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    Maroc : quand les lentilles cessent d’être le plat des « pauvres »

    Maroc : quand les lentilles cessent d’être le plat des « pauvres »
    Publié le
    Par
    Charles Kouassi
    Lecture 4 minutes
    Salon des banques de l'UEMOA et des PME

    Alors que le prix des lentilles a quasiment triplé ces derniers temps, le gouvernement tente d’absorber le mécontentement populaire en mettant cette hausse sur le compte de l’augmentation des cours sur le marché mondial, et le recul de la production nationale de 66% en raison de la sécheresse. Mais, peut-on se contenter de telles explications ?

    Certes, il y a une conjoncture défavorable avec la forte baisse des stocks au Canada, premier producteur et exportateur mondial de lentilles, mais le recul de la production nationale, au demeurant réel, n’est pas un argument qui pèse trop dans la balance, pour la simple raison que la production nationale est faible depuis deux décennies déjà. Cela laisse penser qu’au delà de la conjoncture, les autorités responsables devraient reconnaître et dire la vérité aux Marocains, à savoir que le problème est plutôt structurel et renvoie aux dysfonctionnements de la filière des légumineuses en général, et celle des lentilles en particulier.

    A ce propos, notons que si le Maroc subit aujourd’hui la volatilité des cours sur le marché international, c’est parce que depuis les années 90 il est devenu quasiment un importateur net. Mais, comment a-t-on basculé dans la dépendance et la non-compétitivité ? Principalement à cause de la politique étatique, depuis les années 70, privilégiant la production de blé tendre pour garantir l’approvisionnement en pain. Il n’est pas question de renier l’importance de cette denrée pour les Marocains, mais il n’était pas nécessaire non plus de sacrifier complètement la diversification de la production en se focalisant uniquement sur la culture céréalière. Rien n’empêchait, par exemple, de cultiver les légumineuses en alternance avec les céréales. C’est même recommandé car ça permet de réduire la dégradation des sols en y fixant l’azote de l’atmosphère. Mieux encore, les légumineuses constituent un substitut aux fertilisants, permettant de réduire le coût de production jugé élevé dans cette filière car elle exige beaucoup de main-d’œuvre pour lutter contre les mauvaises herbes.

    Mais cette non compétitivité n’est pas une excuse car il aurait été possible d’y remédier en introduisant des semences mécanisables au niveau de leur récolte, contrairement aux actuelles variétés qui exigent une main-d’œuvre abondante. A ce propos, je crois savoir que l’INRA (Institut National pour la Recherche Agronomique) est en train de développer de nouvelles semences mais il va falloir attendre encore 4 à 5 ans avant d’en avoir des quantités suffisantes pour relancer la production nationale. Le fait que l’INRA ait le monopole en tant que fournisseur national des semences limite la disponibilité de l’offre. Peut-être que si l’on ouvre le marché des semences aux opérateurs privés, il sera possible d’accélérer la cadence de la multiplication des semences pour mieux approvisionner le marché national.

    Ces carences dont souffre la filière des lentilles trouvent écho dans la non compétitivité de la production locale et son insuffisance pour répondre à la demande nationale. Celle-ci couvre à peine 10% des besoins domestiques. Et le reste ? Normalement il devrait être assuré par les importations, mais avec une taxe douanière de 50%, plus 20% de TVA, les importations ne sont plus compétitives, d’où leur recul ces dernières années. Ainsi, les importations de lentilles ont été divisées quasiment par trois depuis 2009. Certes, le gouvernement a enfin compris que de telles taxes étaient une aberration, mais il n’a décidé que de les suspendre jusqu’au juin 2017. Un peu ce qu’il a fait au mois de mars dernier. D’ailleurs, si les prix sont repartis à la hausse ces deniers mois c’est parce que le précédent décret avait expiré en juillet dernier. Il est temps de supprimer ces taxes une fois pour toutes afin de préserver le pouvoir d’achat des Marocains. D’aucuns diront que c’est pour protéger la production locale. Si c’était le cas ça se saurait. La production nationale n’a jamais réussi à se développer puisque la meilleure récolte ne dépasse pas les 1500 tonnes. Et aujourd’hui, les besoins des Marocains en lentilles, sont satisfaits à 90% par la contrebande.

    En ne supprimant pas les taxes à l’importation de produits dont l’offre nationale est déficitaire, le gouvernement est en train de se tromper de cible, ce qui risque de condamner plusieurs filières à la disparition car au-delà des lentilles, d’autres produits souffrent de ce niveau injustifié de droits à l’importation, notamment le poivre, le paprika, les raisins secs, le coco râpé, les pois cassés et le riz pour ne citer que ceux-ci.

    Ainsi, en voulant préserver la production locale contre les importations étrangères, on ne fait que la sacrifier en faveur de la contrebande. Dès lors, la solution à moyen et à long terme est de développer une offre nationale compétitive pour préserver la diversification de la production agricole. Cela passe par la levée de tous les obstacles se dressant sur le chemin de ceux qui voudraient développer cette filière qu’il s’agisse de fiscalité injuste ou de procédures anormalement contraignantes. Faute de quoi les lentilles et d’autres légumineuses, longtemps considérés comme aliments des pauvres, deviendront un plat de riches.

    Hicham El Moussaoui, Maitre de conférences en économie à l’université Sultan Moulay Slimane (Maroc)
    Article publié en collaboration avec Libre Afrique.

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