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Maroc : l’avenir sera laïque ou ne le sera pas !

Maroc : l’avenir sera laïque ou ne le sera pas !
Publié le
Par
Charles Kouassi
Lecture 6 minutes

Le rejet récent par le Maroc des recommandations du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU portant sur la dépénalisation de certaines libertés individuelles, témoigne d’un refus dogmatique du régime de s’engager sur la voie de la sécularisation. Bien sur le clivage entre modernistes et conservateurs sur la question ne date pas d’hier, mais le débat refait surface à chaque nouvel incident, témoin à charge contre le Statu quo actuel nécessitant d’être reconsidéré. Pourquoi le Maroc devrait de se laïciser ?

Une condition de la démocratie

Au nom d’une spécificité arabo-musulmane mythifiée, l’Etat rejette et diabolise même la laïcité, y voyant une atteinte aux « constantes fédératrices » du royaume. Or, et pour que l’option démocratique l’emporte au Maroc, la laïcité est une condition sine qua non. Et si d’un point de vue historique, toutes les dynasties qui y ont régné ont dû assoir leur pouvoir sur une certaine légitimité religieuse (dont la descendance chérifienne), l’exercice de la démocratie reposant fondamentalement sur la distinction entre sphère publique et sphère privée, devrait pousser le régime – s’il veut véritablement transiter vers celle-ci – à se laïciser et assoir sa légitimé cette fois-ci sur l’idée de citoyenneté prééminente sur les différentes identités religieuses, ethniques ou autres.

A l’aune de deux exemples de libertés élémentaires ailleurs, mais auxquelles on aspire toujours au Maroc (liberté sexuelle et liberté de conscience), nous allons voir que nombre d’arguments militent en la faveur d’une laïcité urgente.

L’islam laïque par essence

D’abord, et n’en déplaise aux conservateurs, l’islam est né laïque car il est basé sur la responsabilité, laquelle suppose et exige la liberté de choix. Le Coran c’est l’appel à la raison, donc à la laïcité, mais le conservatisme arabe-tribal s’est imposé pour restreindre cette liberté portée par le message originel de l’Islam. Le prophète ne faisait pas la chasse aux juifs, chrétiens, athées. La liberté de conscience est la règle en islam. Elle découle d’un verset clair du Coran (« la ikraha fi dine », i.e. nulle contrainte en religion), lequel n’incrimine nullement l’apostasie. Seul un hadith discutable et aisément réfutable, sera à la base de cette fausse controverse entre comptabilité entre l’islam et la laïcité. L’islam est in fine une théologie rationnelle, ayant pour fer de lance le libre arbitre de l’Homme.

Pas d’amalgame entre laïcité et athéisme

Ensuite, d’un point de vue juridique et notionnel, il faut battre en brèche l’amalgame qui est fait entre laïcité et athéisme (quand bien même ce dernier est un choix spirituel et se doit d’être respecté). Que le Maroc devienne laïcisé ne signifie point abandon de la composante religieuse mais une garantie que toutes les religions seront respectées et que l’Etat s’en tiendra à la neutralité sur ce point. Le caractère absolutiste et expansionniste de toute religion la rend problématique dans l’espace public et politique car elle devient une source d’irrationalité et de division. D’où la nécessité de la contenir à l’espace privé pour justement préserver la liberté des uns et des autres et in fine le vivre ensemble. Cela implique, du fait du caractère polysémique du Coran que l’on ne doit donc en imposer une seule interprétation (en l’occurrence celle qui arrange le pouvoir et le patriarcat) ; de même que l’idée de majorité confessionnelle (musulmane dans le cas marocain) est incompatible avec un modèle démocratique où les citoyens doivent être égaux (ne pas être musulman ne signifie pas ne plus être citoyen). Il s’en suit que le concept de religion d’Etat devient caduc, une démocratie digne de ce nom ne peut confondre citoyenneté et croyance, et transformer le citoyen en « soldat » de sa religion. La vie publique ne peut être gouvernée par des dogmes religieux sacrés, et le citoyen contemporain n’est plus prédisposé à consommer à outrance du religieux, du divin, du surnaturel… ni à voir la loi s’immiscer dans son lit ou sur sa table. Une conscience est forcément individuelle et relève de l’intimité de chacun. Ceci d’autant plus que cette même loi qui se veut garante de la spiritualité des citoyens, fait bizarrement échapper à la « religion » des domaines comme le droit bancaire et le droit commercial (notamment et surtout le commerce de l’alcool), ce qui illustre parfaitement une hypocrisie structurelle. Une “semi-sécularisation” ou “laïcité en sursis” ne cadre plus avec la réalité sur terrain.

La réalité doit primer sur la loi

Enfin, et en effet, tout dans les faits prouve que les Marocains outrepassent tout le temps les interdits de sorte qu’un décalage s’est installé entre la loi et les pratiques en société, quand bien même cette loi devrait suivre l’évolution sociétale et non favoriser une distorsion entre le dire et le faire. La notion de « fassade » (débauche) telle qu’incriminée par le code pénal (articles 489, 490, 491) en devient archaïque et dépassée. L’abstinence sexuelle recherchée par les textes est une utopie, la pratique sexuelle prospère et l’Etat devrait arrêter ce déni et adapter ses lois. Le « façonnage » des valeurs, de la morale, ne devait pas relever des attributions de l’Etat. C’est l’éducation dans les familles, dans les structures de socialisation (société civile), les structures de formation (écoles, universités, etc.), mais aussi les médias qui pourraient s’en occuper de manière saine et plus efficace, et non pas des lois et des brigades de mœurs.

Somme toute, en se sécularisant, le régime gagnera en intégrité et en crédibilité (conformité à la réalité, respect des engagements internationaux souscrits) ; instaurera un vivre-ensemble sain ; délimitera la portée de certains fléaux (e.g. viols, extrémisme) et remplira l’une des conditions à vérifier pour sa démocratisation. Loin de nous l’idée d’établir une supériorité de la laïcité sur la religion ou l’inverse. Aucune dogmatisation n’est permise. La laïcité est le meilleur serviteur de la religion. L’Etat – et au lieu de se soucier de la fabrication de croyants pieux – devrait plutôt garantir à ses citoyens l’exercice de tous les droits et libertés universellement reconnus. L’enseignement et le statut personnel ne doivent plus relever de son ressort. L’enseignement en particulier, sera la porte d’entrée de la laïcité. L’école devrait être un milieu de transmission de savoirs scientifiques objectifs et de valeurs humanistes. Les contenus confessionnels devraient être supprimés, sinon rendus facultatifs mais accompagnés de l’enseignement de l’histoire comparée des religions et de l’anthropologie entre autres.

Asmâa Bassouri, doctorante en droit international, Université Cadi Ayyad Marrakech (Maroc)
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.

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