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    Chronique du lundi – petit traite pédagogique sur la décentralisation

    Chronique du lundi – petit traite pédagogique sur la décentralisation
    Publié le
    Par
    Christian Gambotti
    Lecture 6 minutes

    Détenteur du pouvoir régalien et garant de l’intérêt national, l’Etat-stratège décide de l’orientation des grandes politiques publiques. Les politiques de décentralisation se traduisent alors par des transferts de l’autorité, des compétences et des sources de financement à des pouvoirs locaux (services déconcentrés de l’Etat, élus locaux). Première remarque : il ne s’agit pas, dans le cadre de la décentralisation, de permettre aux pouvoirs locaux de conduire des politiques contraires aux grandes orientations des politiques publiques. 

    Deuxième remarque : les politiques de décentralisation font l’objet de jeux de pouvoir entre l’Etat et les élus locaux. Or, il ne peut y avoir de bonne décentralisation sans une concertation permanente entre l’Etat et les acteurs locaux (services déconcentrés et/ou élus locaux, secteur privé), puisqu’il s’agit, sur un territoire déterminé, de mettre en œuvre les politiques publiques décidées au niveau national, d’appliquer ou faire appliquer une réglementation et de délivrer des prestations aux usagers. 

    De leur côté, les élus locaux, dotés de nouvelles compétences, doivent pouvoir s’adresser localement à un représentant de l’État, sans se tourner obligatoirement vers l’Etat. La parfaite connaissance du terrain et la nécessité de répondre aux attentes des populations doivent conduire les représentants de l’Etat, –  les Préfets, les sous-préfets, les ministres-gouverneurs -, en lien avec les élus locaux et le pouvoir coutumier, à faire preuve d’initiatives pour accélérer le développement local, lutter efficacement contre les inégalités sociales et environnementales en répondant aux attentes de populations et résorber les fractures territoriales. L’objectif est le suivant : assurer une plus grande efficacité de l’action publique au niveau local.

    Les obstacles à une décentralisation aboutie

    Historiquement, l’administration coloniale fortement centralisée a surtout été utilisée pour l’exploitation des ressources du pays sans se soucier des populations locales. Au lendemain de l’indépendance, le pouvoir politique ivoirien se retrouve dans l’obligation de consolider l’Etat, il est alors hostile à toute idée qui contribuerait à son démembrement et à son affaiblissement. Il s’agit, pour Houphouët-Boigny, d’affirmer l’unité de la nation et du pouvoir central, afin que les différences ethniques, voire tribales, ne créent des motifs de divisions et d’affrontements. 

    La décentralisation, qui octroie du pouvoir et des libertés à des entités publiques distinctes de l’Etat central, n’est pas à l’ordre du jour. Si la constitution de 1960 prévoit, dans son article 68, la création de collectivités territoriales, cette création ne sera effective qu’à partir de 1978 pour démarrer réellement entre 1980 et 1985 avec l’élargissement du paysage communal. La politique de décentralisation se poursuit sous les présidences d’Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo

    En recevant les cadres du FPI et les populations du Nord le 18 novembre 2001, Gbagbo résume ainsi la décentralisation : « Pour moi, le peu qu’on a, on va se le partager. C’est ce que veut dire le Conseil général. » Mais, de 1999 à 2011, l’instabilité politique et la faillite de pans entiers de l’économie font que la Côte d’Ivoire moderne continue à se construire uniquement au Sud, Abidjan étant, économiquement, socialement et humainement, le pôle majeur de développement. Seule une croissance forte et durable, adossée à une stabilité politique réelle, permet de revenir à la question de la décentralisation et mettre en œuvre son financement.

    Installé depuis 2011 sur la trajectoire d’une croissance forte et durable, l’Etat ne conteste plus, aujourd’hui, le rôle d’acteur de premier plan que jouent les territoires dans l’atteinte des objectifs du développement économique et de l’unité nationale. C’est que le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, en charge de la décentralisation, M. Vagondo Diomandé, n’a pas manqué de souligner, lors de la Cérémonie inaugurale des mandats locaux 2023-2028, qui s’est tenue, le jeudi 18 juillet 2024, à Yamoussoukro, lorsqu’il déclare : « Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire compte 201 communes et 31 régions. Outre, ces collectivités, il convient de relever l’existence des entités territoriales particulières que sont les Districts Autonomes, au nombre de 14. (…) Il apparait évident que la décentralisation en Côte d’Ivoire, même si du chemin reste à parcourir, cette décentralisation, est irréversible, dynamique et prometteuse. » 

    Parfaitement normé et en constante évolution, l’écosystème décentralisé ivoirien est devenu un outil indispensable dans le développement du pays, la lutte contre les inégalités sociales et les fractures territoriales, la consolidation de l’unité nationale.

    Le chemin qu’il reste à parcourir

    Représentant des élus locaux, le Dr Eugène Aka Aouélé, ancien ministre, Président du CESEC et président de Région, fait remarquer que, malgré les énormes efforts consentis, la faiblesse du processus de décentralisation tient à une décentralisation financière insuffisante. Le cadre permanent multisectoriel de dialogue et d’échanges sur toutes les questions relatives à la gouvernance locale et au développement durable des territoires existe. 

    Ce cadre a été renforcé avec la nomination des ministres-gouverneurs. C’est alors l’insuffisance des dotations budgétaires de l’Etat aux Collectivités territoriales, au regard des compétences transférées, qui ne permet pas aux élus locaux « d’assurer pleinement et de façon efficace, leur mission de développement de proximité, en synergie d’action avec le Gouvernement. » 

    L’Etat a parfaitement conscience que le chemin à parcourir pour une décentralisation aboutie se heurte à l’obstacle de son financement. Le ministre Vagondo Diomandé s’adressant aux élus locaux, le jeudi 18 juillet 2024, n’hésite pas à dire : « Pour l’exercice 2023, c’est un budget global de 150 milliards qui a été consacré au programme de décentralisation. En dépit de cet important investissement (…), force est de reconnaitre qu’au regard des immenses attentes des populations et des défis actuels de la décentralisation, les conséquents efforts financiers, pourtant continus, consentis par l’Etat, ne semblent pas toujours  suffisants. Dans un tel contexte, vous êtes invités à faire preuve davantage d’initiatives et d’imagination dans la gestion de vos collectivités. »

    L’intérêt des districts autonomes

    En nommant des ministres-gouverneurs en charge des districts-autonomes, des entités territoriales nouvelles, le président de la République Alassane Ouattara, a voulu améliorer la gouvernance locale en renforçant le lien entre les politiques locales et les politiques publiques, en assurant une gestion plus cohérente des ressources locales et en répondant plus rapidement aux attentes des populations. Les ministres-gouverneurs sont chargés d’identifier les opportunités de développement et de création d’emplois en fonction des spécificités des économies locales, mesurer les obstacles et les défis auxquels font face les districts autonomes (financement, compétences locales et coordination avec le gouvernement central) et améliorer la qualité et l’accès aux services publics (eau, électricité, éducation, santé, etc.). 

    Il ne s’agit pas, bien entendu, d’installer, au plan local, un rapport de concurrence entre tous les acteurs de la décentralisation, mais d’innover dans le respect des compétences de chacun. Les districts autonomes ont aussi un rôle essentiel à jouer dans la promotion de l’unité nationale et de la paix civile, notamment dans les régions historiquement marginalisées ou en proie à de fortes tensions. La décentralisation, en dehors du cadre normé purement technique des lois de décentralisation, se définit, politiquement, comme le refus de l’exclusion délibérée de certains territoires et de certaines populations.

    Christian GAMBOTTI –  Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage –  Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@afriquepartage.org

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