Afrikipresse
    Afrique

    Chronique du lundi – Alors que l’Afrique se mondialise, la France tarde à comprendre que sa présence militaire sur le continent n’est plus acceptable

    Chronique du lundi – Alors que l’Afrique se mondialise, la France tarde à comprendre que sa présence militaire sur le continent n’est plus acceptable
    Publié le
    Par
    Christian Gambotti
    Lecture 6 minutes
    Salon des banques de l'UEMOA et des PME

    Enfermée dans une vision occidentalo-centrée, la France, ancienne puissance coloniale, ne comprend toujours pas que l’Afrique se mondialise et que le maître-mot est désormais, pour tous les Etats africains et la rue africaine, le mot de « souveraineté ». Depuis le coup d’Etat militaire au Mali, en août 2020, une analyse simpliste fait dire à certains observateurs que la France a été « chassée » du Mali, du Burkina Faso, du Niger, et, tout récemment, du Tchad et du Sénégal. Dire cela, c’est faire croire que la France était chez elle dans l’Afrique francophone et qu’elle pouvait y maintenir des bases militaires.

    La France oublie que de Gaulle prend la décision, en 1966, de quitter les organes militaires intégrés de l’OTAN, ce qui le conduit à demander le départ des troupes américaines. Ce départ a été anticipé par le gouvernement américain de sorte que, en moins d’un an, les Etats-Unis ne sont plus présents, en France, militairement. Je dis bien : « les Etats-Unis ne sont plus présents, en France, militairement. » Pour de Gaulle, qui répond à la demande de la rue française, la France retrouve ainsi sa pleine souveraineté et sa pleine capacité de décision en matière de sécurité.

    La France et les Etats-Unis restent pourtant de fidèles alliés. Trump, en nommant l’ambassadeur des Etats-Unis en France, lui assigne cette feuille de route : « renforcer le partenariat entre les Etats-Unis et la France, notre plus ancien allié et l’un de nos plus solides. » Je note le singulier : « notre plus ancien allié ». Je remarque aussi le pluriel : « l’un de nos plus solides. ». En Afrique francophone, la France n’a rien anticipé, tardant à fermer ses bases militaires, déplaçant ses soldats du Niger au Tchad, après le coup d’Etat militaire du 26 juillet 2023 qui renverse le président Mohamed Bazoum.

    L’intenable position du « en même temps »

    Depuis Nicolas Sarkozy et François Hollande, les présidents français ont toujours dit qu’ils allaient redessiner les relations entre la France et l’Afrique, notamment dans le domaine militaire.  La décision a bien été prise de réduire et de transformer les bases militaires françaises en Afrique, mais, et j’insiste sur ce point, tout en se maintenant militairement sur le continent. Cette décision correspond bien à l’idéologie du « en même temps » que défend Emmanuel Macron, pris entre les militaires français, favorables à leur maintien en Afrique, et de nombreux diplomates qui ont constamment alerté Paris sur l’impact négatif d’une présence militaire de plus en plus contestée par les États africains et la rue africaine. Comment ne pas voir que l’armée française, présente au Mali depuis janvier 2013, est passée du statut d’armée de libération à celui d’armée d’occupation jusqu’à son départ en août 2022.

    Emmanuel Macron s’est toujours contenté d’annoncer une « diminution visible des effectifs » dans des installations transformées, soit en académies, soit en bases gérées en partenariat avec des pays africains. L’idée n’est pas nouvelle, elle renvoie au concept Recamp (Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix) datant de 1997. Depuis 1997, l’ambiguïté de la présence militaire française en Afrique n’a jamais été levée. En 2023, Jean-Marie Bockel, « envoyé personnel » d’Emmanuel Macron sur le continent, déclarait : « Il faut rester [en Afrique], et bien sûr nous resterons ».

    Homme de gauche, ancien secrétaire d’État à la Coopération de Nicolas Sarkozy, Jean-Marie Bockel avait, publiquement, le 15 janvier 2008, demandé au président d’accentuer la fin de la Françafrique de Jacques Foccart, conformément à la promesse qui avait été faite. En février 2024, Emmanuel Macron le charge de redéfinir les dispositifs militaires français dans les quatre pays francophones abritant encore des bases (Sénégal, Tchad, Gabon et Côte d’Ivoire). De façon étonnante, Jean-Marie Bockel entretient le flou sur la présence militaire française en Afrique francophone. Aveuglement postcolonial ou naïveté d’un Etat français qui n’a pas vu la montée d’un réel sentiment anti-français dans ses anciennes colonies ?

    Après le retrait militaire du Mali, du Burkina Faso et du Niger, le Tchad a annoncé jeudi 28 novembre la fin de l’accord de coopération en matière de défense avec la France ; le même jour, le président sénégalais a évoqué, dans une interview, la fermeture des bases militaires françaises. Dans une Histoire qui s’accélère, sans entrer dans une analyse géopolitique qui montre que certains Etats se tournent vers Moscou après la rupture avec la France, les décisions des chefs d’Etat des pays sahéliens (Sénégal, Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad) répondent aux aspirations de la rue africaine et des jeunes générations.

    De plus en plus de chefs d’Etat africains considèrent qu’il s’agit de mettre fin à une atteinte inacceptable à la souveraineté de leur pays. La diplomatie tchadienne déclare que le temps est venu, pour le Tchad, « d’affirmer sa souveraineté pleine et entière, et de redéfinir ses partenariats stratégiques ». Mais, contrairement au Mali, au Burkina Faso et au Niger, le Tchad et le Sénégal affirment ne pas vouloir rompre avec Paris.

    Souverainisme, patriotisme, nationaliste : des idées qui progressent en Afrique

    Pour Niagalé Bagayoko (1), Docteure en science politique, spécialiste des politiques internationales de sécurité et de la réforme des systèmes de sécurité en Afrique de l’Ouest, « le souverainisme, le patriotisme et le nationalisme ont le vent en poupe en Afrique comme ailleurs ; ce sont des courants politiques qui progressent fortement dans les opinions, comme en témoigne, par exemple, aux Etats-Unis, la réélection de Donald Trump. »

    Il faut ajouter que cette présence militaire française alimente les discours complotistes dans deux domaines : le supposé pillage des ressources africaines et le soutien à certains chefs d’État. Les campagnes de désinformation organisées par des puissances étrangères jouent sur ces deux registres pour déstabiliser les gouvernements en place et affaiblir la France. Sur l’hypothèse du soutien apporté à certains chefs d’Etat africains, Emmanuel Macron a cherché à lever cette ambiguïté en déclarant : « la France n’est pas une assurance-vie au règlement des problèmes politiques des différents pays ».

    La France tarde-t-elle à comprendre que l’Afrique s’est mondialisée et que les Etats africains francophones, qui s’ouvrent à de nouveaux partenariats, ne regardent plus uniquement vers Paris ? Tarde-t-elle à comprendre qu’en Afrique, elle est concurrencée par tous les Etats, la Russie, la Chine, la Turquie, l’Iran, les monarchies pétrolières, les Etats-Unis et même les pays européens ? La France est moins naïve qu’on le croit dans ses relations avec l’Afrique subsaharienne.

    Si elle entend conserver des relations commerciales fortes avec des pays francophones, elle a, ces dernières années, renforcé ses liens avec plusieurs pays anglophones. Ses principaux partenaires commerciaux en Afrique sont désormais le Nigeria, l’Angola et l’Afrique du Sud, des pays qu’elle n’a jamais colonisés. Elle tarde simplement, en Afrique francophone, à découpler ses intérêts économiques d’une présence militaire qui n’est plus acceptable.

    __________________________

    (1) Niagalé Bagayoko, présidente du centre de recherche African Security Sector Network et directrice du programme Afrique de la FMES, entretien sur France 24, publié le 29/11/2024.

    Christian GAMBOTTI – Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@afriquepartage.org

    Réagir à l'article
    Recrutement ARSTM

    Publiés récemment

    Rencontre d’information sur le projet ENGORA : résultat de la cartographie des compétences de la diaspora.

    Rencontre d’information sur le projet ENGORA : résultat de la cartographie des compétences de la diaspora.


    Football-Ligue 1 ivoirienne : L’AFAD en avant, la RCA à reculons

    Football-Ligue 1 ivoirienne : L’AFAD en avant, la RCA à reculons


    Zelensky face aux scénarios de paix : Pourquoi l’Ukraine doit rejoindre l’OTAN 

    Zelensky face aux scénarios de paix : Pourquoi l’Ukraine doit rejoindre l’OTAN 


    District autonome du Denguélé : le schéma directeur d’aménagement et de développement du territoire (SDADT)adopté

    District autonome du Denguélé : le schéma directeur d’aménagement et de développement du territoire (SDADT)adopté


    Selab livestock show 2024 : Un rendez-vous réussi pour l’avenir de l’élevage en Côte d’Ivoire

    Selab livestock show 2024 : Un rendez-vous réussi pour l’avenir de l’élevage en Côte d’Ivoire


    Au-delà des retraits de l’armée française:  la vérité sur les relations économiques, France, Afrique et zone CFA

    Au-delà des retraits de l’armée française:  la vérité sur les relations économiques, France, Afrique et zone CFA



    À lire aussi