La définition de l’agenda politique est d’un enjeu majeur sur toute scène politique. Pour Shatts-Chneider (in. Gerstlé p. 95) : « Le conflit politique n’est pas comparable à un débat académique où les protagonistes partagent d’emblée une définition des enjeux. En réalité, la définition des alternatives est l’instrument suprême du pouvoir ; les adversaires peuvent rarement s’accorder sur l’identification des enjeux parce que le pouvoir est partie prenante de la définition. Celui qui détermine sur quoi porte l’activité politique a le pouvoir de diriger.»
Ainsi, en France, contre toute attente on a vu comment la droite et après la gauche ont imposé la question sécuritaire comme étant le cœur du débat politique durant longtemps, au point d’ignorer la préoccupation essentielle de la majorité des Français qui est l’amélioration de leur condition de vie. La révolte des gilets ou le boycott massif des récentes élections régionales viennent d’apporter des années après, un cinglant désaveu à ce choix politique qui était en réalité une fuite en avant pour faire barrage à l’extrême droite.
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Ici en Côte d’Ivoire, l’agenda politique a été longtemps dominé par des questions nationalistes voire ethnicistes, sciemment voulues par une classe politique qui refusait d’aborder les vrais problèmes de développement socio-économique. Pensant ainsi rassembler la majorité des Ivoiriens autour de problématiques loin de leur bien-être social, pour accéder au pouvoir d’État.
Depuis quelques années, l’agenda imposé par l’ensemble de l’opposition est la réconciliation nationale. C’est pourquoi, derrière le bouclier de la réconciliation nationale, toutes les revendications pouvaient passer, notamment celle, à juste titre, du retour au pays des exilés politiques. Après son acquittement par la CPI, le retour du président Laurent Gbagbo a été placé sous le sceau de la réconciliation nationale. Il était courant d’entendre dire par les responsables du FPI-Gor : « le président Laurent Gbagbo vient pour réconcilier les Ivoiriens. »
Depuis le 17 juin 2021, le président Laurent Gbagbo est rentré en Côte d’Ivoire. Il a été accueilli dans la ferveur. Il est allé chez lui à Mama. Il a pu se recueillir sur la tombe de sa mère décédée en son absence. Il est même reparti en voyage au Congo Démocratique. Jusqu’à présent, les citoyens ivoiriens lambdas sont suspendus à ses lèvres, dans l’impatience de savoir ce qu’il dira. Pourtant, il a eu des prises de paroles. De tout ce qu’il a dit, pour notre part, nous retenons trois phrases : « J’ai gagné les élections de 2010. Je n’ai rien à dire aux victimes. Je reste un soldat au garde-à-vous. »
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Moralité : l’agenda qui a été servi par le FPI-Gor n’a pas été respecté par le président Laurent Gbagbo. A qui la faute ? Est-ce que parce que le FPI-Gor a fait dans la diversion en s’abritant derrière l’agenda de la réconciliation nationale pour que Laurent Gbagbo puisse regagner son pays ? Est-ce plutôt l’expression d’une fracture entre Laurent Gbagbo et une grande partie de la direction du FPI ? Les jours à venir permettront d’y répondre.
Avec ce qu’il a été donné d’observer, l’agenda de Laurent Gbagbo n’est pas encore celui de la réconciliation nationale. Son agenda est celui de la reconquête du pouvoir d’État qui lui a été « injustement arraché » en 2010. A-t-il suffisamment analysé le contexte actuel, aux niveaux, personnel, de ses familles biologique et politique, national et international avant d’engager ce nouveau combat politique ?
Au total, les Ivoiriens seront-il prêts à passer par pertes et profits les affres de la crise qu’a vécue la Côte d’Ivoire pour accepter de revivre les effets collatéraux d’une empoignade des trois grands ? Il leur appartient d’y répondre par leur attitude face aux mots d’ordre de leurs leaders.
NURUDINE OYEWOLE
Expert-consultant en Communication
Analyste politique