Pour bien comprendre le rapport que Trump entretient avec le reste du monde, notamment l’Afrique, il faut bien avoir à l’esprit la place que chacun occupe dans l’organisation du pouvoir à la Maison Blanche entre Trump lui-même, J-D Vance, son vice-Président, Susie Wiles, la nouvelle cheffe de cabinet de la Maison blanche, surnommée « Ice maiden » (« Dame de glace »), et Elon Musk, son « conseiller spécial ».
Trump est un commercial, un vendeur hors-pair, un bateleur d’estrade. Il parle au peuple avec le langage du peuple et aux chefs d’Etat sans employer les circonvolutions et précautions oratoires du langage diplomatique. Sa philosophie politique est simple : son slogan « Make America Great Again » (MAGA) s’arrête aux intérêts économiques des Etats-Unis, intérêts qui occupent la première place dans la hiérarchie de priorités trumpiennes (1). L’Afrique était absente des thèmes de la campagne présidentielle de Trump pour deux raisons : 1) la priorité était, pour le candidat républicain, la politique intérieure américaine 2) Parmi les thèmes majeurs de cette campagne, figuraient la question de l’immigration et la dénonciation d’une politique extérieure économique qui, dans la conception purement libérale de Trump, ne rapporte rien aux USA et lui coûte très cher en aides publiques, subventions et donations.
En revanche, Vance, l’héritier de l’« America First », Wiles, qui était déjà là sous Reagan, et Musk; le libéral libertarien, défendent un véritable projet civilisationnel qui obligera les Etats-Unis, malgré Trump, à remettre l’Afrique au cœur de leurs préoccupations face à l’influence de la Chine sur le continent, aux visées expansionnistes de la Russie dans le Sahel et à la menace terroriste.
Trump, une vision très négative de l’Afrique
Trump ignore l’Afrique. Lors de son premier mandat, il n’a pas lu la lettre que 78 anciens ambassadeurs américains ayant représenté leur nation dans 48 États africains lui avaient adressée, lui recommandant de maintenir l’engagement des États-Unis dans les pays d’Afrique, sur le plan économique, social et militaire en raison des liens historiques qui lient l’Afrique et les Etats-Unis. Le pragmatisme économique trumpien fait qu’il n’existe pas de liens durables entre l’Amérique et ses alliés traditionnels.
Lors du premier mandat de Trump, de nombreux postes en charge de la politique africaine sont restés vacants. Seuls trois chefs d’Etat africains ont été reçus par Trump : Muhammadu Buhari, le président du Nigéria, Uhuru Kenyatta, le président du Kenya, Nigéria et Kenya représentant dans l’esprit de Trump des marchés potentiels pour les produits américains, et Abdel Fattah al-Sissi, le président égyptien, pour son rôle géostratégique dans la région. Toutes les autres demandes d’audience venant d’Afrique ont été rejetées. Ce n’est pas un manque d’expertise, ni une ignorance géographique, mais un choix délibéré.
La vieille Europe, qui fait du « Trump bashing » à longueur de journée se moque des lacunes géographiques du 47è Président des Etats-Unis et elle dénonce l’absence, dans programme qui a permis l’élection de Trump, de préoccupations démocratiques, humanitaires ou climatiques. Elle ne comprend pas que le nouvel ordre mondial se construit à l’aune des valeurs du trumpisme. Or, que représente l’Afrique pour Trump, un continent qui lui rapporte peu et qui lui coûte cher. La promesse d’une très forte hausse des tarifs douaniers peut inquiéter les 32 pays subsahariens qui, à travers les Accords de l’African Growth and Opportunity Act (Agoa), exportent aux États-Unis près de 7 000 produits pour 30 milliards de dollars sans droits de douane.
Donald Trump peut-il s’intéresser au pétrole africain. ? Non, car les Etats-Unis, avec la révolution du pétrole et du gaz de schiste, sont devenus, depuis 2017, le premier producteur mondial de pétrole et de gaz. Ils se contentent d’acheter du pétrole à l’Arabie saoudite pour des raisons stratégiques et géopolitiques. L’Afrique ne doit pas oublier que la vision primaire de l’« America first » s’arrête, dans le domaine de la politique étrangère, à redresser une économie américaine sur le déclin dans tous les pays, y compris en Afrique.
Autre domaine qui n’intéresse pas Trump : la lutte contre la hausse des températures et les crises climatiques qui retardent le développement de l’Afrique. Trump est un climato-sceptique qui a retiré les Etats-Unis des Accords de Paris. La lutte contre le réchauffement climatique n’est pas un argument qui peut conduire Trump et son administration à s’intéresser à l’Afrique. Comme pour tous les Etats du monde, Trump appliquera en Afrique la doctrine du donnant-donnant. La diplomatie n’est pas pour lui un outil politique, mais un outil commercial dans une logique transactionnelle.
Trump sera-t-il obligé de regarder vers l’Afrique ?
Ne retenir de Trump que les mesures vexatoires qu’il a prises contre les dirigeants Africains et les Africains eux-eux-mêmes lors de son premier mandat (décrets anti-immigration, restriction de visas, pour des « raisons sécuritaires », pour les ressortissants de Libye, de Somalie, du Soudan, du Ghana, du Tchad et du Nigeria, nombre d’étudiants d’origine africaine vers les universités américaines divisée par deux) et les propos désobligeants qu’il a tenus contre l’Afrique, traitant certains Etats de « pays de merde », serait une erreur. Les outrances, en période électorale, se heurtent au mur des réalités de la realpolitik.
On oublie deux choses : 1) L’importance de la hausse du budget militaire consacré par les Etats-Unis à l’Afrique. Trump a maintenu, lors de son premier mandat, son soutien au commandement des Etats-Unis pour l’Afrique (Africom), créé en 2007 pour coordonner les activités sécuritaires sur le continent et soutenir la lutte contre les groupes djihadistes. 2) Le fait que Trump a encore déclaré récemment que l’Afrique a un potentiel commercial énorme. Au cours de son premier mandat à la Maison Blanche, il a mis en place des programmes visant à accroître les investissements américains en Afrique (le Prosper Africa – une initiative qui aide les entreprises américaines souhaitant investir en Afrique – et la Development Finance Corporation (DFC).
Ces programmes sont toujours opérationnels et ils font des Etats-Unis le premier investisseur sur le continent africain. Quant à la santé, l’éducation, la promotion de la démocratie et la sécurité, l’Afrique reçoit la plus grande partie de son aide des Etats-Unis. L’inquiétude existe quand on sait que Trump, qui dispose à présent de tous les pouvoirs, a axé sa campagne électorale de 2024 sur la réduction des dépenses américaines dans le monde entier. Or, pour Peter Vale, professeur à l’université de Johannesburg, l’Afrique qu’il voit comme un seul pays, « a glissé sous Trump vers le bas de la liste des priorités de la politique étrangère américaine. »
Je Hawkins, ancien ambassadeur des Etats-Unis en Centrafrique et chercheur au sein de l’Institut de recherches nationales et stratégiques (IRIS), tient à rappeler que, lorsque John Bolton, conseiller à la sécurité nationale, a présenté, en 2018, la « stratégie » des Etats-Unis lors d’un discours à la Heritage Foundation, un think tank ultra conservateur, il a exposé les menaces que faisaient peser, sur les intérêts et la sécurité des Etats-Unis, les visées impérialistes de la Russie et de la Chine en Afrique. Mais, l’Afrique est restée très loin des priorités de Donald Trump durant son premier mandat. Dans « Projet 2025 », un document de 900 pages édité par Heritage Foundation et qui a servi de programme électoral de Trump en 2024, il n’existe qu’une seule référence à l’Afrique : la reconnaissance du Somaliland, une République autoproclamée de Somalie.
Selon Le Monde-Afrique (2), « la donne pourrait changer », car, « de l’Egypte à l’Ethiopie, en passant par le Sénégal ou la Côte d’Ivoire », de nombreux présidents africains ont salué « la victoire » du candidat républicain. Tous espèrent pouvoir « coopérer davantage sur le plan économique » avec un président américain qui ne vient pas remettre en cause leur légitimité, ni la nature des régimes. Même si Trump reste totalement imprévisible, il sera obligé de s’intéresser à l’Afrique pour contrecarrer l’influence chinoise et russe non seulement sur le continent, mais sur l’ensemble du « Sud global ». J-D Vance, son vice-Président, et Susie Wiles, la nouvelle cheffe de cabinet de la Maison blanche, obligeront Trump à regarder vers l’Afrique pour rattraper le temps perdu sur son pire ennemi, la Chine.
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(1) Trump se souvient du fameux slogan culte attribuée à Bill Clinton, un président Démocrate : « It’s the economy, stupid ! », que l’on peut traduire par « L’économie, il n’y a que cela qui compte ! » Clinton reste un libéral, dans le sens le plus américain du terme, qui prône le libre-échange et la dérégulation des marchés. Trump va encore plus loin. C’est un libertarien qui se situe à droite de l’échiquier politique dans le droit fil de Ronald Reagan qui avait déclaré : « le libertarianisme est le cœur et l’esprit du conservatisme ». On comprend que les Démocrates soient taxés, à l’image d’Obama et de son système de santé « Obamacare », de socialistes, voire de marxistes.
(2) Le Monde-Afrique, article de Pierre Lepidi, publié le 07 novembre 2024.
Christian GAMBOTTI – Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@afriquepartage.org