les ans, les festivités de la JMCA. L’importance de la JMCA en fait un vecteur d’attractivité. Pour l’anecdote, Agboville est la ville où je suis né.

    Christian Gambotti – Doit-on parler d’une culture africaine ou des cultures africaines ?

    Wakili Alafé –  Le panafricanisme est une idée qui a pu être, historiquement, fédératrice et nourrir l’impression qu’il existe une culture africaine. L’Afrique est plurielle avec 54 États et, selon une liste non-exhaustive, avec 2000 à 3000 ethnies. La diversité des cultures africaines est une réalité, chaque culture étant un facteur de différenciation. Le rôle de la JMCA est de faire de ces différences le ciment d’une unité continentale et universelle. Il existe des points communs musicaux dans toutes les cultures, notamment les percussions qui sont de véritables éléments d’unification transnationaux.

    Christian GAMBOTTI –  Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage –  Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@agriquepartage.org

    Réagir à l'article
    Recrutement ARSTM

    Publiés récemment

    Côte d’Ivoire : 280 milliards de FCFA pour entretenir les routes

    Côte d’Ivoire : 280 milliards de FCFA pour entretenir les routes


    Sily National de Guinée : Michel Dussuyer parle des défis à relever, de Serhou Guirassy et de la Côte d’Ivoire (Exclusif)

    Sily National de Guinée : Michel Dussuyer parle des défis à relever, de Serhou Guirassy et de la Côte d’Ivoire (Exclusif)


    Dabou : Adjé Silas Metch en tournée de remerciements

    Dabou : Adjé Silas Metch en tournée de remerciements


    Accusations de violences sexuelles contre les forces rwandaises en Centrafrique : un récit contesté

    Accusations de violences sexuelles contre les forces rwandaises en Centrafrique : un récit contesté


    Branding Licensing Africa 2024 : le premier salon dédié aux licences de marque en Afrique à Abidjan

    Branding Licensing Africa 2024 : le premier salon dédié aux licences de marque en Afrique à Abidjan


    Lu pour vous by CoolBee Ouattara « L’Itinerant » de Tiburce Koffi || L’énigme

    Lu pour vous by CoolBee Ouattara « L’Itinerant » de Tiburce Koffi || L’énigme



    À lire aussi