À la question de savoir si la présence d’un fidèle musulman ou chrétien (croyant en un Dieu Unique) sur un lieu de libation n’est-elle pas en contraction avec sa foi, le recteur de la mosquée Salam du Plateau (Abidjan, Côte d’Ivoire), Imam Cissé Djiguiba est formel : « cela ne l’engage en rien ». L’abbé Landry Gbaka-Bredé, prêtre, professeur à l’UCAO, lui emboîte le pas : « Je ne pense pas, il faut dissocier le cultuel du culturel, deux réalités différentes ». Nos deux hommes de Dieu se rejoignent à nouveau, sur le respect que le fidèle musulman ou chrétien doit vis-à-vis de tout autre pratique. Ici, le choix de la libation est un simple alibi pour vous faire prendre conscience de l’Afrique dans sa dimension surnaturelle à laquelle nous invite Suzel Grié-Hazoumé à travers Murmures. Vous en êtes avertis, nous sommes dans le surnaturel.
L’Afrique a ses croyances, ses divinités, qu’aucun africain quelque soit son appartenance spirituelle (musulman, chrétien, bouddhiste…) ne saurait ignorer. Le mystère tire toute sa force dans son inaccessibilité, son insaisissabilité. Chercher à savoir si telle histoire est un mythe ou une réalité peut être consécutif d’ennuis. Il va de soit.
Kwessi, doctorant en anthropologie établi en France, ramène un cadeau à sa compagne, lors d’un voyage au Congo. Celle-ci est friande d’objets hors du commun. Le cadeau en question est un objet coloré et scintillant. C’est une pierre. Kwessi l’a trouvée au cœur de la forêt équatoriale du Congo sans se douter que de cette trouvaille découlerait un lot de drames et d’évènements insaisissables. Il apprend à ses dépens que la convoitise et la curiosité sont des désirs condamnateurs et destructeurs. De même, que l’ignorance ou la non-croyance en une pratique n’exclut pas le respect. Il est bon de savoir que la profanation d’un lieu sacré même sans écriteau pour démontrer sa sacralité, n’est pas sans conséquence.
Cette pierre est sacrée. Kwessi l’ignore. Elle appartient aux esprits de la forêt du Congo. La pierre murmure un mot et un seul « Ajaaaa ». Toute personne qui l’entend n’a qu’un laps de temps pour comprendre sa signification. Après cela, c’est le trou noir. Est-ce une incantation ? Cette pierre change de couleur au gré des moments de la journée ; jaune et fuchsia le matin et sombre le soir.
La pierre ayant été volée, les esprits sont prêts à tout pour faire payer l’acte au voleur. Les esprits déferlent leur colère là où la pierre se trouve et surtout sur la personne qui la détient.
L’Afrique est foncièrement attachée à ses traditions, ses us et coutumes : Un rituel négligé, une permission non demandée ou un objet déplacé, des actes à première vue anodins, peuvent conduire à des conséquences désastreuses.
De ce fait, croyant ou pas, ne devons-nous pas respect aux règles, traditions et coutumes de la communauté que nous intégrons ? Le recteur de la Mosquée Salam, au cours de notre entretien téléphonique revient sur un fait du Prophète de l’Islam. Des chrétiens, viennent auprès lui afin d’en savoir plus sur cette religion dont les gens parlent tant. La rencontre a lieu dans une Mosquée. À un moment des échanges, les chrétiens lui demandent la permission pour accomplir leur prière à l’extérieur. Le prophète accepte. Mieux, il leur propose de la faire sur place, dans la Mosquée. Est-ce pour autant, le Prophète Mohammad est-il responsable de leur croyance ?
Les croyances font partie intégrante de l’Afrique et sont souvent rattachées à des objets ou à des lieux. Déranger leur quiétude ou leur voler des objets peut avoir des conséquences négatives : folie, maladie, mort…Alors sans forcément y croire, respectons leur existence car le monde des esprits et le nôtre s’entremêlent. Tel est le message de « Haz-ié » le pseudonyme de Suzel.
Une telle allégorie écrite par une jeune femme de 24 ans est la preuve qu’ « aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années. ».
Murmures Suzel, Grié-Hazoumé. Les Classiques africains, Mai 2024.
Avec la contribution d’Affiba Muriel Kodjo