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Chronique du lundi – Le premier sommet « Arabie-Saoudite – Afrique » : un sommet annulé pourtant utile – Les Chefs d’Etat africains ne se seront pas déplacés pour rien

Chronique du lundi – Le premier sommet « Arabie-Saoudite – Afrique » : un sommet annulé pourtant utile – Les Chefs d’Etat africains ne se seront pas déplacés pour rien
Publié le
Par
Christian Gambotti
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Alors que de nombreux participants étaient déjà arrivés à Riyad, ce Sommet Arabie saoudite–Afrique, prévu le 11 novembre 2023, a été reporté pour des raisons directement liées à la guerre à Gaza. Ce report n’a pas entrainé l’annulation des grands rendez-vous bilatéraux, les principaux accords étant signés dans le cadre de rencontres restreintes. 

Le magazine Jeune Afrique indique que « sur le plan économique, douze pays africains (Angola, Bénin, Burkina Faso, Burundi, Cap-Vert, Guinée, Malawi, Mozambique, Niger, Sierra Leone, Rwanda et Tanzanie) ont signé, la veille de l’ouverture du sommet, quatorze accords de prêt avec le Fonds saoudien pour le développement. » 

Le royaume saoudien sait qu’il existe 54 Etats souverains en Afrique avec, pour chaque dirigeant, un agenda propre et des priorités différentes. D’où l’importance des accords bilatéraux. Le Prince héritier, Mohammed Ben Salmane, prend ainsi date pour consolider sa stratégie et définir une politique africaine actuellement en devenir.

Une Afrique désormais courtisée

J’avais publié, dans L’Intelligent d’Abidjan,  plusieurs chroniques sur les « nouveaux amis » de l’Afrique et la multiplication des Sommets qui rythment les relations de l’Afrique avec le reste du monde : le traditionnel Sommet France-Afrique devenu, par une sorte de révolution sémantique, un Afrique-France, mais aussi le Chine-Afrique, le Russie-Afrique, le Japon-Afrique, le Turquie-Afrique, le Etats-Unis-Afrique, etc.  Vient s’ajouter le dernier-né de ces Sommets, le « Arabie saoudite-Afrique » qui devait se tenir à Riyad, le 11 novembre 2023. 

Dans son Livre « AfricaFrance – Quand les dirigeants africains deviennent les maîtres du jeu » (Ed. Fayard), Antoine Glaser fait justement remarquer que « le monde entier trépigne » dans les salles d’attente des dirigeants africains, attendant d’être reçu. Sans véritablement inverser les rapports de dépendance avec les puissances étrangères, l’Afrique, autrefois oubliée, marginalisée, est, aujourd’hui courtisée par la planète entière, car elle représente un formidable enjeu géoéconomique, géopolitique et géostratégique. 

Elle est entrée de plain-pied dans la mondialisation et elle participe aux dynamiques nouvelles des relations internationales en ayant la capacité de choisir ses partenaires. C’est une bonne chose. Il appartient à l’Afrique de maîtriser ses relations avec ses « amis », anciens ou nouveau, car, derrière le thème officiel de chaque Sommet, le plus souvent un thème économique, se cachent des sujets politiques, mais aussi culturels et religieux, voire civilisationnels. 

Le Sommet Arabie saoudite-Afrique s’organise sur un thème en apparence neutre : « Développement et prospérité : agriculture, éducation, santé et aide humanitaire ». Mais, il faut lire, en filigrane, des sujets très politiques, comme le fait Clez dans son dessin : « Distribue leur des drapeaux saoudiens pour leurs ronds-points… là où les drapeaux russes n’ont pas pris toute la place ». 

Il faudrait ajouter « là où les drapeaux chinois ou occidentaux n’ont pas pris toute la place. » L’Afrique est-elle en capacité de tirer parti de cette concurrence que se livrent sur son sol les puissances étrangères ? Je le crois, à une seule condition : dans le nouvel ordre mondial qui se dessine, elle doit refuser d’être assignée à un camp, une idéologie ou une religion.

Le Sommet « Arabie saoudite-Afrique : économie, politique et religion

Ce Sommet « Arabie saoudite–Afrique », malgré son annulation, a été, pour la puissance wahhabite, l’occasion de développer un soft power politique et religieux. Derrière la façade d’un thème consensuel économico-humanitaire, ce genre de Sommet vaut pour les relations bilatérales qui se nouent en coulisses. Partout dans monde, notamment en Afrique, l’Arabie saoudite a pris du retard sur le Qatar, qui est devenu, depuis une vingtaine d’années, un pays qui compte sur la scène internationale.

 Le Qatar a multiplié l’ouverture de ses ambassades dans les pays africains. Grand producteur de gaz, le « petit » Qatar ne s’est pas contenté d’être une simple puissance énergétique, il s’est construit un destin de  puissance géopolitique. En Afrique, il a engagé un processus d’investissements à long terme. L’Arabie saoudite, son puissant voisin, ne pouvait pas être en reste  et se contenter de distiller un discret soft power fondé sur une diplomatie religieuse (construction de mosquées, formation d’imams et délivrance de visas pour le pèlerinage de La Mecque).  

Depuis une vingtaine d’années, la montée d’un jihad islamique  a conduit la communauté internationale à mettre, souvent, l’Arabie saoudite à l’index. Le Prince héritier, Mohammed Ben Salmane, a engagé le royaume saoudien dans un processus de normalisation globale de ses relations avec le monde. Sous son impulsion, le secrétariat d’État saoudien aux Affaires africaines a même conduit des médiations lors du conflit Ethiopie-Erythrée et dans la crise soudanaise. Comment s’implanter plus durablement en Afrique ?  En investissant dans l’économie du continent. Le moment est propice, car le monde s’oriente vers une conflictualité multipolaire inédite dans laquelle il faudra compter ses « amis ».

Ce premier  Sommet Arabie saoudite–Afrique avait prévu d’accueilli de nombreux Chefs d’Etat africains, depuis le président ivoirien Alassane Ouattara, une voix qui compte en Afrique et sur la scène internationale, jusqu’au président gabonais de transition Brice Clotaire Oligui Nguema, qui effectuait à cette occasion son tout premier déplacement hors du continent depuis son putsch militaire. 

Tous les chefs d’Etat africains annoncés à Ryad ne suivent pas la même feuille de route géoéconomique, géopolitique et géostratégique. L’Arabie saoudite le sait. C’est pour cela qu’elle a maintenu les rencontres bilatérales qui se sont déroulées en amont du Sommet. Les Chefs d’Etat africains ne se seront pas déplacés pour rien.

Désoccidentalisation de l’Afrique ?

L’Afrique est aujourd’hui en train d’écrire sa propre histoire, alors que cette histoire a été écrite, depuis la colonisation et au lendemain des indépendances, par des puissances étrangères. Un proverbe africain affirme que « tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse ne peuvent que chanter la gloire du chasseur. » Le temps est arrivé pour l’Afrique d’écrire aujourd’hui sa propre histoire et de tracer, de façon souveraine, les voies de l’Afrique de demain. Or, les pièges que lui tendent les ruses de l’Histoire sont nombreux. 

Suffit-il de remplacer l’ancien « chasseur occidental » par les « chasseurs russes, chinois, saoudiens, etc. » pour rendre justice aux lions ? L’Afrique, dans un contexte de multipolarité conflictuelle, est en train de se « désoccidentaliser ». Souhaite-telle, pour autant, renoncer aux partenariats avec l’Occident ? Je ne le crois pas. En revanche, elle voit se multiplier des offres nouvelles en matière de développement et de partage des valeurs. Rien n’interdit à chaque Etat souverain d’étudier ces offres. Quelle est la meilleure offre pour décider de la forme de l’économie et du pouvoir ? Quelle est la meilleure offre pour répondre aux aspirations des populations ? Je laisse au lecteur le libre-choix des réponses.

Christian GAMBOTTI –  Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage –  Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact: cg@afriquepartage.org

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