Alors que des acteurs des réseaux sociaux tentent d’imposer ses récits parallèles, Wakili Alafé rappelle l’urgence de renforcer l’éducation aux médias et de privilégier les sources vérifiées, mais surtout il invite chaque internaute à ne pas déléguer aux autres, le soin de vérifier une information. Selon lui, dans cette guerre de l’information, chaque citoyen est un rempart. « Avec l’IA et à l’image des Deepfakes, il est très facile de créer la panique et saper la confiance dans les médias, avec des montages de capture d’écran WhatsApp ou de pages sur les réseaux sociaux.”, affirme Wakili Alafé.
Après les rumeurs malveillantes et macabres sur la vie et la santé du président ivoirien, Alassane Ouattara – rumeurs qui montrent en réalité qu’il est tout compte fait, un être ou un humain mortel comme tout autre, dont il n’y a pas lieu de souhaiter de cette façon le décès – , Wakili Alafé, journaliste et expert en communication, démonte les mécanismes d’une opération d’intoxication orchestrée. Pour lui, l’objectif de ce type d’initiative est de déstabiliser la Côte d’Ivoire, de discréditer la France, et de manipuler l’opinion publique. Entretien exclusif.
Question : Une fausse annonce du décès du président ivoirien a encore eu lieu il y’a quelques heures, notamment le 31 mars 2025. Comment qualifier cette manœuvre ?
Wakili Alafé : Si c’était aujourdhui 1er avril 2025, l’on parlerait d’un poisson d’Avril, encore qu’il ne faut pas s’amuser à faire des poissions d’Avril avec ce type de choses. Cela dit, ce n’est pas la première chose que le décès du chef de l’État est annoncé à tort, ou même clairement souhaité. Il ne s’agit pas de simples rumeurs macabres. Il sa et de véritables souhaits.
Il s’agit d’une désinformation calculée. Ces informations sont fabriquées pour nuire délibérément, pour semer la panique, pour affaiblir les institutions, et alimenter un climat de défiance. Les bras médiatiques de cette intoxication utilisent des outils comme Photoshop, comme l’intelligence artificielle ou les Deepfakes pour imiter des médias crédibles ( par ex. : le faux article du Monde diplomatique), rendant le mensonge difficile à identifier.
L’IA au service de la désinformation : Quand la technologie devient une arme de déstabilisation
Question : Pourquoi cibler la Côte d’Ivoire et la France ?
Wakili Alafé : Il faut dire que personne n’est à l’abri. D’autres pays sont aussi des cibles ou des victimes. Ils sont peut-être dans la défensive, et de part et d’autre, il est important d’être outillé à cet effet.
Cela dit, ceux qui véhiculent cette intox cherche à créer une rupture entre l’opinion ivoirienne et les médias français, accusés de relayer des réalités gênantes sur des pays africains. En associant la France, ou des médias basés en Occident, à de fausses nouvelles, ils alimentent un récitatif ou un narratif anti-occidental et justifient leur propre propagande. C’est une stratégie pour détourner l’attention des crises internes et présenter Abidjan comme étant un danger, et présenter le pays comme étant orphelin et endeuillé, et comme n’étant pas à l’abri d’une déstabilisation. La psychose simple n’est pas l’objectif final. Sur la base d’une réalité indépassable à terme (la mort), c’est souhaiter que cela arrive maintenant pour faire mal à l’adversaire politique, à un pays, à une nation.
« Leur objectif n’est pas de convaincre, mais de polluer l’espace informationnel pour que plus personne ne sache qui croire. »
Les technologies permettent de fabriquer des preuves en quelques clics : fausses déclarations, articles mimant des titres prestigieux, ou vidéos truquées. Le problème n’est pas la conception de ces mensonges, mais leur viralité. Même partagées « pour vérification », elles instillent le doute et érodent la crédibilité des médias légitimes.
Il est reproché aux médias français de nourrir un narratif hostile aux autorités de Ouagadougou, notamment en documentant les exactions ou la gestion sécuritaire. En diabolisant ces médias, la BIR-C tente de construire une contre-vérité où la France et la Côte d’Ivoire seraient des ennemis, et non des partenaires.
Le piège du partage : Quand la bonne foi devient complice de l’intoxication
Comment lutter contre cette désinformation ?
Wakili Alafé : La première règle est de ne jamais relayer sans vérifier soi-même. Ne plus plus laisser la charge de la vérification ou de la preuve à une autre personne, à un tiers, à autrui. Ce n’est pas à un autre qui n’est souvent pas journaliste, de vérifier. Ce qui s’est passé est grave, car il y’a des hauts cadres, de gens importants dans le pays et à l’étranger qui ont douté et qui ont eu peur, qui ont cru que le pire était arrivé, alors que le chef de l’Etat ivoirien était dans l’avion pour Abidjan. Ils ont oublié qu’un scénario pareil avait eu lieu, il y’a quelques semaines. Cela a même lieu depuis plusieurs années. Souvenez-vous quand le chef de l’État avait été opéré à Paris ! Face à ces choses, voici ce qu’il faut faire avant de partager l’information : Interroger la source de l’information, celui qui nous demande de vérifier. Lui demander d’où vient l’info ? Puis avec lui, vérifier s’il existe une autre occurrence ailleurs, ou sur les sources officielles ? Et puis éviter de partager. Cela ne sert à rien de vouloir être parmi les premiers à avoir une information, à informer une autre personne au motif de vérifier ou non. Si chacun exige ou cherche des preuves avant de partager, au lieu de partager pour demander à autrui de vérifier, l’intox meurt d’elle-même. Les plateformes et les États doivent aussi agir, mais la responsabilité individuelle reste primordiale. La vérification et la vigilance ne sont pas un travail à faire par d’autres personnes, mais par soi-même.
Partager une infox, même avec un point d’interrogation, c’est déjà lui donner une légitimité toxique. Vérifier avant de partager, voilà le réflexe citoyen à nourrir contre la manipulation.
