Le 21 novembre 2022, lors d’une conférence de presse, le Premier ministre ivoirien, Patrick Achi, a dressé le bilan des actions gouvernementales de 2022. Patrick Achi a d’abord rappelé les 5 grandes priorités d’action de son gouvernement qui ont donné lieu, pour chaque ministère, à l’établissement d’une feuille de route qui servira à l’évaluation de l’action publique. Le renforcement de la cohésion sociale et la préservation d’un climat de paix constituent la boussole de l’action gouvernementale.
La cohésion sociale signifie une croissance plus inclusive et un meilleur partage des richesses. Le climat de paix suppose la consolidation de la stabilité politique. Rien n’est possible en effet sans création de richesses et stabilité politique, deux préalables incontournables afin de garantir la poursuite de la transformation socio-économique en cours dans le pays depuis 2011. La 5e vague du Dialogue Politique, approuvée par l’ensemble des partis, a permis de pacifier le climat politique et consolider la réconciliation nationale toujours en cours.
Autre priorité : garantir de la sécurité des Ivoiriens. Patrick Achi a rappelé que le gouvernement entend poursuivre les actions de renforcement des forces de sécurité et de défense, accélérer les projets de développement communautaire au Nord, dans le cadre du programme spécial de lutte contre la fragilité dans les zones frontalières du nord, en réponse à la menace terroriste et à la criminalité organisée qui se répandent dans toute l’Afrique de l’Ouest.
Dans le droit fil de la philosophie politique du Père de la nation, Félix Houphouët-Boigny, et des grandes orientations des politiques publiques voulues par Alassane Ouattara, Patrick Achi, qui assume de conduire les réformes néolibérales nécessaires afin d’assurer le développement du secteur privé, – aujourd’hui, la croissance ivoirienne repose essentiellement sur l’investissement public -, sait que la performance économique ne peut pas être détachée de la performance sociale, mais aussi de la performance environnementale si l’on veut lutter efficacement contre le réchauffement climatique.
Pour les observateurs et les bailleurs de fonds, tous les voyants de la décennie Ouattara (2011-2021) sont au vert, excepté dans deux domaines : une croissance qui n’est pas suffisamment inclusive et des fractures territoriales qui perdurent. Si la Côte d’Ivoire a connu, jusqu’à la crise sanitaire de la Covid 19, la plus forte croissance du continent, son taux de pauvreté n’a que faiblement reculé, passant de 48,9% à 46,3%, les retombées économiques et sociales restent insuffisantes pour de nombreux Ivoiriens, en particulier les franges les plus pauvres de la population. La question qui se pose est alors la suivante : à quelles conditions la croissance ivoirienne peut-elle bénéficier à tous?
Parmi les réponses largement documentées, – comme la place du secteur privé dans la création d’emplois et des chaînes de valeurs, et un plan social des plus hardis -, figure une réponse essentielle apportée par Patrick Achi : une politique soutenue d’aménagement du territoire, ce qui suppose la consécration de capitales régionales (San Pedro, Bouaké, Yamoussoukro, Korhogo, etc.) et la maîtrise du phénomène de métropolisation. L’attractivité des métropoles attirent les investisseurs et les populations en recherche d’emplois et d’accès aux services de base. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire reste au défi de l’aménagement du territoire
Une politique soutenue d’aménagement du territoire
La lecture du dictionnaire nous apprend que « l’aménagement du territoire consiste, par une action volontariste de l’État, à répartir harmonieusement sur le territoire national les hommes, les activités, les outils d’éducation, les infrastructures de transport. Cette politique s’inscrit donc en opposition avec les lois économiques du simple jeu de marché. Elle se veut correctrice des déséquilibres géographiques, entre régions, entre villes et campagnes, entre zones dynamiques et zones déshéritées. »
On retiendra de cette définition « une action volontariste de l’Etat » et une répartition « harmonieusement » sur l’ensemble du territoire des activités, des infrastructures économiques et sociales et des hommes, afin de a) favoriser l’intégration de toutes les régions dans le développement national b) accélérer les échanges régionaux.
Une stratégie consacre l’action volontariste de l’Etat : la planification, qui relève d’une logique colbertiste. Or, la planification décidée au sommet de l’Etat se heurte à une réalité nouvelle : la décentralisation et un appel au développement territorial. On constate alors que l’appel à l’initiative privée et l’initiative publique locale se traduit par l’éclatement des projets portés par des dizaines d’acteurs. Des enjeux stratégiques nécessaires conduisent à un retour d’une politique soutenue d’aménagement du territoire, c’est ce qu’a tenu à souligner le Premier ministre Patrick Achi, lors de sa conférence de presse. La nomination de ministres-gouverneurs pour gérer les 14 Districts de la Côte d’Ivoire, un acte politique, vise à donner plus de cohérence à la politique d’aménagement du territoire.
Pour répondre à ces enjeux stratégiques, combinés à des enjeux démographiques, d’importants investissements ont été réalisés par le gouvernement pour le développement d’infrastructures : le corridor autoroutier Abidjan-Lagos, le projet d’aménagement routier entre le Mali et la Côte d’Ivoire, etc. La consécration de capitales régionales doit se traduire par le développement de pôles d’attractivité en lien avec la spécificité de chaque territoire. Pour Patrick Achi, ces pôles d’attractivités « devront disposer demain d’universités, d’hôpitaux de référence, de zones industrielles, d’une voirie de qualité pour jouer leur rôle moteur pour tirer la croissance de pays et pour son attractivité régionale et nationale, essentiel pour désengorger Abidjan et assurer une chance égale de prospérité à chaque Ivoirien, où qu’il se trouve où qu’il naisse et vive dans notre si beau pays !»
Un projet emblématique : le métro d’Abidjan
Le Premier ministre a demandé à chaque acteur de la société, à chaque décideur public et privé, de bien prendre la mesure de ce que représente, en matière d’aménagement du territoire, le métro d’Abidjan, un projet de réseau ferroviaire de transport urbain qui desservira l’agglomération d’Abidjan et dont l’entrée en service est prévue en 2026. Un tel projet, qui vise à désenclaver Abidjan, a nécessairement un impact qui va bien au-delà de la libération des 13.448 emprises sur l’ensemble du tracé de 37,4 km du nord au sud. C’est à une transformation complète des territoires sur laquelle il faut déjà réfléchir ainsi qu’à une analyse spatiale de la dynamique urbaine.
L’attractivité d’Abidjan, capitale économique du pays depuis 1934, contribue encore fortement au déséquilibre du développement du pays, plus de 60 ans après son indépendance. Mégapole formée d’une agglomération de dix communes étalées sur une superficie de 395 hectares, avec plus de 5 515 000 habitants, le District d’Abidjan représente 60 % du PIB de la Côte d’Ivoire. La ville réunit l’essentiel de l’activité industrielle du pays et polarise seize communes de différentes tailles autour d’elle, dont une première couronne constituée par Grand-Bassam, Dabou, Anyama, Bingerville. La création du métro d’Abidjan doit conduire à une transformation structurelle de ces communes, des villes de la deuxième couronne et des territoires.
L’aménagement du territoire est une question politique et non une question technique. Le processus de cohésion nationale consiste à faire vivre ensemble des territoires spécifiques et des ethnies différentes à partir d’une vision commune dont l’une des traductions est la politique d’aménagement du territoire. Un pays développé suppose une forme de « continuum » qui se caractérise par une égalité et un rapprochement des modes de vie des territoires (accès à l’emploi, au logement, à l’éducation, à la santé, aux transports, au numérique, etc.).
Christian GAMBOTTI – Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches du l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@afriquepartage.org