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    Chronique du lundi – après la COP 28 et avant la COP 29, les pays africains doivent-ils renoncer à la manne des énergies fossiles ?

    Chronique du lundi – après la COP 28 et avant la COP 29, les pays africains doivent-ils renoncer à la manne des énergies fossiles ?
    Publié le
    Par
    Christian Gambotti
    Lecture 6 minutes

    L’Afrique ne doit avoir qu’une seule boussole : le développement, ce qui passe par l’exploitation des énergies fossiles. Les pays pétroliers et gaziers anciens et nouveaux, qui se trouvent dans toutes les régions de l’Afrique, n’entendent pas renoncer à cette manne. Quant aux ONG qui luttent contre le changement climatique, elles n’ont qu’un seul objectif : amener les Etats africains à renoncer à la manne des énergies fossiles.

    Plus de 300 ONG, à l’approche du Sommet africain du climat (Africa Climate Summit), qui s’est tenu à Nairobi, du 4 au 6 septembre 2023, ont fait part de leurs inquiétudes concernant l’ordre du jour de ce Sommet, qui, loin de programmer la disparition progressive des énergies fossiles, continue à privilégier les intérêts des multinationales et des pays occidentaux. Pour ces ONG, l’Afrique doit investir massivement dans les énergies renouvelables, afin de s’inscrire définitivement sur la trajectoire de la transition énergétique.

    Pour ma part, je partage les analyses de Jean-Baptiste Fressoz, l’historien de l’énergie, qui, dans son livre « Sans transition. Une nouvelle histoire de l’énergie » (Ed. du Seuil, janvier 2024), considère que la transition énergétique n’aura pas lieu. Fressoz dénonce le narratif d’une écologie qui minimise les difficultés qui existent pour sortir rapidement des énergies fossiles.

    Fressoz dit justement que tout narratif de la transition est d’abord le narratif d’une époque : « le discours de la transition est d’abord un discours de « l’âge » : l’âge du charbon, l’âge de la vapeur, l’âge de l’électricité, l’âge du pétrole. C’est un discours classique de promotion industrielle. Cela permet de situer une nouvelle technologie dans la grande fresque de l’humanité »

    Les politiques se sont emparés du narratif de la transition énergétique, le marxisme productiviste étant remplacé par l’écologie politique, ce qui est plus valorisant. L’objectif d’un monde « zéro carbone » en 2050 reste un fantasme. Là où les analyses de Fressoz ouvrent le champ d’une controverse, c’est qu’il n’existe pour lui qu’un seul chemin pour lutter efficacement contre la crise climatique, celui de la sobriété et de la décroissance : « Le solaire va coûter très peu cher.

    Mais si c’est pour faire rouler des voitures électriques en masse qui, elles, ne sont pas du tout décarbonées, ça ne change pas le problème. On va faire des avions à hydrogène zéro carbone, forcément, la population a envie de le croire. C’est très attirant comme perspective. Mais (…) on ne fera jamais de sobriété. »

    La COP 28 de Dubaï a demandé à l’Afrique de renoncer à exploiter ses énergies fossiles. Cette demande sera à nouveau martelée à Baku, en décembre 2024, lors de la COP 29. Peut-on sérieusement demander à l’Afrique de renoncer à la croissance ? Peut-on demander à des populations, qui n’ont rien, de vivre dans la sobriété ?

    Décroissance et sobriété sont des idéologies de pays riches. Ce ne sont pas des chemins pour un continent dont la croissance démographique est supérieure à la croissance économique. Deux chiffres : il y aura, en 2100, plus de Congolais que d’Américains sur la planète ; la population africaine passera de 1,5 milliard en 2024 à 4 milliards en 2100, soit 37% de la population mondiale.

    Renoncer aux énergies fossiles ? Le « non » catégorique des Etats africains

    Depuis la colonisation et au lendemain des indépendances, il a été demandé à l’Afrique de renoncer à tout : son identité, son indépendance, sa souveraineté et le droit d’exploiter à son profit ses richesses naturelles.

    Aujourd’hui, tous les pays africains producteurs de pétrole et de gaz ne sont pas disposés à renoncer aux énergies fossiles pour 3 raisons : 1) la souveraineté nationale, consacrée par le droit international, implique que chaque pays est en droit d’exploiter ses ressources naturelles 2) le potentiel de l’Afrique dans le domaine de la production de pétrole et de gaz est très important 3) les hydrocarbures sont à la fois le moteur et l’accélérateur de la croissance économique et du développement social, car ils participent grandement aux PIB nationaux et aux recettes fiscales.

    Aujourd’hui, des Etats africains comme le Gabon cherchent à relancer leur industrie pétrolière et à attirer des investissements étrangers dans le secteur des hydrocarbures ; des Etats comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire, en passe de devenir des pays pétroliers ou gaziers, favorisent les projets d’exploration de nouveaux gisements. Ce qu’il y a de nouveau, c’est que les pays africains, à travers leurs compagnies pétrolières nationales, cherchent à se réapproprier leur industrie des hydrocarbures.

    Le Gabon du général Oligui Nguema se « réapproprie » une partie de son pétrole en nationalisant la société Assala Energy. Le régime de transition entend ainsi bénéficier des retombées économiques de l’or noir, dont les revenus ont été accaparés pendant des décennies par un clan. « C’est sans conteste une forme d’affirmation de notre souveraineté. (…) Le Gabon vient de se réapproprier, soixante-sept ans après [la première exportation d’or noir], une part importante de son pétrole. [Cela] nous permet désormais de produire 25% de notre production nationale », a déclaré Brice Oligui Nguema.

    Le président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye s’est engagé dans un processus d’audit et de révision des contrats pétroliers et gaziers. Le gouvernement ivoirien, à travers une gestion optimale et transparente, tient à bénéficier des retombées économiques de l’activité pétrolière du pays après la découverte des gisements de gaz naturel et de pétrole léger dans son bassin sédimentaire offshore.

    Ces choix, qui viennent s’opposer frontalement au discours de l’abandon des énergies fossiles, seront défendus par les dirigeants africains lors de la COP 29. L’Afrique, de l’Afrique de l’Ouest à l’Afrique centrale et l’Afrique australe (une zone au profil plus gazier que pétrolier), recèle de futurs producteurs importants de pétrole et de gaz : le Niger, la Mauritanie, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, l’Ouganda, le Mozambique, la Tanzanie, la Namibie.

    Le nombre de pays africains exportateurs de GNL est en constante augmentation. En Côte d’Ivoire, la découverte du champ géant offshore Baleine, annoncée le 1er septembre 2021 par le groupe italien Eni, va permettre au pays une montée en puissance dans l’écosystème mondial des hydrocarbures Les urgences climatiques ne sont pas oubliées par les autorités ivoiriennes : Eni et son partenaire Petroci, la compagnie pétrolière nationale de la Côte d’Ivoirien, veulent faire de Baleine le premier projet pétrolier et gazier africain neutre en carbone.

    Il est évident que les grandes compagnies pétrolières internationales continuent de jouer un rôle-clé dans tous ces projets (Eni, TotalEnergies, Shell, ExxonMobil et BP). Certes, elles investissent, mais elles y trouvent leur intérêt. Aux Etats africains de défendre, face aux multinationales étrangères, leurs intérêts. Une chose est certaine, les Etats africains et les géants pétroliers mondiaux sont en train de renforcer leur coopération pour répondre à la demande de plus en plus grande de pétrole et de gaz, ce qui ne manquera pas d’être dénoncé par les ONG, lors de la COP 29.

    L’Afrique répondra qu’elle est le continent qui subit le plus l’impact négatif des crises climatiques (hausse des températures, sécheresse, inondations, dégradation des terres, risque de famine), alors qu’elle n’est responsable que pour un  peu moins de 4 % (chiffre de 2022) des émissions mondiales de CO2 provenant de l’utilisation de combustibles fossiles.

    Christian GAMBOTTI – Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@afriquepartage.org

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