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    Chronique du lundi – La fin du vieux monde et de la vieille Afrique : une page nouvelle de l’histoire de l’Afrique est en train de s’écrire

    Chronique du lundi – La fin du vieux monde et de la vieille Afrique : une page nouvelle de l’histoire de l’Afrique est en train de s’écrire
    Publié le
    Par
    Christian Gambotti
    Lecture 6 minutes
    Salon des banques de l'UEMOA et des PME

    Des États africains en quête de souveraineté

    Le vieux monde est en train de disparaître et, avec lui, la vieille Afrique autrefois tournée vers les mêmes partenaires et soumise aux mêmes influences depuis la décolonisation. Aujourd’hui, tous les États s’ouvrent à de nouveaux partenariats, bien au-delà de la Chine devenue le premier partenaire commercial du continent, ou de la Russie, dont les visées impérialistes la conduisent à s’implanter au Sahel, ou, dans l’Afrique francophone, bien au-delà de la France, ancienne puissance coloniale, qui a « le profil du bouc émissaire idéal », selon l’ex-Premier ministre malien Moussa Mara.

    Des analyses simplistes entretiennent l’idée que la France est « chassée » de son ancien pré-carré francophone sahélien par des putschistes militaires qui se sont emparé du pouvoir (Mali, Burkina Faso, Niger) et qui se tournent vers Moscou. Il existe bien une rhétorique antifrançaise, amplifiée par les stratégies de désinformation savamment orchestrées par le Kremlin et qui saturent les réseaux sociaux.

    Cette rhétorique antifrançaise, cache une réalité beaucoup plus complexe et plus profonde : un vaste mouvement d’émancipation sur fond de souverainisme et de patriotisme submerge le continent. Récemment, la rétrocession des bases militaires françaises aux Etats tchadien, sénégalais et ivoirien est actée. L’Afrique s’ouvre désormais à toutes les influences et elle franchit une nouvelle étape dans la construction de sa propre histoire. C’est une bonne chose.

    La France n’a jamais pris la mesure des tensions politiques, diplomatiques, militaires et économiques en train de naître dans l’Afrique francophone. Avec un ministère des Affaires étrangères longtemps influencé par les militaires, Paris n’a jamais pris la mesure de ce souverainisme qui, depuis plusieurs années, se répand dans la rue africaine, influence les opinions publiques et modifie le rapport de l’Afrique au monde, notamment parmi les jeunes générations.

    Les dirigeants africains sont obligés de tenir compte de cette vague souverainiste et patriotique. Ces tensions expliquent l’épidémie des coups d’Etat militaires au Sahel depuis 2022, transformant la région en un vaste terrain de compétition entre des puissances étrangères. La situation au Sahel s’inscrit dans une dynamique plus large qui voit de nombreux Etats africains affirmer leur souveraineté. Le souverainisme et le patriotisme sont des valeurs qui retrouvent leur place dans l’Histoire contemporaine de l’Afrique.

    L’Afrique, qui a pris conscience de son poids géopolitique, géoéconomique et géostratégique, n’entend plus être reléguée en bout de table dans les organisations internationales et interdite de parole dans la conduite des affaires du monde. Elle se tourne vers des offres alternatives : Pékin, dont le métier est le commerce, pour assurer son développement ; Moscou, dont le métier est la guerre, pour assurer sa sécurité. Pékin et Moscou sont des partenaires autant incontournables que provisoires dans un nouveau cycle qui commence.

    Des dirigeants africains affichent leur rupture avec l’Occident en général ou la France en particulier. Ont-ils pour autant l’intention de se jeter aveuglément dans les bras de Poutine ou de Xi Jinping ? Souhaitent-ils ouvrir la boîte de Pandore d’une nouvelle « Guerre froide », libérant ainsi les ruses, les pièges et les malédictions d’une Histoire qui verrait s’affronter le « Sud global » et l’« Occident collectif » ? Je ne le crois pas. Le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a annoncé, mardi 31 décembre 2024, la fermeture de toutes les bases militaires étrangères au Sénégal dès 2025.

    Le président ivoirien Alassane Ouattara a aussi annoncé, le 31 décembre 2024, que la base militaire française d’Abidjan sera rétrocédée à la Côte d’Ivoire en janvier 2025. Ces décisions marquent un tournant majeur dans la politique de souverainisme et de diversification des partenariats que conduisent les Etats africains dans tous les domaines. Ne voir que la présence massive de la Chine en Afrique et l’arrivée brutale de la Russie à travers des proxys comme l’ex-Wagner, c’est ne pas comprendre ce qu’il se passe aujourd’hui sur le continent.

    Parmi les nouveaux partenaires du continent, les monarchies pétrolières du Golfe

    Alors que l’Afrique a longtemps été marginalisée, oubliée, les chefs d’Etat africains voient se précipiter chez eux la planète entière de la Turquie à l’Iran, de l’Inde au Japon, du Qatar à l’Arabie saoudite, etc. Parmi les Etats qui se précipitent en Afrique, on oublie les monarchies pétrolières du Golfe.

    Deux raisons expliquent l’offensive économique menée par les pays du Golfe en Afrique 1) la volonté des monarchies pétrolières de se diversifier, afin d’atténuer les risques liés à la forte dépendance de leurs économies aux recettes des exportations des hydrocarbures.2) la perception que le continent est appelé à devenir, dans les prochaines décennies, l’un des moteurs essentiels de la croissance mondiale grâce à des richesses naturelles qui semblent inépuisables, à ses classes moyennes émergentes et à sa forte croissance démographique.

    Avec une population estimées 2,5 milliards de personnes en 2050, dont une forte proportion de jeunes productifs avides de consommation, le continent représente un vaste marché et une grande terre d’opportunités pour les monarchies pétrolières du Golfe qui ont des milliards à investir dans des projets à rendement immédiat et élevé.

    Selon le Rapport publié le lundi 16 décembre 2024 par la Banque africaine d’import-export (Afreximbank), les échanges commerciaux entre l’Afrique et les pays membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG), – l‘Arabie saoudite, Oman, le Koweït, Bahreïn, les Emirats arabes unis et le Qatar -, ont atteint les 121 milliards de dollars en 2023, ce qui représente un doublement de la valeur du commerce bilatéral entre l’Afrique et les six monarchies pétrolières du Golfe entre 2016 et 2023 (57,7 milliards de dollars en 2016 contre 121 milliards en 2023).

    Le Rapport indique aussi que les pays membres du CCG ont intensifié leurs investissements directs en Afrique. Entre 2012 et 2022, les investissements directs de ces six monarchies pétrolières sur le continent ont dépassé 100 milliards de dollars, les Emirats arabes étant la première source de ces IDE avec 59,4 milliards de dollars contre 25,6 milliards de dollars pour l’Arabie saoudite et 7,2 milliards pour le Qatar. On évoque toujours l’Arabie saoudite et le Qatar, lorsqu’il est question des investissements des monarchies pétrolières en Afrique subsaharienne. On oublie les Emirats Arabes Unis.

    L’Ouganda vient de signer un accord pour la construction d’un nouvel aéroport international avec l’émirat de Charjah, l’un des 7 émirats de la monarchie pétrolière du Golfe. Mais, qui connaît l’émirat de Sharjah ? Qui connaît les 7 émirats de la Fédération des Emirats arabes unis, instituée en 1971 : Abou Dabi, Dubaï, Adjman, Sharjah, Fujeirah, Ras Al Khaimah, Oum Al Qaiwain ? Une vision post-pétrolière conduit les Emirats Arabes Unis à mener une offensive économique en Afrique subsaharienne sous forme d’investissements et de financements, ce qui est une bonne chose pour l’Afrique subsaharienne.

    Après la chute de l’URSS, une modernité occidentalo-centrée a tenu l’Afrique subsaharienne à l’écart d’un développement qui n’a jamais été systémique et global. Aujourd’hui, les Etats africains veulent écrire une page nouvelle de leur Histoire sur fond de vague souverainiste et patriotique. Quel est le danger pour l’Afrique ? Celui de voir des activistes et certaines puissances étrangères instrumentaliser ce besoin de souverainisme en proposant un retour vers la vieille Afrique des coups d’Etat militaires. Le vieux discours anticolonial sert d’exutoire facile à des dirigeants incapables d’apporter des réponses aux immenses défis que tous les Etats africains doivent relever.

    Christian GAMBOTTI – Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@afriquepartage.org

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